À l’instar de Jean-Paul Belmondo, deux ans auparavant, c’est en toute logique que nous nous devons d’écrire une chronique sur Alain Delon, autre légende du cinéma français souvent comparée et opposée à Belmondo. Entre une posture de playboy, des sorties médiatiques et des relations controversées et des films devenus cultes, la vie et la réussite d’Alain Delon n’ont pas manqué d’inspirer le rap français. 

VIVRE DANS LA CONFRONTATION

Né le 8 novembre 1935 à Sceaux au sein d’une famille de la petite bourgeoisie. Enfant du divorce à 4 ans, il est alors confié à une famille d’accueil dont le père est gardien de prison à Fresnes. Loin d’être un élève modèle, l’adolescent connait le pensionnat catholique et se fait renvoyé à six reprises de plusieurs écoles. Bien qu’il regagne le domicile avec le second mariage de sa mère, le jeune Alain continue ses confrontations en fuguant pour aller vivre à Chicago mais il se fait arrêter à Bordeaux. 

À 17 ans il effectue le début de son service militaire au sein de la Marine nationale. Il est surpris en train de voler du matériel, et reçoit un ultimatum, quitter la Marine ou prolonger son engagement entre 3 et 5 années. Il est alors affecté en Indochine française. Seulement, ses vieilles habitudes reprennent. Il est mis aux arrêts pour avoir voler une jeep qu’il a planté dans un arroyo (cours d’eau temporaire, ndlr). Il est exclu alors de la Marine. Bien qu’il est toujours été dans la confrontation, cette période militaire va le marquer dans sa personnalité avec un fort intérêt pour la France, la discipline et le sens de l’honneur. Sans oublier la naissance d’une nouvelle passion : le armes. Peu de temps avant sa mort, une perquisition a eu lieu chez lui, saisissant près de 72 armes à feu et 3000 munitions car il n’avait aucune autorisation de détention. 

« Viril comme Alain Delon » – Mr.Kopp – Booba

À son retour dans la capitale parisienne en 1956, il en veut à ses parents de l’avoir laisser partir en Indochine et décide de couper les liens avec eux en voulant se débrouiller seul. Il enchaine alors les petits boulots dans Paris. C’est pendant cette période qu’il va commencer à côtoyer l’autre monde, celui de la pègre, des voyous et des gigolos. Encore en construction, il va être fasciné par ce monde dans le monde où l’honneur, l’amitié et le silence sont de mèches. Son physique de sex-symbol que le public découvrira plus tard, lui fut utile à ce moment-là pour se faire héberger par le sexe opposé, notamment des prostituées. 

SES PREMIERS PAS AU CINÉMA

Alors que son chemin commençait à se tracer vers ce nouveau monde qui s’était offert à lui, il fait la rencontre de l’actrice Brigitte Auber, qui vient de tourner La Main au collet d’Alfred Hitchcock, et s’installe avec elle dans le 7ème arrondissement, ce qui l’éloigne du gangstérisme. Il accompagne l’actrice lors du festival de Cannes de 1957 et se lie avec certaines personnes du milieu du cinéma. L’un d’entre eux, Henry Wilson, agent artistique, lui offre une opportunité de tourner à Rome, bien qu’il n’ait aucune formation d’acteur. Les essais sont concluants et on lui propose un contrat de sept ans aux États-Unis à condition qu’il apprenne l’anglais. Seulement à son retour, Michèle Cordoue avec qui il a une liaison secrète, convainc son mari réalisateur Yves Allégret de l’intégrer au casting de son film Quand la femme s’en mêle. 

« J’veux devenir une star comme Alain Delon » – La vraie vie – DA Uzi

Tout démarre pour Delon. Il enchaine ensuite avec une comédie, Sois-belle et tais-toi avec Mylène Demongeot et un autre acteur débutant, Jean-Paul Belmondo. Évidemment,  son amour pour l’interdit reprend avec l’emprunt de la voiture du second assistant du réalisateur sans son accord, qu’il détruit dans un accident de la route dans le tunnel de Saint-Cloud. Il s’en sort avec une cicatrice au menton. 

DEVENIR UNE STAR

Choisi par Romy Schneider pour incarner son partenaire masculin dans Christine de Pierre Gaspard-Huit, les premiers contacts sont compliqués car une barrière de la langue opère : elle ne parle pas un mot de français et lui d’allemand. Pourtant, l’amour n’en a pas. Ils finissent par tomber amoureux et se fiancer. Des fiançailles publiques et dans l’esprit du show-business vu qu’elle était une star internationale à ce moment-là. Il continue ses apparitions au cinéma jusqu’à un rôle déterminant : Plein Soleil. Pour l’anecdote, en lisant le scénario, lui qui était prévu pour le second rôle, considéra le premier comme étant plus proche de sa personnalité. Il ira jusqu’à se rendre au domicile du réalisateur pour lui faire comprendre. Il s’en est suivi de conversations houleuses, et finalement, il obtient ce premier rôle qui changea sa carrière et fit de lui, une vraie star. 

« J’veux être dans l’allemande comme Alain Delon » – Comme à la maison – Meryl

En 1963, Alain Delon use de son statut de star pour réaliser l’un de ses rêves : jouer avec son idole, Jean Gabin, dans le film d’Henri Verneuil : Mélodie en sous-sol. Il ira même jusqu’à jouer gratuitement en échange des droits au Japon, en URSS et en Argentine. Le film est récompensé au Golden Globe pour le meilleur film en langue étrangère. Il gagnera énormément d’argent. La même année, il joue dans Le Guépard, qui le propulse comme un grand acteur du cinéma européen. 

Par la suite, Alain Delon va enchainer les rôles, débarquer au théâtre, commencer la production dans les films d’auteurs. Il va mettre un terme à sa relation avec Romy Schneider et épouser Francine Canovas qui deviendra publiquement Nathalie Delon, avec qui il aura un fils : Anthony. Rien ne l’arrête, il se retrouve à Hollywood dans des westerns et donne la réplique à Lino Ventura dans Les Aventuriers, et jouera avec sa femme dans Le Samouraï en 1967. 

LA PISCINE : LE SYMBOLE

Après avoir jouer avec Charles Bronson, la presse s’affole de l’annonce d’un nouveau film entre Alain Delon et Romy Schneider. Le film italo-français de 1969 réalisé par Jacques Deray raconte un drame de jalousie et de possessivité entre deux couples dans une propriété idyllique. D’un côté, Alain Delon et Romy Schneider et de l’autre Maurice Ronet et Jane Birkin qui joue sa fille de 18 ans. En plus de relancer la carrière de Romy Schneider, le film rencontre un véritable succès avec 2,3 millions d’entrées. Au début du film La Piscine, nous avons une véritable mise en avant de la beauté entre Alain Delon et Romy Schneider, des extraits qui seront réutilisés par le parfum Eau Sauvage de Christian Dior en 2010. 

« Le buzz j’le trouve un peu long, j’l’attend sur la pelouse, frais comme Alain Delon » – Flash – Luv Resval

LE CLAN DES SICILIENS : LE CLASSIQUE

La même année que La Piscine, sort un autre film cultisme avec Alain Delon : Le Clan des Siciliens. Plusieurs années après Mélodie en sous-sol, l’acteur retrouve le réalisateur Henri Verneuil ainsi que Jean Gabin. À ce casting s’ajoute également Lino Ventura, un trio titanesque pour l’époque qui va renforcer le niveau du film au lieu de le desservir. Adapté du roman d’Auguste Le Breton de 1967, le film raconte l’histoire d’un truand évadé (Alain Delon) qui s’associe avec le chef d’une famille mafieuse sicilienne (Jean Gabin) dans le cadre d’un vol de bijoux. Lino Ventura interprète de son côté le commissaire qui le poursuit. Avec une musique d’Ennio Morricone, le film est immédiatement un succès et porte à presque 5 millions d’entrées, et comme dirait Seven dans Dirtizidakar : « Inutile de militer face au clan des Siciliens ».

BORSALINO : L’AFFICHE 

L’année suivante, Alain Delon enchaine avec un autre énorme succès : Borsalino. L’idée de ce film lui revient lorsqu’il lit Bandits à Marseille d’Eugène Saccomano. Le coeur du film est celui de deux jeunes voyous qui tentent de devenir des caïds de la pègre marseillaise pendant les années folles. Il demanda par ailleurs à ce que Jean-Paul Belmondo joue avec lui. Cette dualité entre les deux acteurs, est un esprit de compétition sain qui les pousse mutuellement à donner le meilleur d’eux. Cependant, cette dualité va être renforcée par un procès entre les deux acteurs pour des raisons contractuelles que Belmondo gagnera en 1972. Le film obtient un succès au box-office avec près de 4 millions d’entrées.

« La vie n’est pas un film poto, j’suis pas Alain Delon » – Freestyle EnLéger #1 – Gradur

L’AFFAIRE MARKOVIC 

Malgré trois grands succès devenus iconiques précédemment cités, l’acteur se retrouve au coeur d’une affaire criminelle : l’affaire Markovic. Le 1er octobre 1968, le corps décomposé d’un homme est retrouvé dans la décharge du lieu-dit La Cavée-du-Roi, à côté d’Élancourt dans les Yvelines. Il s’agit de Stevan Markovic, citoyen yougoslave qui a été de nombreuses fois emprisonné pour des vols, des violences et des infractions. Il fut un temps, l’homme à tout faire du couple Alain et Nathalie Delon mais a été renvoyé pour des indélicatesses et notamment une liaison avec Nathalie, cependant il créchait toujours au sein de l’hôtel particulier d’Alain. L’autopsie révèle qu’il a succombé à des coups portés au visage avec un objet volumineux et d’une balle de 6,35 mm tirée dans la nuque. Les enquêteurs pensent qu’il s’agit d’un règlement de compte, les médias se chargent de faire monter cette affaire sur le premier plan médiatique. Beaucoup de personnalités allant jusqu’à Georges Pompidou et des mafieux sont mêlés à l’affaire par la presse. Après plusieurs mois de rumeurs et de rebondissements, le scandale prend fin lorsque François Marcantoni, ami d’enfance de Delon, est inculpé pour le meurtre. Aucun élément tangible n’affectait directement Alain Delon dans l’affaire, mais ses relations en faisait un complice possible. En 1976, la chambre d’accusation rend un arrêt de non-lieu en raison d’absence de preuves suffisantes. Cependant ses liens avec le banditisme et la mafia continuent, il reste fidèle à ses amitiés. 

« Au marché les flics en civil tâtent les melons mais ils sont tous cramés, ils ont la même tête qu’Alain Delon » – Ghetto Street – Dontcha

LE CHEMIN CONTINUE

Les années suivantes, Delon joua souvent les mêmes styles de rôles : soit un policier, soit un truand faisant ainsi quelques bons polars. Il y aura même une suite à Borsalino, appelé Borsalino and Co. Si les années se ressemble, en 1973, il va connaître un nouveau succès mondial, mais cette fois-ci musical. En effet, en compagnie de Dalida, il va interpréter Paroles…Paroles….Une référence qui ne manqua pas d’inspirer Damso dans B.QuedusaalVie : « j’ai plus de paroles qu’Alain Delon ». Dans les années 1980, il s’essaya à de nouveaux rôles et continua ses productions. Les amours continuent et en 1987, il rencontre Rosalie Van Breemen avec qui il aura deux enfants : Anouchka et Alain-Fabien. Progressivement, il quitte le feu des projecteurs du cinéma, au point d’annoncer une fin de carrière en 1999. Même s’il revient sur sa décision dans le film Les Acteurs de Bertrand Blier, il reste pour le moins loin des projecteurs.

Les derniers faits marquants sont son interprétation de César dans Astérix aux Jeux Olympiques en 2008 où moult références à ses succès sont réalisés dans son texte ainsi que son interprétation au théâtre de Sur la route de Madison avec Mireille Darc, la même année. Bien qu’il s’écarte de la scène, en 2021 il souhaite faire son dernier film qui aurait dû s’appeler La maison vide avec Juliette Binoche réalisé par Patrice Lecomte. Seulement, suite à un AVC en 2019, il n’arrivera pas à réaliser ce dernier souhait. 

« Confiance en plus personne comme Alain Delon. Il parle de lui à la troisième personne » – L’enflure – Heuss L’enfoiré 

DES SORTIES MÉDIATIQUES QUI ENTACHENT SON IMAGE

Si ses rapports avec le gangstérisme avaient entaché son image pour certains et renforcer sa prestance d’homme beau et dangereux pour d’autres, ce sont véritablement ses sorties médiatiques dans les années 2000 qui vont ternir à juste titre l’image d’Alain Delon. Premièrement, beaucoup ont du mal à adhérer à son égocentrisme au point de parler de lui à la troisième personne en interview. Ensuite, ce sont ces propos catastrophiques envers les femmes, l’homosexualité et l’immigration qui vont ternir son image, surtout auprès des générations suivants la sienne. L’acteur avait soutenu le fait qu’il n’était pas grave de gifler les femmes et que l’homosexualité était contre-nature, sans oublier qu’il était ami avec Jean-Marie Le Pen et qu’il partageait ses idées politiques concernant l’immigration en France en le soutenant publiquement. Ces propos lui ont valu des portes fermées et une pétition venue des États-Unis pour s’opposer à sa Palme d’honneur, le qualifiant de « raciste, homophobe et misogyne », ce qu’il n’a pas démenti pour autant. Il représente l’icône d’une époque, celui de l’homme viril et courtisant des femmes par sa belle gueule et son charisme, mais comme beaucoup de personnes de sa génération, il n’a pas voulu évoluer sa façon de concevoir la vie et l’a même avoué dans une interview en disant qu’il vivait mal cette époque. 

« J’représente pas la France d’Alain Delon » – Nightcall – Mister V

IL ÉTAIT UNE FIN… 

C’est le 18 août 2024 qu’Alain Delon ferma les yeux dans sa maison de Douchy-Montcorbon dans le Loiret en pleine nuit. Ambassadeur de l’élégance, symbole de la beauté, icône de cinéma, star mystérieuse et controversée par ses propos et ses connaissances, Alain Delon aura marqué à tout jamais le cinéma français, New York Times le qualifia de « dernier grand mythe du cinéma français ». Il est aujourd’hui enterré dans sa demeure auprès de ses trente-cinq chiens dans une cérémonie loin des projecteurs.