Près de 40 000 exemplaires vendus après une semaine dans les bacs, certifié disque d’or après 11 jours seulement. Le dernier album de Maes, Les derniers salopards, est un succès. Mais cette réussite n’est pas que commerciale. Ce projet est artistiquement très abouti. Quel est cette recette sauce sevranaise ? Celle-ci est-elle la clé de réussite dans le rap aujourd’hui ? Le 16 a des éléments de réponse à ces questions. 

Connaitre Maes

Maes, est un produit brut made in Sevran, de la cité des Beaudottes en particulier. C’est depuis la maison d’arrêt de Villepinte qu’il sort son premier projet en 2017, une mixtape intitulée Réelle Vie. Le deuxième opus Réelle Vie 2.0 sort un an après. Entre-temps, il est sorti de prison, a commencé à se faire un nom à travers des freestyles, mais aussi grâce à 13 Block qui lui ont permis de faire leur première partie. 

BILLETS VERTS

Signature en maison de disque, premier album Pure, premiers titres à succès avec Billets verts et Avenue Montaigne, Maes gagne en reconnaissance jusqu’à exploser avec Madrina, véritable tube en featuring avec Booba. Dès lors, Maes devient une tête d’affiche du rap jeu en France. Il marque l’année 2019 en tant qu’invité sur divers projets et montre encore une fois qu’il sait aussi bien chanter sur L’odeur du charbon avec Dosseh que rapper rudement sur ASB de Vald ou Stupéfiant avec Niro). 

MATIN, feat Koba LaD

A noter qu’il n’est pas seul dans cette aventure. Si Maes est sous le feu des projecteurs, ses « salopards » sont toujours derrière lui et ont leur mot à dire sur la direction artistique du rappeur, lui-même le rappelle souvent lors d’interviews. Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. 

MAMA

Analyse

Les derniers salopards est concrètement le résultat de très nombreuses heures de travail, à la recherche de flows différents et de mélodies efficaces. Cet album est une sorte d’aboutissement dans sa jeune carrière. Si Maes était un chef pâtissier, LDS serait une véritable pièce-montée. 

Avant toute chose, il est important de noter que l’album contient seulement 14 titres (sans compter les deux morceaux bonus présents sur la version physique), pour une durée totale de 43 minutes. Un album à l’essentiel, quitte à laisser certains sur leur faim, et ne suit pas la tendance actuelle qui est de sortir des albums à rallonge, souvent réédités. 

« J’ai grandi dans l’département le plus dang’reux / J’sais qu’on entendra jamais : « Maes est mort vieux » »

dragovic

Tout album à son introduction, comme toute pièce montée à sa base. Les derniers salopards s’ouvre sur Dragovic, un titre aux paroles crues et de rap brut. Sans futilité, Maes intrigue et séduit dès la mise en bouche.  

L’ingrédient suivant est parfaitement maitrisé par l’artiste. En effet, le chant, les mélodies et l’utilisation du vocoder étaient déjà très présents sur son précédent album. Cette fois-ci, ces éléments ne sont pas l’essentiel du projet, mais occupent une place clée et permettent la réalisation de belles chansons. Cette faculté à chanter s’est sans doute développée à l’écoute de certains artistes de variété française, Charles Aznavour par exemple a une place importante dans son répertoire musical. 

STREET

Maes personnifie la Street pour lui prouver qu’il y est particulièrement attaché. Cette figure de style est régulièrement utilisée par les rappeurs, comme Ninho dans Elle m’a eue ou encore Benab avec J’ai demandé à la rue. Il fait face à ses démons sur le titre Mémoire, une ballade aux paroles pleines de sens. Le morceau bonus Radio est lui aussi chanté, caractère indispensable pour être diffusé sur les chaines nationales. Enfin, le titre nommé Imparfait permet à Maes de terminer sur une note douce et apaisée, de parler d’amour – et de désillusion – en jouant avec les temps. 

Pour sublimer la légèreté de ses chansons, Maes va totalement à contresens sur certains titres en proposant cette fois un rap dur et énervé. Entre les fondants Street et Mémoire se trouve le croquant Elvira. C’est un véritable hymne de guerre qui l’emmène lui et ses proches de continuer à se battre contre les médisants, et à prospérer dans l’industrie. « Vu qu’ils sont bons qu’à parler dans mon dos, j’suis génération Sniper, pris pour cible » dit-il. 

A côté de moi est tout aussi énervé. Pour supporter tous les vices de la rue, Maes a besoin de Dieu, sa famille et son manager à côté de lui – en plus de l’avocate et du « 9 mm ». Enfin, dans un titre sombre et efficace, Maes s’identifie à Marco Polo, marchand et explorateur italien du 14ème siècle. Si les trafics sont différents, les affaires sont toujours fructueuses. 

« J’ai rencontré mes peurs et vaincu mes craintes, j’ai des amis en moins et des rides en plus »

ELVIRA

Pour lier les fondants aux croquants, Chef Maes propose aussi des titres « moelleux » : une matière brute allégée de mélodies. Savoir allier rap et chanson est indispensable aujourd’hui pour les rappeurs. Maes l’a bien compris puisqu’il en fait l’élément principal de sa recette. Sur une boucle de piano, Maes n’écoute pas ce que Les gens disent, et raconte la rue à sa manière. La rue ne va pas sans la Police. Maes est en constante course-poursuite avec le temps, « Matin, midi, soir, usé du bon-char ». La rue est aussi violente et rude, Chromé ou OCB (deuxième titre bonus) en témoignent. Les textes de Maes sont très imagés et immersifs : « j’entends les balles qui ricochent dans les rues de ma ville »

Dans le titre Etoile¸ qui aurait pu faire office d’outro, l’artiste reprend la célèbre citation d’Oscar Wilde : « Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec on atterrit dans les étoiles ». Si son échec est la prison, Maes est tout de même arrivé à faire partie des meilleurs de ce rap jeu. Son ascension n’est surement pas terminée. 

DISTANT, feat. Ninho

Mais un ingrédient – et non des moindres – manque jusqu’ici. Il s’agit en effet des featurings. Si l’album n’est pas « porté » par les feats, LDS n’est que meilleur une fois qu’on y a gouté. Maes a pour l’occasion invité les trois cadors du rap français. Le premier est Ninho, le « Drake français » selon le journaliste Mehdi Maïzi pour DIstant. Le 93 a également croisé le 13, nommé Jul, pour livrer un morceau aussi efficace qu’une frappe de Dybala. Et la dernière sucrerie c’est Booba. Si Blanche est considérable comme un « Madrina 2.0 », il témoigne néanmoins de la superbe entente entre les deux rappeurs.

Des véritables chansons et du rap brut, des paroles crues et des thèmes plus tendres, des flows saccadés et des refrains entrainants, Les derniers salopards connaissent la recette de la réussite. Maes est un rappeur, mais pas que. Dans le dernier épisode de l’émission On The Corner, nos confrères de chez Yard sont partis à Sevran pour rencontrer Maes et tous les talents de la ville. Le producteur et salopard Bersa a fini par dire que Maes « pourra se mettre dans la grande variet’ » plus tard avec son talent. Le 16 valide.