Belle, riche, impressionnante mais surtout cosmopolite, la ville de Paris est une capitale artistique sans pareille. Au-delà de l’architecture ou de la mode, Paris est très démonstrative sur le plan musical, en particulier dans la musique urbaine. En effet, depuis les années 90 et l’explosion du rap, un nombre très important d’artistes parisiens ont contribué à l’essor de ce genre musical. Entre passions et désillusions, fiertés et évasions, la ville Lumière est très souvent citée et racontée dans les paroles de ses rappeurs.

Paris intra-muros, un berceau du rap français à l’identité singulière

Paris est une mine d’or musicale. De nombreux talents sont nés aux détours des avenues et des ruelles parisiennes. Ils connaissent leur ville à la perfection et la racontent. Alpha Wann, Sneazzy, Lomepal ou encore Big Daddy Jok’ sont des exemples de produits de la capitale. Paris est aussi formatrice de collectif, à l’image de l’inoubliable Sexion d’Assaut, du fameux $-Crew ou encore du jeune Panama Bende. Sans oublier L’Entourage qui représente à merveille le Soixante-quinze.

« Rue de la Roquette le soir les saoulards refont la prise de la Bastille,
les filles sans culotte se soulagent sous l’emprise de la pastille »

Nekfeu, Titi Parisien

Un des premiers rappeurs parisiens de souche à connaitre un véritable succès est sans aucun doute Doc Gynéco. A travers son morceau Dans ma rue, extrait du célèbre Première consultation (1996), le Doc raconte sa ville à travers ses habitants et leurs habitudes, les différentes ambiances, mais aussi les nombreux vices qui s’y trouvent. A la première écoute, Paris ne semble pas être très accueillante, mais il parvient à la rendre sympathique à travers sa mélodie et les différents instruments.

DOC GYNECO, DANS MA RUE

D’autres rappeurs suivent la même voie et présentent Paris avec ses débauches. Moha la Squale, jeune rappeur parisien, se concentre sur son quartier : « Ma gueule bienvenue à la Banane / Ici ça vend d’la came, ici ça tire, ça t’pète ton crâne / C’était pas triste, c’était la street / C’était La Squale sur Rue Duris, La Squale, l’amour du risque ».Mention spéciale au discret et indépendant Hugo TSR, rappeur du 18e arrondissement, qui produit un rap conscient et un lyrisme qui marque l’auditeur. A l’image du héros d’Alfred Hitchcock dans Fenêtre sur cour (1954), Hugo observe le 18e à travers sa Fenêtre sur rue : « Un clochard passe, un d’ceux qu’on a pas vu d’puis des mois / Tout l’monde le pensait mort, normal il est trop pauvre pour avoir mis les voiles. ».

« La ville est tellement grande, j’m’y perds, 
mais j’aime sa putain d’atmosphère ambiante »

Jazzy Bazz, 64 mesures de Spleen

Paris est art, Paris est dure mais Paris est fière. Et ses rappeurs changeraient leur capitale pour rien au monde. En effet, ils sont marqués par une empreinte indélébile, et sont attachés à cette ville et à ses symboles (le club de football notamment) comme nul autre. Bien que Jok’air « fait tapiner [sa] Marie dans tout Paris Sud », il « rêve de briller comme Paris la nuit »avec ses anciens acolytes de la MZ, Les princes. Le rappeur du quartier de Belleville, Mister You, rend très souvent hommage à sa ville, en particulier dans Les p’tits d’chez moi, extrait de la mixtape Mec de rue (2010) : « Les petits de chez moi ils bicravent tous du Taga / Ils crient tous Paris c’est magique, Paris c’est Zoogataga ». Un autre rappeur, Seth Gueko, est lui aussi un fan inconditionnel du rap parisien, et il le montre dans son titre nommé Titi parisien, featuring Oxmo et Nekfeu : « Ça c’est du rap de titi parisien / Et niveau texte on est les best sans fausse modestie » mais aussi « Parisien à tête de chien / Ouais mais Parigot, bête de flow ».

LES PRINCES, MZ

Le Grand Paris, une extension inévitable et remarquable

Mais Paris ne se limite pas qu’à l’intérieur de ses murs. En effet, les banlieues parisiennes, rejointes sous l’appellation du Grand Paris, sont une extension inévitable pour présenter la capitale sous toutes ses formes.

La Seine et Marne (77) est représentée par le jeune rappeur RK ou encore les deux acolytes Djadja et Dinaz. La Fouine et Bosh sortent tout droit des Yvelines (78). Le 91, l’Essonne, regorge de talents bruts : Niska, Zola, Disiz, Koba LaD ou encore les deux frères de PNL, qui rendent hommage à la capitale sur leur titre Sur Paname. Booba, Guizmo ou encore Soolking viennent eux des Hauts de Seine (92). La Seine Saint Denis (93) a elle, donné naissance au groupe Suprême NTM, mais aussi à 13 Block. Kaaris, Dinos, Rémy, Vald et bien sûr, le fédérateur Sofiane sont eux aussi originaire de ce département. Lacrim, Kery James et Rohff sont des exemples de représentants du 94, Val de Marne. Enfin, le Val d’Oise (95) apparait à travers Lino, Youssoupha, Seth Gueko ou encore 404Billy. Bien sur, cela reste qu’une liste restreinte des rappeurs à talent provenant des départements voisins. 

« Si on s’dispute c’est pas qu’on n’s’aime pas
juste que notre cadenas est tombé du Pont des Arts »

Dinos, Notifications

La fierté est différente de celle d’un parisien de souche, chacun réside dans son département et met en avant sa propre histoire liée à sa banlieue. Mais Paris ne peut pas entièrement s’exprimer sans ses banlieues, et ces dernières sont toutes dépendantes de Paris. Un titre rend parfaitement compte de cette attache particulière : Grand Parisde Médine, en featuring avec Lartiste, Lino, Sofiane, Alivor, Seth Gueko, Ninho et Youssoupha. Ce titre, qui réunit là crème des parisiens rend hommage à la capitale et sa banlieu. Dans un couplet mémorable, Lino annonce : « En province je suis parisien, j’suis du 9.5 à Paris ». Cette punchline décrit à la perfection la dualité décrite auparavant et la fierté qu’il en sort. 

GRAND PARIS, Médine

Paris et ses banlieues se sont imposées comme un important centre d’intérêts et d’influence dans divers milieux artistiques. Toujours dans le même titre, une punchline revient à plusieurs reprises : « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde »Devenue incontournable, elle a même été reprise par Kylian Mbappé lors de son passage à l’émission Sneaker shopping du média américain Complex. La banlieue est en effet incontournable. 

FREESTYLE PSG, Niska

D’autres artistes du Grand Paris rendent ainsi un hommage à la capitale. Le titre de Niska sobrement intitulé PSG est incontournable, la fierté du maillot est très importante pour les passionnés du ballon rond parisien. Dans un tout autre registre, Oxmo Puccino, le « Jacques Brel du hip-hop », a dédié une chanson à sa ville de cœur, Pam Pa Nam. Il y décrit un Paris à toute vitesse, clos, difficilement accueillant : « Une créature de bitume, sa voix ferrée te crie dessus / Chuchote au marteau piqueur, les petits cœurs sont des fissures ». L’Homme semble être une fourmi bloquée entre les murs infinis de la capitale et les nuages qui la surplombent. Mais dès lors que le soleil renaît, la vie à Paris est bien plus belle et plaisante : « Magistrale au mois de mai, la joie devient capitale / À demi nues sur les terrasses, les fraîcheurs sont admirables »

« Paris c’est magique pour ceux qu’ont du biff de té-cô »

Ninho, Paris c’est magique

Une thématique récurrente dans les textes des rappeurs est la proximité avec la richesse et la « haute-sphère » parisienne. Effectivement, les villes avoisinant Paris sont globalement plus pauvres que la capitale, il y a donc une confrontation presque directe entre ces quartiers et la luxure parisienne. Le rappeur des Yvelines (78), La Fouine, montre cette proximité dans son titre Paname Boss : « À Paname toutes les michtonneuses te l’diront mon frère : Y’a pas qu’au tabac qu’on gratte un millionnaire ! ». Dans son morceau hommage à la capitale, Paris, Rohff aligne d’une superbe manière ces mots pour décrire ce phénomène : « Mélange de crasse, de classe, la plus belle avenue et soirées strass / Paris un extase, et son cœur sous anesthésie / La ville des fantaisies : le ghetto couche avec la bourgeoisie ». A côtoyer cette richesse, la tentation de passer « du bon côté d’la vitre teintée » (Nekfeu, Tempête) grandit et nourrit les lyriques des artistes. Pour certains, la bourgeoisie parisienne possède un domaine réservé, dans lequel les « banlieusards » ne sont pas les bienvenues. Alpha Wann le retranscrit ainsi : « Mes nègres iront au musée quand ils vivront près du Louvre » (Louvre). Il y a ici l’idée d’un cap à franchir avant de pouvoir profiter de certains loisirs. 

Une fuite volontaire, mais temporaire

Bien que Paris soit un eldorado pour les artistes, entre inspiration, moyens et visibilité, la capitale se montre parfois ingrate et oppressante pour ses habitants. Les artistes, continuellement en quête d’inspirations, ne peuvent correctement se ressourcer et souffler dans cet environnement. Dans N17, Sneazzy l’énonce : « Six mois par an à l’étranger, j’dois avouer qu’Paname me stresse J’suis entre Casa, Tokyo, Toronto et Calabasas ». Pour ne pas suffoquer, Sneazzy s’impose de quitter son berceau et découvrir le monde. 

« Ça faisait plus d’un an que j’étais censé enregistrer mon troisième album, et toute l’équipe comptait sur moi. Mais j’arrivais pas à m’y mettre. Alors j’ai fait ce que je sais faire de mieux : fuir » 

Nekfeu, dans son film Les Etoiles Vagabondes

Son ancien compagnon de route a lui aussi été touché par ce besoin de départ. Cette thématique est en effet un point clé du film Les Etoiles Vagabondes, réalisé par le brillant Syrine Boulanouar, qui retrace la fabrication du double album de Nekfeu sorti en juin dernier. Le fennec révèle dans ce dernier qu’il ne trouve plus l’inspiration dans la frénésie parisienne. Malgré un séjour près de sa famille en Grèce, il revient à Paris sans avoir soigner ses troubles. Le syndrome de la page blanche le pousse alors à s’enfuir avec son équipe d’abord à Tokyo, à Los Angles, à la Nouvelle Orleans puis de nouveau à Mytilène, île grecque. « Mais moi c’est en exil que je parle le mieux de ma vie à Paris ». Il justifie ainsi ce besoin de voyager. C’est en découvrant des cultures, des paysages, des modes de vies et en redécouvrant l’anonymat qu’il brise l’indésirable page blanche d’un coup de crayon. A la fin du long métrage, Ken se montre soigné et artistiquement accompli. 

 « J’en ai marre de Paname et des coups bas, j’aime m’sentir libre comme Cuba »

2zer, CDGLAXJFKHNDATH

Mais l’attache à la capitale tricolore est trop forte pour partir indéfiniment. Les rebelles sont plus ou moins rapidement rattrapés par leurs attaches parisiennes. Ce retour témoigne du charme que dégage Paris qui envoute ses habitants et ses passants. Le temps et la distance font oublier ses défauts. C’est le cas pour Georgio. Motivé par l’amour, il quitte Paris dans son morceau Héra et délivre : « Aujourd’hui j’ai les idées claires / Je me casse, je laisse Paname dans le flou / Une fois la Tour Eiffel derrière moi, j’avoue / J’ai commencé à douter, Paris on se retrouvera sans doute ».