Visages lettrés ou comment un gribouilleur de classe a fini par réaliser 500 portraits calligraphiés de personnalités du rap français. Depuis 2015, Sébastien Le Gall, designer graphique et typographe s’est lancé inconsciemment par pure passion dans un défi de taille : représenter l’histoire du rap français à travers des portraits originaux.
Tout démarre en 2007 par l’intermédiaire d’un album : Puisqu’il faut vivre de Soprano. Un vrai premier pied à l’étrier pour découvrir un nouveau monde : le rap français, et le début d’une future obsession : le physique. Bien que l’artiste marseillais fut le marqueur de son entrée dans la culture hip-hop, ce sont véritablement le phrasé et la rythmique des mots qui le touchent que ça soit avec Booba, La Fouine, Sniper, les Psy4 ou encore avec Sefyu : « Il a été très important pour moi. Il est venu un peu marqué le tampon de pourquoi j’aimais ça. »
En parallèle de cet amour pour le rap français qui était grandissant au fur et à mesure des écoutes, Sébastien découvre une autre passion qui formera son parcours professionnel par la suite : « Le fait de dessiner, ça vient de tuer l’ennui. J’étais un gribouilleur à l’école, c’est à dire, un gamin qui dessine dans les marges. Moi je faisais ça dans mes cours et je suis même allé au-delà des marges, à l’intérieur des leçons. Puis j’ai découvert la typographie, je me suis pris de passion pour cet art de la lettre. Je faisais des jolis titres pour différencier les leçons. »
À quel moment t’es venue cette passion de faire des dessins de rappeurs/rappeuses en écrivant de multiples fois son nom pour former son portrait ?
Pour le coup ce n’est pas venu de la période de gribouillage, c’est venu plus tard lors de mes études supérieures. J’ai souvenir de premiers portraits que je devais faire pour des devoirs que j’avais à faire. J’avais un nombre de dessins à atteindre. L’objectif de ces carnets de dessins étaient de toucher à plein d’outils différents : de l’encre de chine, de l’aquarelle, du fusain, de la pastel… Forcément je n’étais pas copain avec tous, mais ça me forçait à les utiliser, et c’est de là qu’est venue la question de qu’est-ce que je représente ? Je me souviens d’un Jay-Z en peinture et d’un Niro sur lequel j’avais utiliser différents outils pour faire des reliefs. Après pour ce qui est de la forme avec le nom, c’est une histoire toute conne (rires). Un soir, je m’ennuyais, je me questionnais sur comment allier le rap et la lettre, mes deux passions. J’ai eu cette idée-là. Comme toute idée, soit c’est moche et ça va à la poubelle, soit c’est bien et je me dis que j’en ferai 2 ou 3. J’ai fait un premier portrait, Blacko de Sniper, j’étais satisfait même s’il y avait des choses à améliorer. Ce qui a fait que j’ai continué, c’est le fait que j’ai pu rencontrer l’artiste en question. Puis, il y a eu Ärsenik, Disiz, Guizmo, Georgio et j’en suis là aujourd’hui, avec 500 portraits (rires). Les retours des artistes me stimulaient à continuer.
Les dessins s’enchainent, les rencontres aussi, seulement cela pourrait être infini car chaque année, il y a des nouveaux rappeurs, des nouveaux acteurs du milieu alors l’histoire se devait de s’arrêter et dans un format particulier : un livre. Très tourné vers le papier, Sébastien s’est pris de passion pour les objets de collection alors c’est en toute logique qu’un livre devait être l’aboutissement.
Je suis un peu maniaque, j’aime bien les chiffres ronds (rires). Je suis passé par des paliers : 300, 400 et puis 500 c’était le bon chiffre. J’ai besoin de passer à autre chose dans ma pratique notamment car j’étais boulimique des rencontres. À un moment ça devenait un argument de dessiner : faire un portrait, devenait une rencontre obligatoire avec l’artiste. Mais je n’ai plus le temps, ni l’envie. Je préfère les contacter pour travailler sur des projets que de les attendre 3/4h pour espérer les voir (rires).
Quelle personnalité t’a le plus impressionnée lorsque tu l’as rencontrée ?
Je dirais Booba. Il a traversé le temps. C’est un artiste que j’ai toujours vu derrière mon écran. C’est devenu un peu l’artiste inatteignable sur son trône. Avant ce jour-là, je n’avais pas eu l’occasion de le croiser ou de le voir en concert, tout a été une découverte pour moi avec un artiste que j’écoute depuis que j’ai découvert le rap. Sinon en terme d’échange, c’est Akhenaton. Je ne me suis pas buté à IAM comme certaines personnes de mon entourage, mais il y avait une sorte d’aura autour de lui quand je l’ai aperçu. On a pu discuter de calligraphie et typographie car une personne de sa famille est assez fan de cet art-là et c’était enrichissant car c’est un rappeur qui manie les mots comme personne.
Si en fonction des oeuvres et des portraits, les difficultés étaient différentes soit par la forme ou par la taille comme la réalisation d’un Kery James d’un mètre qui avait demandé plus de dix heures de travail contre deux à trois heures pour un portrait classique sur une feuille A3, le vrai défi pour Sébastien a été de stopper l’usine alors que d’autres artistes mériteraient aussi leurs portraits : « La liste a été bouclée il y a un an et demi, entre temps, d’autres artistes ont émergé et j’aurais aimé faire Wallace Cleaver que j’écoute pas mal ou Werenoi qui mériterait sa place. Il y a des artistes aussi que j’aurais aimé rencontrer comme Sefyu, Alonzo ou Keny Arkana. »
Dans cet ouvrage, en plus de ces dessins, on y retrouve la patte de trois personnalités du rap français : Raphaël Da Cruz et Ismaël Mereghetti, journalistes, mais également Ouafae Mameche, éditorialiste, pourquoi as-tu fait appel à eux en particulier ?
Ils sont tous les trois, des personnalités que je suis depuis longtemps. Raphaël en préface c’était une évidence pour moi. C’est un encyclopédiste (rires). J’aime trop comment il arrive à me captiver par sa façon d’amener les choses, de les dire et par les arguments qu’il utilise pour défendre ses propos. C’est un bête d’humain. Je voulais avoir une préface pour rendre mon livre plus officiel dans sa finalité, et c’est naturellement que j’ai pensé à lui. C’est un mec passionné qui a contacté un mec passionné pour faire des choses de passionnés (rires). Au début, je voulais que le livre ne soit composé que de visuels. Sauf que tellement de personnes m’ont dit de raconter mon histoire, mon travail, mes rencontres, pour ajouter une plus-value à ce qui s’annonçait comme un catalogue. Au moment où je me convaincs de le faire, Ismaël sortait son livre avec Driver, J’étais-là. J’ai découvert son travail d’une autre manière, et comme on discutait depuis un bout de temps au point que pour moi c’est devenu un ami, je ne me voyais pas faire cela avec quelqu’un d’autre que lui. On s’est retrouvé quatre après-midi pour décortiquer mon histoire pour développer ce que je voulais raconter. Concernant Ouafae, c’est qu’au départ, j’aurais aimé être édité par Faces cachées, mais il s’inscrivait dans une autre catégorie que les livres qu’elle peut éditer. Avec tous les textes qu’il y avait dans le livre, il me fallait une personne avec un regard neuf pour corriger les fautes et modifier les possibles redondances, donc je l’ai fait appel pour ses talents de relectrice et de correctrice. Au final, j’ai mon trio de choc, mes Avengers, je suis très fier (rires). Et ils apportent un aspect plus professionnel au livre et donc une certaine crédibilité aux yeux du public, des médias…
Une fois la page tournée, quelles sont tes envies par la suite ? Quand on sort un gros projet comme celui-là, surement comme les athlètes aux JO, il peut y avoir un blues de nostalgie…
C’est marrant comme question parce qu’en vrai je me la pose encore et depuis facilement un an et je n’ai toujours pas de réponse à cette question. J’ai des ambitions artistiques autour de la lettre et du texte, peut-être même dans un esprit abstrait, mais je suis encore un peu dans le flou. C’est marrant le parallèle des jeux olympiques, mais c’est vrai que c’est un peu ça. Les athlètes se buttent pendant 8/10 ans sur un moment qui va durer 2 secondes et c’est là qu’il va falloir tout jouer, c’est un peu ça avec mon projet. Je suis dans une période intense de résultats après dix années de travail. Je pense qu’il y aura des expositions pour faire vivre un peu plus longtemps ce projet. Aujourd’hui je me rends vraiment compte du temps et de l’investissement que j’ai donné dans ces portraits.