C’est au beau milieu de Pierrefitte-sur-Seine qu’on a retrouvé le membre de Saboteur au sein d’un décor qu’il chérit beaucoup. Après plusieurs années à suivre Ratu$, il était enfin temps pour nous d’échanger à l’occasion de sa première mixtape : Les miens avant les vôtres, une nouvelle étape dans la carrière de l’artiste de Seine-Saint-Denis. 

Je faisais énormément de morceaux, ce que je fais encore, mais je n’étais pas prêt. Pendant deux ans, je suis allé dans la salle du temps pour m’entraîner et faire plein de morceaux. Puis un jour, tout le monde a été unanime pour dire que c’était le bon moment de sortir un des morceaux que j’avais fait. On n’a pas voulu se prendre la tête dès le début, il fallait que je mette le pied à l’étrier. Je patientais, je regardais les gens autour de moi qui rappaient, j’avais hâte de jouer aussi (rires). 

Exactement. On est proche depuis dix-quinze ans. D’ailleurs, ceux qui sont là depuis très longtemps, parfois, ils me rappellent que je m’occupais du merch de Deen sur sa tournée (rires). On était des amis dans la vie de tous les jours avant le rap, avant d’aller au studio et de développer « Ratu$ ».

Ratu$ par Gabriel Hardy©

Non, je rappais déjà avant. J’avais un groupe qui s’appelait Prototype, avec deux amis à moi Diar et Def Def. Il s’est créé là où nous sommes, c’est pour ça que c’est symbolique pour moi qu’on fasse cette interview ici. Le chemin de la vie a fait que chacun a fini par arrêter. Je me rappelle que Diar avait même sorti un CD. C’était ouf pour nous ! Ça nous avait donné la force de se dire qu’on pouvait arriver à tout produire par nous-mêmes. C’était une époque où on mettait nos morceaux sur Haute Culture (rires). Quand j’ai rencontré les gars de l’équipe, ils étaient déjà dans les bails de Rap Contenders. Ils étaient à fond dans le truc. Puis au fur et à mesure des années, j’ai fini par remettre le pied à l’étrier. Je suis reparti sur une autre dynamique avec d’autres personnes qui connaissent la musique et le business. 

Totalement. Je suis passé d’un joueur de quartier où tu te sens le plus fort, car on te le fait comprendre, à un club structuré où il y a des professionnels et des vestiaires. Ce n’est pas le même sport (rires). Il y a un vrai professionnalisme, une vraie rigueur à avoir et il y a un autre cheminement avant la sortie d’un morceau, là où j’étais un feu follet, je voulais sortir tout et tout de suite (rires). Tu as réappris à jouer. De ouf ! Avec des gestes simples, contrôle-passe, contrôle-passe (rires). Ils viennent d’une école différente de la mienne en termes d’écriture et de flow. Il y a un vrai sens de la rime, là où moi, je suis du 93, donc un rap purement street. J’ai pu perfectionner mon style de jeu tout en gardant ma patte de banlieusard, j’en suis fier ! Plus de poésie et moins de hargne dans mes textes. Ces conseils ne viennent pas que de l’équipe Saboteur, mais aussi de tous ceux qui gravitent autour, car on est des amis dans la vraie vie. On se fait tout écouter. J’aime bien dire qu’on est l’entourage de l’Entourage (rires). 

Cette mixtape, on a pris du temps pour la construire. Je dis « On », mais c’est Alpha le protagoniste, seulement lors des sessions, il y avait du monde et on a pu donner notre avis sur les morceaux bien que c’étaient leurs décisions avec Louis (Hologram Lo’) et JayJay. Ils sont responsables de ce succès. On y a contribué à notre façon et on en est fier. Deux ans avant la sortie, il m’a proposé d’avoir un solo dedans alors que je n’étais pas exposé bien que j’avais fait quelques petits freestyles. Il faut savoir aussi que ce fut le dernier morceau enregistré (rires), la veille de rendre les masters ! Alpha savait ce qu’il voulait de moi. J’ai fait des morceaux que je voyais bien dedans, mais ils n’étaient pas assez puissants. velux, j’avais déjà la prod, mais je n’avais rien écrit dessus. On était au Grandeville Studio que tu connais, il y avait tout le monde dans le salon, j’ai mis un écouteur, j’ai écrit en une heure et je suis allé le poser. J’ai découpé l’instru, tout le monde était en train de sauter dans le salon et Alpha m’a dit que c’était le bon. C’est vraiment un morceau important pour moi parce qu’il m’a propulsé de fou. Dans NOMBRE 38 avec Crones, je dis « avant velux, j’étais à deux doigts ché-la », parce qu’avant d’enregistrer ce morceau, je voulais arrêter la musique. Quelques mois avant, je discutais avec JayJay, un de mes frères à qui je me confie beaucoup, il m’a convaincu de patienter encore un peu et il a eu raison. Après ce morceau, tout a été très vite. 

velux – Ratu$, extrait de la don dada mixtape vol.1

Je ne te mens pas, je n’ai pas le temps (rires). Je ne me vois pas rapper pendant 40 ans. Je pourrais le faire, car je kiffe ça, mais je ne m’y vois pas. Quand je m’entraînais dans la salle du temps, j’ai eu le temps de cogiter. Au point d’avoir tous les noms de mes projets et les featurings que j’ai envie de faire (rires). Je ne savais juste pas quand tout ça allait commencer. Je me disais que si un jour ça démarrait, je me devais d’y aller à fond. Pas le temps pour les regrets, mais il ne faut pas faire n’importe quoi non plus, car ça ne sert à rien de se précipiter.

Franchement, cette période est magnifique. Mon public s’est agrandi et ça m’a fait découvrir la scène. Pour moi, il fallait que j’ai un album qui marche pour pouvoir tourner et finalement non. J’ai été avec Deen en tournée, j’ai fait des scènes solos, Zamdane m’a invité à participer à une cause caritative (SOS Méditerranée), j’ai eu des festivals avec EDGE… Je pensais qu’il aurait fallu plus de temps. Au final, j’ai fait le tour de la France, avec mes reufs, j’ai voyagé, il y a des trucs que je n’aurais sûrement jamais vécu. Ces moments où tu n’es qu’avec ton équipe, m’ont appris la rigueur où tu te consacres 100% à la musique. Quand ton travail, c’est ta passion, tu apprends à souffrir avec plaisir. 

Ratu$ par Gabriel hardy©

Encore plus ! J’ai la chance de rester terre-à-terre, car les gars avec qui je traîne et qui viennent nous saluer depuis tout à l’heure, ce sont des gens qui travaillent et qui ont des métiers parfois compliqués, alors ça te remet vite les pieds sur terre. Je gagne ma vie grâce à la musique, pendant que mes gars font des métiers contraignants. Tant que ton entourage est constitué de gens stables, tu peux gagner des mille et des cents, tu resteras sur terre. 

En vrai, ce n’est pas moi qui ait choisi ce nom (rires), ce sont mes gars qui m’ont appelé comme ça. Même si les rats ne sont pas trop mes amis (rires), j’avais un style de vie de rat, où je prenais des bus de nuit, je mangeais des grecs à 3h du matin (rires). Puis, il y aussi le Ratus qui t’apprend à lire à l’école. Généralement, un nom ce n’est pas toi qui décides, c’est plus ton entourage. Au quartier, on m’appelle So’, il y en a qui m’appelle aussi par mon ancien nom d’artiste, Sekel (rires). Il y a peu de gens qui m’appelle Ratu$ au final, ça fait écho à la question d’avant où ça te garde les pieds sur terre. 

Il y a plusieurs raisons, mais la principale, c’est qu’on est des amis avant tout. On s’est connu, on ne faisait pas de musique, on traînait ensemble. On s’est lancé à peu près en même temps et ça encore plus soudé notre amitié. Quand on s’est retrouvé en studio ensemble, c’était tout aussi fou, car même si on peut être à l’opposé musicalement, on kiffe les mêmes choses. Je suis fan de ce qu’il fait et inversement. La complémentarité fait qu’on ressent qu’on a aucune limite. Si l’un propose un truc à l’autre, ça le chauffera au moins d’essayer parce qu’on se fait confiance. Un morceau comme La Noyade ou J’voulais dans la mixtape, c’est parce que des mecs comme lui m’ont rassuré de tenter ce genre d’ambiance. Je pense qu’on aurait kiffé faire un groupe tous les deux, mais faut savoir tempérer sinon il serait sur tous mes morceaux (rires).

LA NOYADE – EDGE & Ratu$

Ça dépend de qui me le demande, mais je le ferai avec grand plaisir (rires). Déjà, sur le projet Private Club de Jazzy Bazz, EDGE et Esso Luxueux, on m’entend dans les ambiances. Comme Niska quand il l’avait fait avec Feu. De ouf ! Des mecs comme Niska, Gradur Kalash Criminel ou même un 21 Savage, ce sont des mecs qui m’ont grave influencé sur ça. 

En vrai, je vais séparer les US et la France pour cette question. Je me suis bousillé à la West Coast, pour autant, je mangeais des Mobb Deep, des Nas parce que mon frère écoutait ça. Si je devais retenir un album, ce serait The Chronic de Dr. Dre ou 2001, avec le Smoke Tour. C’est intemporel. Je les écoute encore aujourd’hui. En rap français, vu qu’on est très chauvin dans le 93, c’était Mac Tyer, Despo Rutti, Escobar Macson ou encore Alpha 5.20. Sinon, il y avait aussi les grands en général, Salif, Nessbeal, Unité de Feu, LMC Click, ces mecs qui ont fait ce rap et qui ont permis qu’on arrive à en vivre. Ils en vivaient difficilement. Je pourrais passer des heures sur cette question, je suis un gros auditeur de rap avant tout (rires).

Comme c’est une mixtape, je ne l’ai pas travaillée comme un album, car pour moi, un album, ça a une couleur et ça peut être organique. Comme j’avais ce que je voulais sur les TTM$, j’étais très détendu pour ce projet. Là, il y a plus de morceaux, plus de featurings, donc le choix était plus drastique, car je fais énormément de morceaux par projet. Par exemple, pour un EP 7 titres, je faisais 90 sons, pour la mixtape, j’en ai fait plus de 120 pour au final n’en garder que 15. Les choix ont été durs et comme je fais écouter mes sons à la plupart des gars de l’équipe, chacun me donne son avis, et la décision finale me revenait avec le Don qui s’est occupé de la DA de cette mixtape. Il a géré comme un chef d’orchestre. Il a su trouver l’équilibre dans le projet à la fois dans sa diversité musicale et dans mon approche lyricale aussi. Je voulais être plus pertinent. J’avais tendance à dire beaucoup de gros mots sans m’en apercevoir, je voulais être tout autant agressif sans forcément avoir besoin de mots aussi forts et violents. Je suis content, car je ressens mon évolution. 

CR (feat. Kalash Criminel) – Ratu$

J’avais un blocage psychologique de rappeur, et je pense que beaucoup l’ont eu, du « je ne sais pas chanter », « je ne chante pas bien » ou encore « pourquoi chanter quand je peux inviter un chanteur ? ». Despo disait « ils leur faut un feat pour cacher leur faiblesse technique » (Underground Music, ndlr) et c’est réel. J’ai eu ce truc-là. Les premiers morceaux avec EDGE, je me disais que je n’avais pas besoin de chanter, car il chante trop bien, sauf qu’il y a une infinité de façons de chanter. Je sais que je ne serai pas un Monsieur Nov, mais je peux apporter de la variation à ma musicalité et mon rap. Je ne voulais pas être le vieux con cantonné à rapper tout droit. Et puis comme on en parlait hors interview, j’écoute de tout. Je me suis mis à tenter et à la longue, j’ai pris confiance. Et Le Don, à la base, c’est un chanteur de gospel, donc il a su m’aiguiller comme il faut. C’est lui et Lama qui m’ont dit que sur cette prod, il fallait que je ne rap pas dessus.

À ce moment-là, un ancien entraîneur de foot de Ratu$ est venu nous saluer. « C’était un très bon footballeur, mais il n’a pas percé malheureusement. Il m’avait promis une voiture, mais bon, ce n’est pas grave. » (rires). 

Tous les premiers albums des artistes que j’écoutais m’ont marqué. Quand j’entendais « premier album » ça sonnait fort pour moi. Des mecs comme LIM, Salif, Tandem et j’en passe ont marqué un temps dans le rap français avec leur premier album. Puis, j’ai vu comment mes gars se sont appliqués pour faire leurs albums. Le temps qu’ils ont pris et cette recherche d’excellence qu’ils ont effectué, quand tu es dans cette école-là et que t’es bousillé par ça, tu ne peux pas arriver demain et dire : « c’est mon premier album ». Il te faut une certaine maturité et aiguiser tes katanas. Je ne veux pas regretter ce premier album, je veux le faire dans les règles de mon art et dans lequel j’ai évolué.