Il y a des univers où les parallèles sont parfois surprenants et d’autres, comme celui entre le rap français et Batman, où cela semble presque évident. Il est grand temps de plonger dans la noirceur des ruelles de la ville de la chauve-souris et de comprendre pourquoi le rappeurs les aiment et à qui s’identifient-ils…
« Batman, c’est pour les gosses, crois pas aux histoires de chauves-souris » – philly flingo, Alpha Wann
Souvent décrit comme un super-héros, Bruce Wayne ou Batman, s’approche plus de l’anti-héros : aucun super-pouvoir, agis généralement seul, se cache dans la pénombre à l’abri de la lumière du succès, sans avoir de réelles limites si ce n’est d’éviter de tuer. Créé par le dessinateur Bob Kane et le scénariste Bill Finger, il apparaît pour la première fois en 1939 dans les comics Detective Comics. Orphelin, il se construit également en opposition à Superman bien qu’allié à leurs heures perdues.

Si les comics ont développé un univers où se mêlent enquêtes, psychologies de personnages et méchants extraordinaires et particuliers au point que ces derniers ne se retrouvent jamais en prison, mais dans un asile psychiatrique, c’est son arrivée sur les écrans qui l’ont rendu si populaire. D’abord, en série télévisée avec Adam West dans le rôle du héros à la fin des années 60, mais ce sont les films de Tim Burton qui rencontrent un vrai succès avec Mickaël Keaton dans le rôle principal, puis ceux de Christopher Nolan entre 2005 et 2012 avec Christian Bale en chauve-souris. À noter également l’excellent retour du justicier de l’ombre en 2022 avec Robert Pattinson et que la série Gotham qui se déroule pendant l’adolescence de Bruce Wayne et la montée en puissance de ses futurs ennemis apporte plus de profondeur à l’univers et qu’un d’s personnages de la série a eu le droit à une référence par Mig : Barbara Kean.
DANS LES RUES LES PLUS SOMBRES…
Ce qui fait le charme de l’univers de la chauve-souris, c’est la quête constante d’éclaircies que ça soit dans une ville régulièrement plongée dans le noir et l’âme de Bruce Wayne inlassablement obscurcie par le temps et son désir de rétablir l’équilibre nourri par un désir de revanche sur la vie, comme s’il était déjà mort de l’intérieur et qu’il attendait d’en finir.
Pourquoi le rap français est temps fasciné par Gotham et son héros masqué ? Il s’agit de son parallèle évident avec les affaires obscures, le fantasme du crime organisé sans oublier ce côté revanchard sur la vie, sa richesse, son côté vengeur, sa soif de justice, et son absence de super-pouvoirs permettant à ceux qui le lisent de s’identifier plus facilement qu’à un Superman.
« Ils ont allumé l’projecteur, tout est noir par ici. » – Gotham, Booba
Bien que la ville fictive de Gotham soit directement inspirée de la ville de Chicago qui est rongée par les clans mafieux et le crime organisé, elle est souvent comparée à la capitale française en raison de son contraste de ville lumière le jour, et une ambiance austère la nuit où règne un climat parfois d’insécurité : « Dans mon quartier, trop d’polices mais pas assez de justice ça ressemble plus à Gotham qu’à Metropolis » (Mentalité, Deen Burbigo). Ou bien ce sont les villes de la banlieue parisienne, imaginée en quartiers de Gotham : « ASB gros dehors, c’est Gotham, ça braque et ça deal car il faut s’nourrir. Quand t’appelles à l’aide, dis-toi qu’c’est trop tard, y’aura pas d’mec déguisé en chauve-souris. » (Avec moi, Limsa d’Aulnay). Alors dans cette obscurité certains choisissent leur camp, celui de la vengeance comme chez Sofiane : « J’traque mes ennemis dans tout Gotham » (Cramé) ou celui de la pègre comme SCH : « Sa grand-mère Bruce Wayne, on fait la neige dans tout Gotham » (Paye), « Moto noire comme à Gotham, feux éteints » (Crois-moi).
…AU PENSÉES LES PLUS OBSCURES
Il n’y a pas que la ville qui est plongée dans le noir, il y a aussi ses occupants et certains d’entre eux terminent au même endroit : Arkham. Peut-être qu’enfant, vous croyez qu’Arkham était la prison de Gotham, pourtant, il s’agit bien d’un asile dans lequel les plus troublés psychologiquement se retrouvent enfermés après quelques méfaits désamorcés par le héros capé. Jazzy Bazz y fait souvent allusion, mais on retrouve aussi l’asile chez Wit., Zeu, Orelsan ou de manière plus cohérente chez Django vu qu’il parle souvent de ses troubles psychologiques et sa peine intérieure : « Ma génitrice m’appelle, me dit que j’ai ma chambre à Arkham » (Pyramide).
« J’parle de botanique, de crime et d’arnaque. Nègre, complet noir, faucheuse, comme le Dark Knight. » – Temps Mort 2.0, Lino
De la Batmobile à son désir de vengeance au logo dans le ciel sans oublier son passé d’orphelin et son âme obscure, le rap français s’en est donné à coeur joie, pourtant, c’est le surnom « Batman » donné aux flics qui est le plus utilisé comme chez PNL dans Je t’haine : « J’marche en speed y’a les Batmans (mal)poli comme Cartman ». Au vu du surnom, le rap français préfère donc utiliser Bruce Wayne notamment, car il y ajoute un aspect réussite monétaire et le côté double vie dans l’outil comparatif : « L’argent, c’est l’meilleur des pouvoirs demande à Bruce Wayne » (Diptyque, Dinos), « J’traîne la nuit, mène une double vie à la Bruce Wayne » (Étoiles invisibles, Orelsan).

Bien que le justicier masqué a quelques compères dans ses aventures comme Robin, Batgirl, le commissaire Gordon, Nightwing ou encore son majordome Alfred, ce sont surtout ses ennemis qui ont rendu les histoires sensationnelles, et certains d’entre eux ont inspiré le rap français.
« Joker dans Dark Knight, j’vais faire sauter toute ta ville. » – Go Go Gadget, Disiz
Si le 667 de Freeze Corleone se sont surnommés : La Ligue des ombres en référence à l’institution gérée par Ra’s Al Ghul qui a formé Bruce Wayne à devenir ce symbole, tandis que Catwoman est citée à des fins sexuelles comme chez Ateyaba dans Django : « Sur la chatte à Catwoman, sur la chatte à Halle Berry », ce sont Joker et Le Pingouin qui obtiennent le plus de références. Le premier, le plus connu de tous ses ennemis, est de nombreuses fois cité pour son sourire et ainsi répondre à une forme d’adversité : « J’ai l’sourire du Joker, joue l’jeu sans les bonnes cartes » (Dounia, Rohff), « Sourire du Joker quand j’suis devant la Batman » (Batman, 1pliké140) ou encore « J’peux te tuer avec le sourire comme le Joker » (Joker, Jazzy Bazz). Le second, moins fou et plus futé dans son relationnel et handicapé physiquement d’où son surnom dû à sa démarche, a su gravir les échelons jusqu’à devenir le maire de la ville : « On s’marrait de moi dans mon p’tit coin, personne va m’voir arriver comme Le Pingouin » (Plus fort, Hornet la Frappe), « Parfois, je m’absente et je reviens, je veux reprendre ma place comme le Pingouin » (Oswald Cobblepot, Mig), « Je suis Bruce Wayne, t’es le pingouin. » (Drapeau noir, Booba) ou encore « J’suis l’dernier des еnculés, j’suis le pingouin dans Batman » (Boogeyman, 404Billy).
« Les rappeurs c’est comme les flics de Gotham : tous pourris. Ta dernière vision sera un Batgun et une chauve-souris. Le meilleur justicier de l’univers DC. Mon blase dans le ciel force le respect » – Batfreestyle, Orelsan
Pour conclure, Batman et son univers récoltent chaque année un lot de nouvelles références parce que l’anti-héros traverse et traversera les générations soit par les films, soit par les jeux-vidéos ou tout autre future forme d’exploitation de la licence. Son obscurité continuera de fasciner et d’être utilisée dans les textes de rap français.