Voilà six années que Stromae se faisait discret musicalement. Parfois derrière la production, et deux fois en chanson aux côtés d’Orelsan sur le titre ‘La Pluie’, et sur ‘Arabesque’ du groupe de rock Coldplay pour quelques mesures. Enfin de retour, la forme bel et bien retrouvée, Stromae vient à son tour souhaiter la ‘Santé’ à ceux pour qui elle manque. Pour son retour, le 16 souhaite à travers cet article célébrer le roi Belge.

Si Stromae n’a jamais vraiment disparu des radars ni des mémoires, de par sa mince activité musicale mais surtout par sa marque de vêtement, maestro (on se souvient de la majestueuse bande originale, Défiler, de la capsule n°5), la raison derrière sa pause abrupte est tout du moins compréhensible. Stromae a traversé un difficile burnout, le syndrome de l’épuisement professionnel, entraînant des complications physiques. Si l’esprit est toujours de l’avant, le corps, lui, ne suit plus jusqu’au jour où le second rattrape le premier. La raison de cet épuisement est claire et se résume à son marathon, couru pendant cinq ans sous le feu vif des projecteurs.

LA MONTÉE FULGURANTE

Paul Van Haver est un enfant de la Belgique, rwandais par ses origines. Après avoir appris la musique pendant son adolescence, c’est au tournant des années 2000 que Stromae choisit de s’exprimer par le rap, aux côtés d’un nommé J.E.D.I, sous le blase Suspicion. Courte avance, il se retrouve rapidement à continuer le chemin seul, à faire des prestations et des événements puis enregistre un premier maxi. Stromae s’investit en même temps dans la production, et signe des titres notamment pour le bien connu Kery James. A la nouvelle décennie, Stromae entreprend en créant sa propre maison de production, Mosaert, et signe sa distribution chez la major Universal Music France : son président à l’époque, Pascal Nègre, découvre l’artiste et son talent sur Myspace, là où les premiers buzz d’artistes sur internet ont eu lieu. 

Alors on danse. Il a suffi de la sortie d’un single – bien amené par une série de Leçons sur lesquelles nous reviendront – pour que Stromae voit sa carrière prendre un tournant explosif. L’artiste Belge traverse les frontières et entraîne tout le monde dans sa danse. Son premier album, « Cheese », réunit plusieurs de ses inspirations, new beat, électro sans oublier le hip-hop. Le titre phare fait le tour du monde, est récompensé de toute part, et va jusqu’à faire poser Kanye West ou encore les Black Eyed Peas. La carrière de Stromae a définitivement décollé. 

Sur son deuxième album, « Racine Carrée », Stromae se renouvelle encore et avance dans sa quête artistique, l’éclectisme grandissant. Il se rapproche de ses origines rwandaises, tout en racontant l’absence du père d’une manière à la fois bouleversante et impassible (Papaoutai). Cette fois les percussions sont moins électroniques dans l’ensemble, se rapprochant de l’afro, de la rumba et de Cuba par la guitare. Attaché au rap toujours, il s’accompagne le temps d’un titre d’Orelsan et Maitre Gims pour inviter le monde à aller se faire… De cet album nait une tournée mondiale, Stromae parcours le globe, d’Europe au Maghreb, d’Afrique subsaharienne au Brésil, du Canada aux Etats-Unis avant de retourner pour sa dernière date là où son père a été victime du génocide, au Rwanda à Kigali. Stromae est une bête de scène, les compositions artistiques et graphiques sont minutieuses, mais il a fini par y laisser sa personne. La fatigue l’empare, le moral perdu, Stromae se doit de prendre une pause pour que Paul n’y périsse pas et se régénère. 

STROMAE, LE PÉDAGOGUE

C’est en 2009 que Stromae, « rappeur et beatmaker » démarre sa série de vidéos « Les leçons de Stromae ». En avance sur son temps, il est filmé en train de réaliser pièce par pièce, chapitre par chapitre, ses musiques, l’humour donné par son ton rejoint le talent brut de l’artiste. Dès le premier épisode, Up saw liz résonne et devient un tube qui sera présent sur « Cheese ». De manière totalement amatrice, Stromae construit sans le savoir le futur de sa carrière professionnelle. Sur sa chaise de bureau et le plus naturellement possible, Stromae fait ce qu’il aime et ça se sent. S’il ne crée pas de nouveaux morceaux, Stromae se concentre sur l’apprentissage de la scène (Leçon n°3). Le huitième épisode est fait en live, devant un public très privilégié, et le titre construit n’est nul autre qu’Alors on danse. Au fil des épisodes, le professeur quitte sa chambre, il dit au revoir à l’école et rentre à l’université, en étant toujours aussi sympathique et simple. Plus qu’un moyen de promouvoir sa musique, l’artiste casse une barrière avec son public, il lui transmet et fait aimer sa passion. 

On retrouve cette volonté d’apprendre à travers les  animations et les dessins du clip de Santé. Dix ans plus tard, Stromae souhaite encore et toujours transmettre cette joie de vivre, d’inciter les gens à chanter et danser sur ses musiques.  

D’HUMAIN À HUMAIN

Si la musicalité est intéressante chez Stromae, ses textes et leurs interprétations le sont particulièrement. L’artiste a une manière de décrypter la société et l’humain qui lui est propre, la force des sujets qu’il dépeint réside dans leur universalité. Sa musique rassemble puisqu’elle s’adresse à tous, plus ou moins jeunes, n’importe quelle couleur de peau, l’orientation sexuelle ou la profession. Stromae ne cherche pas à inventer un monde, il observe et raconte ce à quoi le commun des mortels est confronté. A commencer par la recherche d’identité, « cessons de se catégoriser » est le message véhiculé dans bâtard, libérons nous de ces cases et retrouvons notre singularité. Dans Carmen, l’oiseau bleu de Twitter en prend pour son grade, au nom des réseaux sociaux vecteurs d’illusions et de tromperies. « Prends garde à toi » préviens Stromae, l’Amour est lui aussi aux mains du consumérisme. Dodo, extrait de « Cheese », aborde les violences conjugales et parentales. Formidable, récite les pensées d’un tout-juste célibataire, « polie, courtois et un peu fort bourré ». La faiblesse inéluctable de l’humain est elle aussi décryptée : « qui est le prochain » touché par le cancer se demande-t-il (quand c’est ?), après avoir fait dans la prévention contre les maladies sexuellement transmissibles (moules frites). Les sujets les plus cinglants sont transformés en chansons poignantes. Comme énoncé en début de paragraphes, les textes de Stromae sont complétés par de superbes interprétations : Tous les mêmes en est l’illustration parfaite. 

Si vous n’avez pas eu l’occasion jusqu’ici de le voir sur scène, chose à laquelle vous pourrez remédier avec son retour en tournée en 2022, nous vous conseillons fortement le film entier de son concert Racine Carré Tour à Montréal. Masterpiece d’un grand artiste.