Introduire un album est un art à part entière. Parfois méprisée par certains artistes mais souvent respectée par d’autres, l’introduction est une pièce maitresse dans la confection d’un album. Sans prendre en compte les titres et visuels dévoilés avant sa sortie, la première impression du projet se fait par le premier titre. Le disque – plutôt le stream – une fois lancé, l’auditeur doit être marqué, bousculé entre engouement et sentiments . Si certaines introductions sont explosives dès la première note, d’autres sont plus crescendo. Le but est le même : ouvrir l’album, afficher sa couleur et présenter le concept s’il y a.  

« Je mène les troupes au combat pour défaire
Les guerriers en contre-plaqué de l’École du Micro en Bois »

L’Ecole du micro d’argent, IAM

Certaines introductions sont devenues légendaires avec le temps, par leur puissance et leur caractère. Le 18 mai 1997, IAM sortent leur troisième album studio qui deviendra le plus emblématique. Dès l’introduction par le titre éponyme L’Ecole du micro d’argent, Shuriken et Akhenaton placent leur groupe au top du rap français. Leur plume se mêle à leur technique pour livrer ce chef d’œuvre, qui est suivi entre autres par les titres Petit Frère et Demain c’est loin. En 2002, Booba fait l’évènement avec son premier album solo, Temps mort. A travers un couplet unique, l’introduction éponyme s’inscrit comme le point de départ du carrière solo encore inégalée. 

Temps Mort – Booba

Deux ans après, son meilleur ennemi de l’époque fait une incroyable entrée sur son album La fierté des nôtres. « J’fais mon entrée au port du rap comme le Queen Mary / Succession de drame de quoi faire chialer Mary J » Rohff est de retour, le « rap français est pris de vitesse ». A l’Ecole des points vitaux, quand la sonnerie résonne, l’Intro (en résumé) se lance. Une instru, Maska en tête et toute la Sexion s’enchainent jusqu’à ce que Black M ferme la marche : « Si l’argent tombait du ciel, l’avare tiendrait son parapluie à l’envers sans hésiter / En résumé, mets replay ».

Sexion d’assaut – Intro (en résumé)

Parfois la légende n’a pas besoin de temps pour être atteinte. Les deux frères PNL le savent. Si l’on se souvient d’Au DD pour le coup de tonnerre à sa sortie, la communication mise en œuvre autour et ses scores battant des records, la dimension introductive de ce titre est elle aussi grandiose. Avec ce morceau, l’auditeur se plonge directement dans l’univers des Deux Frères et le message qu’ils transmettent. Une autre introduction incontournable est celle de CyborgHumanoïde, « encore un texte rempli d’aveux » posés sous forme de questions. Pendant plus de six minutes, Nekfeu kick, ses flows évoluent et sa rage augmente. Sa meilleure introduction pour son meilleur album. 

Humanoïde – Nekfeu

D’autres artistes sont très attachés à faire bonne impression dès la première note. Le bruxellois Damso l’a démontré à plusieurs reprises. Qui ne se souvient pas de la manière dont démarre Ipséité ? A. Nwaar Is The New Black bouleverse, et explique un an plus tard la nwaarceur de Périscope. OrelSan a lui aussi réussi ce pari, notamment avec San dans son dernier album La fête est finie. Orel’ est dans ce morceau honnête et vrai, et démontre une réelle envie de finir au mieux le troisième album de ce qu’il présente comme une trilogie. 

« « San », ça veut dire « trois »
« San », ça veut dire « monsieur »
San, j’ai mis la moitié d’ma vie pour savoir c’que j’veux »

San, OrelSan

Un premier titre est pour certains rappeurs le moyen de montrer leurs capacités et les multiples flows qu’ils peuvent adopter. Rémy se plait à ce jeu-là. Que ce soit dans l’Intro de son premier album, ou dans le titre éponyme Rémy d’Auber (article du 16), le rappeur additionne les flows à sa belle plume. PLK sait lui aussi accrocher l’auditeur. Sur l’Intro de Polak, l’artiste enchaine les flows aisément et donne envie d’en découvrir plus. Plus récemment, SCH a fait une véritable démonstration sur Cervelles (Rooftop) et Maes a ouvert les portes de son quartier à travers Dragovic, « un iencli de la cité » dans Les Derniers Salopards (article du 16). Une autre Intro doit être mentionnée, celui qui l’écoute plonge directement dans le Projet Blue Beam, comme le sirop dans le Sprite. Freeze Corleone impose d’entrée son flow et ses références toujours plus sombres. Dans un même registre, Alpha Wann délivre un style exemplaire dans Le Piège d’UMLA avec la célèbre phase : « Tu l’appelles Mère Patrie, je l’appelle Dame Nation ».

Intro – Freeze Corleone

Certains commencent leur album autrement qu’en rappant d’entrée de jeu. Une manière pour eux de poser le contexte et de démarrer l’histoire. Pour lancer le premier tome « Absolu » de sa trilogie JVLIVS, SCH a fait appel au lyriciste méconnu Furax Barbarossa pour écrire Le déluge. Ce monologue introductif est interprété par José Luccioni, la voix française d’Al Pacino. Rien de mieux pour poser l’ambiance mafieuse italienne et introduire cet album aux allures cinématographiques. 

Absolu Tome 1 – Sch

Pour son nouvel album justement appelé Tout à gagner, le martiniquais d’origine Tiitof a lui aussi fait ce choix d’introduction. La personne qui récite le monologue n’est autre que Jacob Desvarieux, grand artiste antillais. Il y décrit la dualité de l’île, idyllique pour les touristes désintéressés mais bien plus problématique pour ses habitants et ses jeunes. Victimes de profondes inégalités, leur chances de s’en sortir sont minces et poussent à l’exil, le parcours de Tiitof en témoigne. 

Intro – Kekra

Kekra est différent, et l’a prouvé une fois encore sur le volume 04 de sa série Freebase. Pas d’entrée fracassante ni de monologue descriptif, le rappeur du 92 a fait parler les autres pour cette Intro. Toujours mystérieux à propos de sa personne, il a réuni des fragments d’affirmations déclarées à propos de l’artiste. On peut y entendre notamment les membres de l’ancienne Sauce d’OKLM Radio : Ouafa Mameche, Hype et Mehdi Maïzi. 

Quelle que soit sa forme, faire apparaitre une introduction prouve la volonté de construire un véritable album, allant d’un point A à un point B. Ce format classique est de moins en moins retenu par les artistes étant donné les méthodes modernes de consommation de la musique. Alors quand le logiciel Trinity s’initialise, Laylow ne peut que ravir le 16.