Originaire de Boissy-Saint-Léger, la « Maman piège » comme Caballero et JeanJass ont aimé l’appeler lors de la quatrième saison d’High & Fines Herbes, est devenue une figure importante du paysage du rap français en seulement quatre ans. Rappeuse et entrepreneuse, Le Juiice est sur bien des fronts pour enrichir la culture hip-hop qu’elle chérie tant.
Une de tes premières apparitions a lieu lors de Rentre dans le cercle en 2018, qu’est ce que tu penses de ta performance et de cette expérience avec du recul ?
Franchement, je l’aime bien, ça me fait même rire (rires). Je ne regrette absolument pas. J’aime bien l’énergie avec laquelle j’étais venue, celle d’en découdre. Je n’étais pas du tout sous pression. Ne pas être au centre de l’attention et ne pas avoir d’enjeux professionnels autour de ça, fait que j’y suis allée avec plus de légèreté. J’ai pris du plaisir et j’étais hyper excitée de le faire, mais surtout de bien le faire.
Le Juiice a toujours été une véritable passionnée de rap. Si comme beaucoup d’artistes de sa génération, les clips qui passaient à la TV ont pu la fasciner, son amour pour la culture hip-hop arrive lors du collège où des artistes comme MC Solaar, Passi, mais également les rappeurs du 94 comme la Mafia K1 Fry ou Rohff, finissent par l’accompagner au quotidien. Si elle tombe sous le charme du rap, elle est finalement plus touchée par le R&B et la Soul Music.
L’envie de faire du rap est venue plus tard, j’étais surtout une auditrice. J’étais fascinée par les personnes qui avaient le courage de devenir artiste. J’étais déjà passionnée par cette culture. Quand je commence à m’y mettre, j’étais hésitante et je n’avais pas pour but d’en faire professionnellement. Je me rappelle, j’étais entourée de personnes qui rappaient aussi, on freestylait à la sortie du lycée.
Bien que peu impactante dans ses décisions, la période COVID marque pour l’artiste une période de création, mais surtout le début sa professionnalisation avec l’ouverture d’un studio afin de parfaire son art et de prendre son envol. Par ailleurs, son premier projet, TRAP MAMA, voit le jour un mois avant le confinement et déclenche ainsi le début d’un enchaînement de projets : Jeune CEO en novembre de la même année, ICONIQUE en 2022, Trap Mama 2 l’année suivante.
Plusieurs projets sont sortis en quatre ans, qui permettent de faire entendre de plus en plus fort ton nom sur la scène francophone, quel regard portes-tu sur cette période-là ?
Je suis très fier de l’évolution que j’ai pu avoir, je ne regrette absolument rien. J’aime beaucoup aussi le fait que mon début d’exposition soit aussi en écho avec des choses propres à la culture du hip-hop parce que quand j’ai commencé, j’ai démarré par beaucoup de freestyles. Même si tout est allé vite, j’ai vraiment eu la sensation d’avoir fait mes armes. Je suis fière aussi de mon parcours, notamment sur la notion d’indépendance que j’ai depuis le début. J’avais des doutes, car je pensais que ce n’était pas la bonne formule, mais je me suis aperçue que c’était une chance que j’ai eue de ne pas être confrontée par certaines parties de l’industrie musicale. J’ai toujours cru que c’était quelque chose que j’allais manquer. Tu crois aussi que c’est nécessaire, tu te sens à la ramasse. Quand tu t’y intéresses et que tu te renseignes, tu peux quand même t’en sortir. Pour ma part, j’ai réussi à trouver une distribution qui croyait réellement en mon projet, d’ailleurs, ce fut ma seule et unique distribution. Ils poussent le truc et cherchent à développer mon art. On garde cette liberté de produire notre truc en ayant un support.
Au-delà de ses projets personnels musicaux, Le Juiice a fait résonner son nom de plusieurs façons. Beaucoup ont pu la découvrir en compagnie d’un autre rappeur d’origine ivoirienne : Jok’air, avec qui elle a réalisé plusieurs collaborations de très bonnes factures. « Jok’air est l’un des premiers artistes affirmés qui me donnent un featuring, surtout qu’il le met dans son projet (Jok’Travola, la fièvre, ndlr). Il a eu une vraie envie de me mettre en lumière. Lui et son producteur Davidson, je suis un peu leur petite soeur qu’ils ont eu envie d’aider. Ce sont des grands frères, quand les liens sont vrais, les choses sont plus faciles et moins calculées. Nos liens ont dépassé la musique. Ce sont aussi les premiers à m’avoir donner des conseils et des clefs sur la façon de bien travailler en indépendant. Par exemple, on travaille avec Scopitone qui sont mes attachées presse, ce sont eux qui m’ont dit de bosser avec elles. Ils sont des inspirations pour moi, je les admire beaucoup.
Parmi les événements importants de ces quatre années, il y a eu le morceau AHOO, quelle vision tu en avais à l’époque et quel bilan tu en fais aujourd’hui ?
Au début, je n’étais pas très emballée par l’idée du documentaire et je le refuse pour plusieurs raisons. La première, c’est que je ne ressens pas une vraie volonté hip-hop derrière, le casting était différent et je ressens trop l’idée de vouloir faire un documentaire autour de fortes personnalités et je suis sceptique par le 100% féminin, je n’aime pas l’aspect caricatural de la démarche. Ils reviennent quelques semaines plus tard avec une proposition plus aboutie et j’accepte même si je reste encore sceptique, surtout que je ne suis pas très sociable (rires). Finalement, le tournage s’est extrêmement bien passé et il y a eu un vrai lien entre nous toutes. On a fait un gros morceau même si je n’avais aucune attente autour. On n’aurait jamais imaginé l’impact qu’il a eu, ça a été une vraie surprise. On l’a souvent fait sur nos scènes respectives et c’était génial.
Parlons aussi de ta participation à High & Fines Herbes, lors de la saison 5, comment ça s’est fait et comment as-tu vécu le tournage ? On sentait d’un point de vue extérieur que c’était une grande colonie de vacances.
C’était exactement ça. Tout part d’un message de JeanJass sur les réseaux qui me propose l’émission. Je la connaissais déjà et je kiffais le concept. Ils ont amené un vrai délire inédit pour les pays francophones. Je suis grave contente et grave emballée à l’idée de le faire. J’accepte et je pars tourner avec eux en Espagne. Ce fut le meilleur tournage de ma vie. C’est une ambiance particulière. JeanJass et Caba arrivent à fédérer beaucoup de gens du rap français autour de ce concept. Tu as une maison pendant une semaine en Espagne où tout le rap français passe, c’est des jeux, des conversations et surtout une trop bonne ambiance. Même moi, en tant la seule candidate féminine, j’étais trop bien traitée. J’étais en safe place de fou.
En-dehors de la musique, tu as fondé un média, HOMI TV, quelles étaient tes envies dans ton besoin de créer un média et quelles ambitions tu as autour de ce dernier ?
Je suis une personne qui ne tient pas trop en place. Je fais de la musique, mais j’ai la sensation que j’ai beaucoup de temps libres (rires), donc j’ai eu envie de créer quelque chose en lien avec la musique. Je suis avant tout une auditrice avant d’être une rappeuse, je suis une diggeuse, j’adore les scènes émergentes. J’adore voir les plus petits artistes se créer et se développer. J’écoute les têtes d’affiche, mais ce qui va me faire le plus kiffer, ce sont les artistes émergents. Vu que je suis déjà dans la production, je me suis dit que ça pouvait être cool de créer un média avec des contenus originaux qui parlent d’artistes émergents. Quand tu commences, toutes les portes ne te sont pas ouvertes. Cette frustration est commune à beaucoup de jeunes artistes, dont l’idée était de mettre en avant des talents sans avoir d’intérêt derrière juste de diffuser de la bonne qualité. Je me suis mise à travailler avec des réalisateurs. J’ai rencontré des personnes aussi passionnées que moi pour le faire à fond pour la culture. Cela fait maintenant deux ans que je produis le média et qu’ils s’occupent de la partie visuelle. Quand je vois que nos sélections et nos visions sur des artistes, font que certains fassent Nouvelle École, ça me rassure sur le fait qu’on ne se trompe pas. On peut vraiment se positionner en expert de rap émergeant avec une sélection pointue de rappeurs à suivre.
En cette fin d’année 2024, Le Juiice reprend du service avec un nouveau projet, NOUS ART : MASTERPIECE, une mixtape plus aboutie musicalement, plus long où la rappeuse prend le temps de dévoiler des nouvelles facettes de sa personnalité auprès de son public. « Je voulais partir sur un projet plus abouti et plus pensé, et j’ai pris plus de temps dessus. J’ai eu besoin de mettre un frein à tout, car je commençais à être dans une pression musicale et artistique qui ne me convenait pas. Je voulais prendre mon temps et laisser mûrir mes idées et mes morceaux. J’ai mis six mois à trouver le bon titre. C’est pour cela que je l’ai appelé « masterpiece » parce que j’ai l’impression que c’est la pièce maîtresse d’une grande oeuvre, mon oeuvre.
Tu mentionnes le fait que c’est la pièce maîtresse d’une grande oeuvre, celle qui marque la fin du premier cycle de ta carrière ou le début d’un nouveau ?
Je pense que c’est plutôt un point sur ce qu’est « Le Juiice », c’est-à-dire, un grand puzzle (rires). Toutes ces années m’ont servi à faire mes armes et mes anciens projets étaient des étapes nécessaires pour parfaire ce que je veux faire artistiquement. Ils ont amené qui je suis et cette pièce maîtresse du grand puzzle. « NOUS ART » vient souligner cette culture et cette pratique que je considère comme un art. Je voulais faire le jeu de mots avec « noir » parce qu’il s’agit d’une culture noire de base. C’était un hommage, pour dire que cet art, c’est nous, c’est moi, ça me représente.
Le projet commence avec un featuring, Limsa d’Aulnay, c’est extrêmement rare de commencer un projet de cette façon, là où 99% des projets démarrent par une introduction en solo, tu voulais t’éloigner des cases et des clichés ?
Justement, parce que je n’aime pas les clichés. Je suis arrivée à un stade et tu l’as capté, c’est que j’ai réussi à me détacher de tout le poids que j’avais sur les épaules. On parlait de Rentre dans le cercle où je disais que j’étais détendue, et c’est ce qui me caractérise de base. Je ne suis pas stressée et plutôt sûre de moi. Je n’ai jamais eu peur de revendiquer d’où je viens et qui je suis, même si c’est à contre-courant. En rentrant dans l’industrie, j’ai commencé à me mettre beaucoup de pression. L’année 2022 a été superbe professionnellement, mais mentalement, elle a été très dure. J’étais dans un tourbillon, et j’ai eu la sensation de me perdre, moi, mon identité même si d’un point de vue extérieure, le public ne l’a pas perçu. Quand ça commence à devenir sérieux, tu te retrouves face à plein d’obligations. Je suis une personne assez libre, et rentrer dans un truc où tu dois trop calculer, ça a fini par me stresser et me presser. Pour ce projet, on me disait qu’il fallait une intro, et non (rires). Je voulais démarrer par ce morceau, par ce couplet parce que ça me raconte, je ne voulais pas codifier le truc. Et puis le démarrer avec Limsa me semblait évident. D’High & Fines Herbes, c’est ma plus belle rencontre. C’est un gars de fou, mon meilleur ennemi (rires). C’est un vrai coeur.
Dans ce projet, on retrouve évidemment ce qui caractérise Le Juiice, c’est-à-dire, une vraie attitude et une figure de force par son flow et ses textes, mais la carapace se brise pour laisser montrer ses failles, ses questionnements et les étapes qu’elle peut traverser. « Cette attitude-là je ne la fake pas, mais je ne veux pas être dans le cliché de la rappeuse dure. Quand je me livre et que je parle d’amour, c’est là où c’est plus difficile. J’ai la facilité de montrer ma carapace et ma personnalité, mais l’exercice le plus dur, c’est de montrer ma sensibilité. Quand j’ai commencé, je ne voulais pas montrer ce côté-là, mais je pense que c’est important de le faire, car cela fait aussi partie de moi. Sur le projet, il y a beaucoup de morceaux chantés, introspectifs et de remises en question. Par exemple, avec Slkrack, on parle de la position d’artiste dans la vie amoureuse et la difficulté qu’on peut avoir de conjuguer les deux. Je suis arrivée avec une volonté d’être transparente, de ne pas être un bloc de pierre qui ne ressent rien, je ne voulais pas être dans le cliché de moi-même. »
Quelles sont tes envies par la suite ?
Je veux me rapprocher des US dont j’étais plus proche avant. Il est important que je continue ce processus où je me retrouve et je me ressemble, et je pense qu’une connexion avec les US, comme j’avais avant, va être nécessaire pour moi dans mon processus de création. Je ne veux pas me centrer sur un processus commercial, juste produire de la bonne matière première, et aller chercher encore plus loin musicalement. Le reste viendra avec le temps.