En plein cœur de Châtelet à Paris, une voix chaude résonne. Pendant les répétitions de sa Cigale dans l’enceinte culturel de la Place du Hip-Hop, le 16 est allé échanger avec A2h pour la sortie de son double album : Une rose et une lame. C’est dans une loge proche de la scène où l’artiste et ses musiciens qui l’accompagnent répètent, qu’A2h nous emmène pour développer sur ce nouvel album. 

A2h fait partie de cette « génération de préservant » de la scène parisienne. « Cette bataille a fini par payer à l’instar d’un Ichon, d’un Georgio ou d’un Luidji. On est une génération de préservant. On a enchaîné des projets qui n’ont pas spécialement marché mais on a quand même continué, et le temps a fini par payer ». Après plusieurs projets, A2h a fini par rencontrer un franc succès notamment avec le morceau Le cœur des filles, présent sur Rédemption en 2020. Un projet charnière dans la carrière de l’artiste parisien aux origines espagnoles et malgaches qui a su toucher un plus large public tout en gardant ses fidèles. Si jusqu’à présent, il avait mélangé dans ses projets, les morceaux rap et les morceaux pop et RnB, A2h nous confie que ce double album a pour but de mettre en avant ces « deux facettes bien distinctes pour que ce soit plus clair » à la compréhension. 

À quel moment tu te dis que ce sera sur un double album ? 

Je me suis rendu compte que les morceaux qui prenaient dans mes projets, venaient être un reflet de ma musique pour les gens. Seulement ce n’est pas le cas. Il y en a qui pensaient que dans Amour, il n’y avait pas de rap, que dans Rédemption, il n’y avait pas de RnB parce que Le cœur des filles n’a eu un succès bien après la sortie de l’album. J’avais l’impression que le mélange de mes morceaux faisait une fausse idée du projet, donc j’ai eu envie de séparer les deux facettes. 

L’artiste nous fait part alors de la séparation du projet : une rose, pour son côté plus doux, chanté et qui parle des femmes, une lame, pour le A2h plus dur, qui rappe. Pour lui, son public pourra aussi choisir sa version préférée d’A2h s’il en a une et écouter par curiosité l’autre partie : « Je me suis dit que c’était peut-être plus simple pour les gens de consommer ma musique quand les deux facettes sont claires ». 

Quelles sont les symboliques de la rose et de la lame ? 

Pour la rose, il y a ce côté Don Juan, avec le gentleman qui arrive avec un bouquet. Un peu cliché mais qui ne se démodera jamais La rose a cet esprit de romance et une part plus sombre aussi, avec les roses que l’on peut mettre à un enterrement. La rose a une image forte. Pour la lame, c’est ce côté incisif, au sens propre comme au sens figuré. J’ai connu des violences dans ma vie et on est là pour les kicker. Je trouvais que c’était la bonne allégorie et que cela faisait un peu comme un titre de roman, un peu classe. 

Quelle est ta définition de l’amour ? 

S’abandonner et dépasser ses limites pour l’autre. Affranchir ses barrières. C’est limite avoir plus confiance en la personne qu’en toi-même. L’amour on ne le retrouve pas uniquement que dans un couple, on le retrouve aussi dans l’amitié et la famille. 

Si l’on entre dans l’amour passionnel, celui-ci peut le découper en trois phases : la passion, l’excitation et la déception. Cette dernière est celle qui booste le plus la créativité de l’artiste : « Parfois, je me retrouve dans des bourbiers personnels en terme de relationnel, et ça m’inspire énormément. Est-ce qu’inconsciemment je fais exprès de m’y retrouver, je ne sais pas. C’est plus facile d’écrire quand on est triste. Il m’est arrivé d’écrire des textes avec la larme à l’œil ». Néanmoins, l’artiste parisien tenait absolument à apporter une touche plus joyeuse du sentiment par rapport à ces anciens projets. 

La particularité de sa partie « Une rose » est la forme storytelling qu’a donnée A2h en essayant de faire une histoire : « Le projet commence par le fait que j’offre une rose et se termine par un Au Revoir ». Bien qu’il ne l’avait pas pensé comme cela en créant ses morceaux, c’est en structurant le projet que lui et son équipe se sont rendus compte qu’ils pouvaient former une histoire. 

« Je suis un mec du rap, c’est mon ADN, mais aujourd’hui j’ai cette volonté de faire des grands écarts musicaux »

Avec la diversité musicale que tu proposes, comment on se positionne au sein de la scène rap ? 

En France, il n’y a que très peu d’artistes qui se permettent des écarts comme ceux que je peux faire. C’est dommage, surtout qu’il y en a qui s’y essayent mais que pour un morceau alors qu’il y a tout un univers à creuser. Aujourd’hui, je peux faire de la pop, me retrouver avec de vrais guitaristes et jouer sans me casser la gueule. Mais je peux me mettre autour d’une table avec des Benjamin Epps, des Alpha Wann ou n’importe qui pour kicker sans me casser la gueule non plus (rires). 

Si tous les morceaux ont été enregistrés dans le Palace Studio (studio d’A2h et de son claviste, ndlr), il y a une vraie diversité musicale qui se dégage. L’ensemble de l’équipe, A2h compris, sont multi instrumentistes : « Le fait d’avoir séparé les deux facettes m’a permis d’aller encore plus loin dans la musicalité, et de permettre à tout le monde de ramener sa vibe et différents instruments ». Parmi les incontournables, un piano voix fait son apparition, Ballade pour une tox, tout comme sur Rédemption avec Angoisse. Le 16 a fait part au départ de sa crainte lors de sa première écoute du « classique piano voix » qui se veut parfois lourd dans un projet, mais la surprise fut grande à la fin de cette écoute. A2h nous explique : « Le morceau je l’ai vraiment pensé pour éviter qu’il soit ‘le morceau piano-voix plombant’ qu’on peut avoir dans les albums aujourd’hui. J’avais déjà fait Angoisse qui était un piano voix très premier degré, pour celui-là, je voulais mettre plus de légèreté ».

« Ici il n’y a que des grands garçons, pas de boloss en quête de sensations » – Grands Garçons, feat. Prince Waly

Loin des personnages, sa musique lui ressemble, et l’attitude gentleman fait partie de la nature et de l’éducation du parisien : « Je reste entier, je ne joue pas de personnages que ça soit dans ma vie de tous les jours ou dans ma musique ». Cette attitude Sex, Drug and Rock&Roll lui colle à la peau au point d’en devenir l’essence même de son écriture. 

Les femmes sont au cœur de tes textes, à l’instar d’un Marc Lavoine, peut-on y voir un lien ?

(rires) C’est ce qu’écoute ma mère au quotidien ! Cette variété très classique : Marc Lavoine, Francis Cabrel, Alain Souchon, Laurent Voulzy, on en écoutait énormément à la maison, et je pense qu’artistiquement j’en ai ingurgité des traits. Ces textes, cette façon de chanter l’amour, cette variété-là fait clairement partie de mon bagage et des influences culturelles que j’ai pu avoir. J’écoute beaucoup de variété d’aujourd’hui : Eddy de Pretto, Yseult, Pomme. J’adore ce qu’elle écrit. Comme je le dis souvent sur elle, c’est l’exact opposé de qui je suis. Je pense qu’on a des vécus totalement opposés mais elle chante des choses qui me touchent. C’est la magie de la musique. 

En parlant de variété, tu as fait une reprise de Eddy Mitchell dans ton projet précédent, Couleur menthe à l’eau, comment est né ce morceau ? 

Le morceau original est génial. Cette reprise est vraiment partie d’un délire. Je commence à la chanter pour faire marrer mes potes en répétition. Mon calviniste le prend très au sérieux et me dit de le mettre dans l’album. On arrive au studio, il fait écouter la maquette à mon ingénieure du son, qu’elle a validé. Je l’ai posé au propre et il s’est retrouvé dans l’album. Je me suis dit que ça serait marrant de le faire à la “retrowave” (ou “synthwave”, ndlr), en mode The Weeknd mais avec cette voix crooner comme Eddy. Son management ils ont aimé notre reprise, c’est pour ça qu’ils nous ont laissé la faire, après je ne sais pas si c’est arrivé jusqu’à lui. Après quelques échanges avec lui, il en vient par nous donner ce qui s’apparente à un objectif : « Ce qui serait fou, c’est que je me retrouve à faire le morceau avec lui dans une émission comme Taratata. J’aimerai bien aller dans des émissions comme celle-là. Même si elle n’est pas pensée pour, ma musique a dans son esthétisme pour vocation de séduire un public plus large ». 

Le spectre musical d’A2h est le fruit d’un cumul d’inspirations. Du rap à la variété, en passant également par la pop et son roi Mickaël Jackson, la diversité de l’artiste peut offrir aux auditeurs différents voyages à chacun des morceaux. Le morceau avec Monsieur Nov intitulé Savage, nous a fait penser à Earned It de The Weeknd : « C’est une inspiration, je respecte beaucoup The Weeknd. Il a une esthétique de dingue. Je kifferai bosser avec un mec comme lui, même pas en tant que rappeur, mais en tant que musicien. Je me retrouve de fou dans ce genre d’univers ». 

Enfant du hip-hop, A2h délivre une deuxième partie où kickage et exécutoire sont de la partie. Cette volonté de consacrer une partie uniquement rap, bien que les influences s’entremêlent, a permis à l’artiste de se libérer. Dans cette nouvelle partie, il a invité Abou Tall, Prince Waly et Benjamin Epps. Quand on lui demande la raison de leurs présences, A2h nous a répondu ceci : « Pour cracher des flammes j’ai directement pensé à Prince Waly. Benjamin Epps, c’était une évidence. Abou Tall, j’aime beaucoup ce qu’il fait et au-delà du respect que j’ai pour sa musique, il représente une école. Toute son équipe et les proches de la Sexion, c’est des gens que je connais et dont j’apprécie l’école ». Après des années de connaissances, A2h et Prince Waly ont fini par se retrouver pour réaliser enfin le morceau qu’ils doivent « faire depuis dix ans ». L’histoire du morceau avec Benjamin est différente : « Au départ, j’avais adoré la prod et j’avais posé un couplet, je l’ai appelé pour lui proposer de rapper sur le morceau, qu’il a accepté. Il est passé à Paris, et il a posé dans la chambre d’hôtel (rires). Quand on fait un morceau sans refrains, avec un passe-passe, une prod bien boom-bap, il n’y a pas de calculs ».

« Je ne suis pas dans un calcul commercial, je suis dans un kiff, quand j’invite un artiste c’est pour faire de la bonne musique avec lui » – A2h

Au-delà de Waly et de Benjamin, il y en a d’autres artistes auxquels je pense, mais c’est plus compliqué d’un point de vue agenda ou de responsabilité à faire. Par exemple, Alpha (Wann, ndlr) j’aimerai l’inviter, j’adore ce qu’il fait, on se connaît, mais il se mélange très peu, il choisit bien ses apparitions donc réussir à caler dans son agenda, et que ça soit justifiable auprès de sa promo à lui, c’est plus compliqué. Pareil pour Josman, je le connais depuis qu’il est petit. Il était même figurant dans mes premiers clips, il était là à faire « yo yo » derrière moi avec son ancienne coupe (rires). Vald aussi, on a fait des freestyles ensemble, des morceaux aussi qui dataient et qui sont sortis qui ont été retirés depuis car ça traînaient sur d’obscures mixtapes (rires). Même Orelsan, Damso ou Nekfeu, ce sont tous des gars que je pourrais inviter, on se connaît et ils aiment ce que je fais, mais tout ce qui est management, plannings, ça devient tellement complexe de les avoir que je préfère écouter leurs musiques quand elles sortent. Je ne veux pas rentrer dans le bourbier de l’invitation (rires), alors qu’en vrai, peut-être qu’on trouverait le temps, mais je n’ai pas envie de me prendre la tête. 

Pour ce projet, tu coupes la poire en deux, mais est-ce qu’à l’avenir tu te verras te centrer que sur une seule partie ou garder cette musique multifacette ? 

Je pense que je vais garder cet aspect multifacette, parce que j’adore rapper bien que l’autre partie commence à vraiment prendre le pas. Je prends plus de plaisir en studio à faire un morceau comme la Bachata où l’on fait de l’expérimentation et de la fusion (rires). Puis j’adore chanter, il restera quand même ce petit flow rappé dans ces morceaux. J’adorerai toujours rapper mais le défi de mieux chanter, de mieux jouer de la guitare, c’est une excitation qui n’est pas la même.

Question cruelle : mais si tu devais ne garder qu’une seule des deux parties, tu gardes la rose ou la lame ? 

(rires) En fait, j’aime vraiment les deux de dingue. Mais il y a deux morceaux sur la partie Une Rose où j’ai vraiment réussi à aller plus loin que d’habitude. Sur l’intro, j’ai fait un morceau de New Soul où je chante vraiment à la D’Angelo, on a vraiment réussi à faire un vrai morceau de R&B. Je suis hyper fier de ce morceau et je suis hyper fier de la Bachata aussi. Je suis à moitié espagnol et moitié malgache et j’avais envie de faire un morceau où je chante en espagnol. Je l’ai envoyé en Espagne et en Amérique Latine auprès des gens que je connais et ils l’ont grave kiffé. Ils en écoutent toute la journée, de la vraie, traditionnelle, et le fait qu’ils aient validé, ça nous a vraiment confortés dans l’idée qu’on pouvait en faire sans que ça soit vulgarisé par juste “une reprise de codes”. Donc rien que pour ces deux morceaux, je dirais Une Rose, bien que j’adore l’autre partie. 

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter à part Taratata avec Eddy Mitchell ? 

Un disque de platine et un Bercy (rires). Après, j’en ai rien à foutre des chiffres. Si je ne fais pas « les chiffres », je ne vais pas arrêter ma carrière. Le fait qu’il y ait un album d’A2h l’année prochaine, l’année d’après, et encore après ne dépend pas des chiffres. Mais on espère toujours en faire, juste je ne fais pas partie des gens qui en dépendent. Jamais j’arrêterai, on se bataille chaque année un peu plus que l’année d’avant jamais on s’arrêtera par rapport au chemin parcouru.