Décédé en novembre 2019, Népal a su marquer tout un public par ses textes et ses pensées. Si le jeune rappeur s’est éteint, son art continue de retentir et de se développer. Dans leur nouvel album, le S-Crew a rendu hommage à l’artiste parisien qui était proche de L’Entourage et en particulier Doums avec qui, il formait le duo 2Fingz.

Doums & Népal

« Le cœur sur la main, ton binôme inconsolable. Depuis, même quand l’ciel est bleu, les Tortues Ninja courent sous la pluie » – N’oublie pas

Népal a certes marqué une génération, mais aussi ses proches par son approche de la vie. L’un des surnoms de l’artiste était Splinter, le rat maître des arts martiaux dans les Tortues Ninjas. Dans cette phase de Nekfeu, ce dernier compare les textes de Népal comme un enseignement à lui et ses trois autres confrères ce qui vient former le tableau de Splinter et des quatre tortues ninjas. Cette valeur de supériorité de l’artiste vis à vis du groupe est répétée dans le morceau qui lui est complètement consacré : Maintenant. Il forme un guide, un exemple à suivre : « Je serai comme toi. J’veux partir brave, t’es mon exemple maintenant ».

En continuant dans les références à l’univers de l’artiste, Alpha Wann fait référence dans DonZoo au fameux « dojo » qui est une salle d’entraînement aux arts martiaux, une référence régulièrement utilisée par Népal car il s’agissait aussi du nom donné au studio de la 75e session, son équipe.

« Dans 444 nuits tout pile, la lumière éclaire c’qu’on a accompli » – N’oublie pas

D’un autre côté, Nekfeu rappelle les fameuses 444 nuits de l’artiste parisien. Népal a sorti un premier projet intitulé 444 nuits dans lequel on retrouvait l’excellent Suga Suga avec Doums ou encore le classique Rien de spécial. 444 nuits plus tard, l’artiste dévoila le projet 445e nuit. Tout a un sens chez Népal et rien n’est fait au hasard. Le signe 444 représente la symbolique des anges. Cette dernière est le numéro représentant l’appel et la délivrance d’un message d’un ange gardien. L’apparition du nombre 444 amène à penser qu’on est sur le bon chemin spirituel. Un chemin qu’a longtemps parcouru Népal.

Népal par Lucas Matichard

UNE PHILOSOPHIE DE VIE

« Toujours le choix, j’renverserai le système » – 2001

Népal faisait partie de ces rappeurs qui étaient contre le système capitaliste. Alors que certains le critique simplement tout en courant après le bonheur monétaire, l’artiste parisien, lui, avait une vision de la vie et une profondeur spirituelle à cette opposition. Pour lui, le système est un ennemi. Ce dernier oblige une quête monétaire centrale, qui n’est pas la quête d’une vie d’un homme. Deux raisons principales faisaient que le rappeur s’opposait au règne de l’argent : la notion d’un inassouvissement monétaire, plus on a de l’argent, plus on en veut ; et la notion qu’une fois le bout du chemin atteint, on n’emporte rien de ce qu’on a gagné, alors autant ne pas perdre de temps à courir après un élément qui nous offre rien de spécial au final mis à part le sacrifice de moments de vie. Il était l’un des rares à défendre ces valeurs comme le rappelle les membres du Mekra dans Maintenant : « T’as protégé ce que t’aimes tant », c’est à dire, ses valeurs et ses proches.

« Depuis qu’t’es parti, j’me prends la tête, j’ai lu tous les livres d’Hermann Hesse. L’impression de mieux comprendre tes textes et tes yeux glacés comme ceux des immortels » – N’oublie pas

Hermann Karl Hesse était un écrivain allemand de la première moitié du XXe siècle. Cet auteur a été très important dans la vie de Népal et notamment une œuvre qui a reçu un prix Nobel de Littérature : Siddhartha. Paru en 1922, le roman raconte l’histoire d’un homme qui a passé sa vie à courir après l’argent mais qui se rend compte que ce n’est pas l’essence de cette dernière et fini par tout délaisser en partant vivre dans la forêt et vivre une vie spirituelle en suivant les enseignements bouddhistes.

Face à cette vision du monde, Népal a souvent fait peu d’argent avec la musique, laissant ses projets en téléchargement gratuit : sa quête était spirituelle, « Parle-moi d’tout sauf d’argent, j’en ai assez fait cette année » qu’il disait dans Niveau 1. Cette quête spirituelle vient de l’emprunte des cultures orientales qui l’ont beaucoup marqué. D’abord avec le choix de son nom de scène, Népal, en référence à un pays très tourné vers la spiritualité et même avec la notion d’un corps en location, se disant que nous ne sommes que de passage dans un corps, un élément qu’on retrouve dans Maintenant : « « Tu veillеs sur moi, je sais qu’t’es là. Je sens ton âme quand je me bats. T’es près de moi, dans le miroir. Je vois ton regard dans les étoiles »

Népal par Lucas Matichard

Dans cette quête spirituelle, Népal s’opposait à toute forme de violence quelle qu’elle soit. La violence est un acte négatif et en contradiction avec ses valeurs de paix intérieure, l’entraide et le positivisme malgré une musique majoritairement mélancolique et sombre. Dans SZR 2001, le S-Crew rappelle ces valeurs qui lui étaient propres : « Enterrer nos armes dans la terre et le sable, on est l’espèce humaine. La pierre et le sabre, la parfaite lumière, ceux qui ont péri le savent » (N’oublie pas) ; « Vrai man, j’suis toujours calme. J’tiens ça de toi, j’regrette la guérilla d’avant» (Maintenant) ou encore dans le solo de 2zer : « Nos soldats seraient armés que de savoir. Un monde imaginaire que j’suis pas seul à voir. » (Double turbo).

« Loin de la surface, tout là-haut, les bons se retrouveront paraît-il. On espère que tu surferas si Dieu le veut, sur une des quatre rivières du Paradis. Crois pas qu’on t’oublie » – N’oublie pas

Nekfeu vient ici faire une nouvelle référence aux croyances de Népal. En effet, la référence aux « quatre rivières du paradis » vient des croyances musulmanes où au paradis, quatre rivières coulent : la rivière d’eau, la rivière de lait, la rivière de miel et celle de vin. Ces quatre rivières mènent au Jannah, le paradis dans le Coran. La notion de surfer fait quant à elle référence à ce que l’artiste disait et avait mis en bio sur Instagram : “Après le rap j’irai faire du surf”.

Népal par Lucas Matichard

ENTRE SOUFFRANCE ET APPRENTISSAGE

Tout comme n’importe quelle personne qui perd un proche, la peine est bien plus que présente. Dans l’album, on retrouve les différentes phases d’émotion et d’acceptation. Entre ceux qui y encaissent difficilement comme Framal dans Encore : « Je prends un verre, je m’enferme dans le noir. J’repense aux miens qui sont partis l’autre soir. » ; ceux qui revivent sur le moment de l’annonce comme 2zer dans Trilogie : « Un ami délaissé a commis l’impensable » ou encore dans N’oublie pas où Nekfeu qui est dans une acceptation psychologique forcée après la souffrance vécue :  « C’est toi qui as fait le logo, on le porte sur le cœur, comme tous ceux qu’on a perdus, c’est la vie ma le-gueu ».

« J’sens ta présence, mais j’sais que t’es parti. Marre de pleurer ta mort, j’vais célébrer ta vie » – Maintenant

L’acceptation est toujours compliquée et même parfois n’a jamais lieu dans un deuil comme le sous-entend Mekra dans Trilogie : « La vie est courte, la mort encore plus deu-spi, je vis comme si j’allais mourir demain depuis ». On se retrouve souvent face à soi-même dans ce genre de moment même si la peine est collective. Chacun tire alors ses propres leçons face à la peine qui l’alimente, et cet album le démontre très bien, malgré le fait qu’ils soient en groupe, chacun l’encaisse à sa façon et en tire les conséquences qu’il veut. En référence à Jean-Paul Sartre, Népal dans Sundance reprenait la phrase « l’enfer c’est les autres », dans l’album du S-Crew, ils répondent en disant « Le paradis c’est les miens, si l’enfer c’est les autres » (Ouai boy). Un clin d’œil évident pour l’artiste et les autres personnes qu’ils ont pu perdre par le passé.

SUNDANCE – Népal, clip officiel

« À chaque occasion j’vais prononcer ton nom, te garder dans la légende en racontant tes story » – Maintenant

Parmi les multiples références, le couplet de Nekfeu dans Maintenant vient sublimer ce bel hommage du groupe parisien. Entre une référence au fait qu’il ait connu le succès qu’il méritait en perdant la vie et que s’il avait été encore là il aurait encore plus réussi, mais aussi la peine qu’il a pu traverser et la sensation d’absence malgré une présence éternelle au fond de lui, on vous laisse savourer ses mesures :

« Plus j’vieillis, plus j’comprends qu’la mort est un concept. On finira l’album comme on finit un concert. Même si t’es plus là, il faut y trouver un sens. Les regrets sont là quand j’pense à toutes mes absences. Et j’sais que malgré ce décalage, tu tiens à moi. Tu sais que même de loin, les miens j’les aime entièrement. Si t’étais encore là, t’aurais tout baisé maintenant. Non, c’est plus l’âge d’or, là c’est l’âge du diamant » – Maintenant

Malgré le sens triste et mélancolique que cette chronique peut contenir, la volonté est de partager un artiste qui nous a marqué depuis des années avant que la vie ne l’emporte. Cette passion pour Népal et la puissance de ses textes, nous avaient encore plus conforté dans l’idée qu’il ne fallait pas écouter du rap mais qu’il fallait le comprendre et comprendre la vision de chaque artiste. Népal, c’était un artiste à part entière, et nous vous invitons à aller lé découvrir si ce n’est pas déjà fait. Paix.