« Ceux qui respectent le règlement ne le respectent pas correctement » pouvait-on entendre dans Gère tes affaires de 5 Majeur par Nekfeu, mais aussi en introduction des vidéos du Règlement. Des analyses aux documentaires, en passant par les freestyles, la radio et plus récemment le projet Rules, Le Règlement a su évoluer et proposer de nouveaux contenus avec pour mot d’ordre de garder sa passion.
On est presque 7 ans après la publication de ta première vidéo Django, copie de Nekfeu ?, avec du recul, tu arrives à comprendre qu’elle ait pu avoir du succès ?
J’ai mesuré avec le temps mais ça a été surprenant. Au moment où je publie la vidéo, il n’y avait pas quasiment pas de vidéos ou de créateurs qui parlaient de rap dans le YouTube français. De mon côté, je n’imaginais pas que des gens voulaient ce type de contenus et que ma chaine rencontre un succès dès sa première vidéo. C’était assez improbable.
Combien de temps peut te prendre une vidéo d’analyse d’album ?
Imaginons que si j’essaye de faire au mieux et au plus vite, je peux arriver à en produire une en deux semaines, mais généralement, c’est plutôt un mois. Ça me prend autant de temps car je fais tout, tout seul. Par exemple, le montage ça peut me prendre deux heures par minute de vidéo. Récemment, la vidéo sur les Red Hot Chili Peppers, elle m’a pris 3 mois parce qu’elle dure une heure. J’ai dû y passer un bon mois et demi sur le montage.
Au vu du temps que ça prend, un documentaire comme celui des Red Hot Chili Peppers, ça doit être un vrai soulagement de le publier à la fin ?
C’est vraiment ça, d’autant plus que je pensais que ça n’allait pas intéresser le public car ce n’était pas dans la lignée des sujets habituels de la chaine. Je me disais vraiment « j’ai passé trois mois sur une vidéo pour que tout le monde s’en foute » (rires), sauf que heureusement ça n’a pas été le cas bien qu’au début, les premières statistiques étaient plus basses que sur une analyse habituelle. Au final avec les partages, les personnes qui en ont parlé, la vidéo a fini par trouver son public.
Avec une vidéo comme celle-là, est-ce que ça te donne envie de t’ouvrir à d’autres styles musicaux sur la chaîne, et à te consacrer autant de temps pour une vidéo ?
Carrément. Après des dizaines et des dizaines d’analyses rap, au bout d’un moment, j’ai besoin parfois de parler d’autres choses (rires). J’essaye d’être plus ou moins à une vidéo par mois, et il n’y a jamais douze albums qui me marquent par an. Il faut que je trouve d’autres sujets. Après, un documentaire comme celui des Red Hot, j’en ferai d’autres car j’ai aimé et j’en ai envie, mais le problème, c’est que je ne peux pas faire que ça car si je mets trois mois à sortir une vidéo, je ne gagnerai plus assez ma vie pour en vivre, vu que les vidéos ne génèrent aucun revenu et que les sponsors préfèrent la régularité. UMG et Warner ont bien mangé sur mon dos (rires). Donc, il faut que j’arrive à bien jumeler mes contenus pour continuer d’aimer ce que je sors.
Et puis, parfois j’ai eu envie de faire certaines analyses, mais je n’ai pas eu le temps avec les autres projets à côté. Cette année notamment, il y a eu Rules à gérer et la préparation de la nouvelle saison de freestyles. Je n’ai pu faire que Garçon de Luther. Mais dans le fond, je fais toujours un peu ce que je veux. Je ne vais pas me forcer à faire une analyse que je n’ai pas envie de faire même si le public s’attend à ce qu’elle sorte. Par exemple, ADC, je trouvais que je n’avais pas spécialement de choses à dire en plus que LMF, vu que beaucoup de thèmes se répétaient. Même à l’époque, j’avais fait une analyse de FLIP de Lomepal, et le public attendait à ce que je fasse Jeannine. J’ai préféré faire UMLA d’Alpha Wann et Projet Blue Beam de Freeze Corleone. J’écoute la communauté mais j’essaye de rester dans mes kiffs. Après si les gens aiment tant mieux, sinon tant pis, au moins je serai resté fidèle à ce que j’aime et à mes envies.
Est-ce que lors que tu publies une vidéo, tu l’as envoyé aux équipes en amont pour éviter certaines erreurs de compréhensions ?
Même si je travaille avec des artistes pour les freestyles, j’essaye de garder une distance. Je n’envoie jamais mes vidéos avant pour éviter les possibles demandes de modifications. Peut-être je vais dire une bêtise dedans, c’est possible, mais c’est moins grave que de se faire influencer par ce dont j’ai envie de parler. Et les artistes avec lesquels je suis le plus proche, je ne pourrais jamais faire d’analyse sur eux, car c’est gênant (rires). Le retour dont je me rappelle le plus, c’est Orelsan. Il m’avait envoyé un mail concernant la vidéo sur Perdu d’avance, ça m’avait touché. C’est toujours gratifiant d’avoir des retours des artistes et/ou de leurs équipes.
Au-delà des vidéos, tu as fait beaucoup d’autres projets : les séries de freestyle, la radio, le merch, les concerts, Rules.. Est-ce que dès le départ tu te voyais faire autant de choses différentes ?
Au début je n’avais pas vision aussi large, les projets sont arrivés au fur et à mesure, je savais juste ce que je voulais faire comme vidéo. Par exemple la radio, je l’ai développé suite à une envie de faire comme sur la chaîne Lo-fi que tout le monde connaît, avec un système de musique en continue sur la chaine. J’ai regardé comment cela fonctionnait, j’ai voulu faire pareil sauf qu’en passant des sons de rap en flux sur ma chaîne, je me faisais strike ce qui a failli faire fermer la chaîne. C’est pour ça qu’on a développé l’application avec des potes, bien que maintenant ce soit terminé.
Après les problèmes avec mes projets, c’est presque toujours bénévole. À titre personnel, c’est ma passion, mais je peux comprendre que mes potes qui travaillent dessus d’arrache-pied au bout d’un moment aient besoin de gagner de l’argent car il faut manger. Puis même bénévolement au bout d’un moment t’en as marre. C’est pour cela que les projets finissent par mourir avec le temps vu que je ne suis pas trop un requin de la finance (rires). Rules a fini par connaître le même sort. Il s’est arrêté en décembre dernier.
Tu parles de Rules, tu expliquais que c’était l’idée de collection que tu avais pour les cartes Pokémon qui t’a donné envie de créer quelque chose de similaire dans le rap, par exemple le duo Wankil a sorti des cartes physiques, pourquoi avoir choisi de réaliser ce projet en digital ?
La réponse est assez complexe. J’aurais pu faire du physique et ça aurait été une bonne idée, mais le digital, c’était pour développer l’aspect communautaire. Si tu avais les cartes blockchain, tu pouvais retrouver tous les gens qui avaient les mêmes cartes que toi et réunir ces passionnés ensemble pour pouvoir les connecter avec l’artiste. C’est ce qu’on a fait. Par exemple, 8ruki était venu discuter avec les collectionneurs de sa carte. Quasiment tous les artistes ont joué le jeu. Parfois, ils offraient des CDs, des places de concert, etc.. et c’était grave facile de faire ça, car c’était en ligne. Si ça avait été en physique, ça aurait été compliqué.
Après tout n’a pas été parfait avec le projet. Il y a un autre côté, sur lequel je me suis un peu trompé. Je pensais qu’on allait pouvoir se connecter à pleins d’autres services et pleins d’autres jeux et au final il ne s’est pas passé grand-chose. Ça a été une vraie déception, j’avais espoir que ça soit mieux que ça. Néanmoins, le projet a été une réussite. On a quand même pu récolter 250 000€ pour les artistes indépendants et on a pu donner plus de 15000€ à des associations.
Le temps permet d’apprendre à mieux se connaître. Cela fait 7 ans que j’ai la chaîne, il y a plein de trucs où je pensais que ça serait une bonne idée que je le fasse, alors que c’était une erreur car cela ne me plaisait pas tant que ça. J’aime bien explorer de nouvelles choses. Rules, en terme de contrat, de légalisation, de compta, c’était une montagne d’administration. C’était un gros projet à gérer, qui demandait beaucoup de taff même si ce n’était pas très visible pour le public.
Parlons désormais des freestyles, qui sont des piliers de ta chaîne. Comment te vient ce concept là sur la chaîne ? Et comment se met en place la première saison ?
J’avais un pote de pote qui avait un label indépendant d’électro qui s’appelle Pain Surprises. Je l’ai rencontré, et comme ils avaient un petit studio, je leur ai demandé si c’était possible de pouvoir faire des freestyles de rap dans leurs studios, et ils étaient partant alors que ce n’était pas du tout leur univers. Ma chaine n’était pas encore très connu, ça devait faire un an que ça existait, et j’ai contacté tous les artistes que j’aimais bien et que j’avais envie de faire venir. Ils ont quasiment tous accepté l’invitation. J’ai essayé de faire quelque chose de propre même si c’était encore très amateur. J’ai mis une ambiance avec des néons, on m’a prêté deux caméras pour faire deux points de vue et on enregistrait au studio en direct.
Comment tu organisais les venues des artistes ?
Au début c’était un peu sur le tas. Je proposais des jours de studio et j’essayais d’en caler le plus possible. Pour la saison 2 on s’est professionnalisé, on avait un vaisseau spatial qui immobilisait le studio donc il fallait que tous les artistes passent dans les deux semaines où le vaisseau était présent. Ce qui ne les arrangeait pas forcément avec leur créneau de promo. D’habitude, ils contactent les médias pour passer dedans, là c’était moi qui les contactait pour qu’ils viennent.
Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont surpris en acceptant ou en terme de performance ?
Guizmo, j’étais grave heureux qu’il accepte surtout que c’était un de mes artistes préférés. Il est arrivé, il avait un peu bu, il se demandait ce qu’il devait faire (rires). Quand il a capté que c’était un freestyle, il a découpé ça, alors qu’il ne connaissait pas la prod. C’était assez incroyable. Il a trop de talent. Pour faire des freestyles avec des têtes d’affiches comme le font Colors par exemple, faudrait que être à leur dispo et avoir un studio prêt à les accueillir au moment où ils font de la promo. Moi, je fais ça en indé, ça ne m’intéresse pas de faire ça. Puis, j’ai envie de faire découvrir des artistes que j’aime et que le public ne connaît pas forcément.
Sinon je me rappelle d’une anecdote avec Luv Resval. Il était présent sur la saison 2 du vaisseau. Lors de la saison suivante, j’avais fait venir Savage Toddy, son frère. Il est venu avec Luv et leur manager Cokein. Savage fait son freestyle et malgré des créneaux serrés, il le finit avec un peu en avance. Cokein propose alors de refaire un freestyle de Luv. Il n’avait rien préparé. Il a trouvé une prod dans son téléphone, il a écrit, repris quelques textes qu’il avait, réalisé quelques modifs, et quelques minutes après, le freestyle est terminé. C’est devenu Règlement Rouge, qui est un des freestyles les plus regardés. Quand tu as du talent, sur cet exercice-là, ça ne trompe pas.
Avant qu’on parle de la nouvelle saison, quel bilan tu fais des saisons précédentes ?
Pour moi, ça a été comme un rêve. Ma chaine consistait à faire des analyses dans ma chambre des albums que je kiff, et là je me suis retrouvé dans des studios avec les artistes que je préfère qui rappent devant moi. Les freestyles, c’est le plus gros kiff que j’ai eu sur ma chaine. Avec du recul, il y a eu des freestyles très bouillants et d’autres en deçà, et certains sont devenus historiques, je trouve, comme celui de Népal. Au bout de quatre saisons, je pensais avoir fait le tour du concept, et fait passer les artistes que je voulais voir. Quand je me suis mis sur la nouvelle saison, je voulais un truc complètement différent.
Cette nouvelle saison amène justement un concept original où les rappeurs performent dans des maps de jeux-vidéos, comment l’idée est venue ?
Dans le fond, je pense que c’est une idée que j’ai en moi depuis plusieurs années, juste, comme ça me semblait irréalisable et au-delà de mes compétences, je ne l’avais jamais vraiment développée. Au final, elle germe au moment où je me dis que, si nouvelle saison il y a, il faut que je change complètement d’ambiance et de décor. Je me suis dit : « Quels sont les décors et les lieux qui me feraient le plus kiffer ? », j’ai directement pensé à des décors de jeux-vidéos comme la Place Delfino de Mario Sunshine. Ce sont des endroits que j’adore mais qui sont virtuels. J’ai rencontré une boite de prod sur un tournage (Omar Films s’est occupé de la production, et Orage Studio de la post-production de cette nouvelle saison, ndlr) qui pouvait bosser sur le projet, et j’ai commencé à bosser dessus en décembre 2022.
Comment tu as choisi les maps ? Est-ce que ce sont les artistes qui te les ont soumises ou c’est toi qui a apporté celles que tu voulais ?
L’idée de base, c’était d’emmener les artistes dans les maps qui ont marqué mon enfance, c’est pour cela que dans le trailer, j’allume une Game Cube, qui était la console que j’avais petit. L’idée était d’aller dans les jeux de cette époque, des années 2000 comme Mario Sunshine, Tony Hawk, Sonic Adventure 2… J’ai fait une liste avec les maps qui étaient cool à développer dans ces jeux pour la présenter aux artistes. Certains se sont vraiment reconnus dans ces univers, et d’autres ont proposé leurs jeux comme Bu$hi qui voulait être dans Kingdom Hearts, même si je n’y ai jamais joué. Au final il y a eu un peu les deux.
Question horrible mais quelle est ta map préférée de cette saison et ton freestyle préféré ?
Ma préférée, je pense que c’est Mario Sunshine car c’est celle que je voulais faire et la voir réalisée, fait que je ne peux que l’aimer. J’aime beaucoup aussi celle de 007 : Nightfire avec le téléphérique dans la neige. C’est un jeu que j’ai poncé avec mes potes. Après, mon freestyle préféré c’est celui de Selug sur la map Zelda. Déjà Zelda a été important pour moi, c’est ma franchise préférée et je trouve le son incroyable.
Quels sont tes projets à l’avenir, que ça soit sur ta chaine ou en dehors ?
Mon envie est de me recentrer sur la création de vidéos car c’est ce que je préfère faire, et j’aimerais refaire quelques documentaires comme les Red Hot. Après j’en ai tourné un aussi comme j’avais pu faire avec Zuukou Mayzie, donc de belles choses arrivent. Et sur le plan personnel, j’aimerais beaucoup explorer ma créativité et faire plus d’animations. Je voudrais me développer un peu plus là-dessus que ça soit en 3D ou 2D à la South Park. Même pourquoi pas, travailler et explorer le domaine de l’animation, voire de la fiction.