Membre fondateur de la 75ème Session, un collectif de rappeurs parisiens qui continue de marquer l’histoire par ses freestyles, ses projets et tout ce qui sort de leur Dojo, Sheldon continue sa route en proposant une identité unique, profonde et délicate. Dans ce nouvel album intitulé Îlot, Shledragon nous ramène sur son îlot d’évasion spirituelle, où règne diverses créatures et pensées nostalgiques.
SEUL SUR SON ÎLE
Comme Tom Hanks dans Seul au monde, Sheldon se retrouve seul sur une île qui est à l’image du tableau de L’Île aux morts (Die Toteninsel) d’Arnold Böcklin. Le tableau représente une île au coucher de soleil où l’on y décèle ses parts d’ombres mais également on y voit une embarcation d’un passeur accompagné par un défunt dans son linceul. Une atmosphère pesante à l’instar des écrits de Sheldon dans ce nouvel album malgré sa délicatesse musicale.
On retrouve plus ou moins le tableau dans le texte de Là-Haut avec ces lignes : « Emmène-moi aller voir l’océan pour la dernière fois avant que je parte ». Si l’on sent son désir d’évasion, on sent aussi la peine d’une solitude laissée par l’absence de quelqu’un, d’un proche ou d’une version de lui-même, à l’instar de ce passeur qui vient laisser sur cette île, un défunt.
« Une journée de plus sur mon îlot à regarder défiler des voiliers » – Ilot
Repartons au départ, sur l’idée d’un Sheldon, seul au monde sur son îlot. De façon assez évidente, l’un des thèmes principaux de l’album, est la solitude. Il exprime dans un premier temps cette sensation d’être seul depuis son enfance comme il le dit dans Maternelle, et de son plaisir presque coupable de se retrouver régulièrement avec lui-même: « Y’a très peu de chances que j’te réponde quand je m’isole. J’ai besoin de me couper du vrai monde quand je bricole » (New Âge). Ce côté solitaire vient d’un sentiment de confort face aux problèmes : « Quand j’ai plus d’instinct je m’isole, quand j’ai plus d’idée je disparais » (Messager). Cette facette obscure de sa personnalité a pu effrayer Sheldon dans Moondog « J’ai peur du noir et de ses reflets, d’oublier l’essentiel dans les regrets » mais il a fini par adopter cette obscurité et cette différence comme une part de lui : « J’me sens plus beau dans le noir, je sais faire danser les ombres » (Light Off).
« J’écoute le silence, c’est la meilleure musique » – Aéroport
LE BESOIN D’ÉVASION
Rêver. Quand on s’offre régulièrement des tangos avec la solitude et qu’on laisse ses pensées s’envahir, on a ce besoin d’évasion qui se forme, et encore plus dans l’imagerie d’un Sheldon, seul sur son îlot. En attendant le signal pour s’envoler dans Noir parler, Sheldon regarde les étoiles de sa fenêtre dans Moondog, désireux de découvrir d’autres mondes dans une conquête spatiale : « J’veux voyager pour de vrai, fuck un avion, fuck un bateau » (Light off).
En effet, tout au long du projet, on sent une véritable passion et curiosité envers l’espace et son noir absolu. Un champ lexical traverse l’album comme une étoile filante dans un ciel étoilé du mois d’août : Neptune, Mars, les quasars, les nébuleuses, la galaxie, l’âme vagabondant comme une étoile… Un vrai voyage spatial nous est offert. La plus belle des lignes à ce sujet se trouve dans Light off : « J’aime bien quand t’éteins la lumière, quand il fait froid dans la ville, que la lune danse en secret ».
LE CONSTAT DE LA VIE AVEC LE CŒUR D’UN ENFANT
Quand on se penche encore plus en détail dans les textes, on peut y voir l’ensemble de ces derniers comme entièrement métaphoriques. Bien que cela reste une hypothèse, cette image d’îlot et de s’envoler vers les cieux représenterait une façon d’exprimer ses sentiments et ses douleurs à travers les yeux de l’enfant qu’il a pu être.
« Il y a de la poussière sur les néons » – Noir parler
Premièrement, c’est cette relation à la nostalgie de l’enfance que le Sheldon adulte exprime : « J’ai le blues depuis tout petit » (Moondog), « J’ai tout oublié dans un trou d’ver, je suis à la recherche de mes jeunes années » (Messager) ou encore plus explicitement : « Avec mes yeux d’enfant je veux tout revivre » (Moondog).
Les yeux d’un enfant, c’est la naïveté d’un regard sur le monde. Les pensées d’un enfant, c’est l’imaginaire d’un monde et d’un futur plus beau que celui qu’il sera réellement. La parole d’un enfant est souvent synonyme de vérité, et dans cet album, Sheldon s’amuse à décrire sa vision adulte avec les paroles et la simplicité qu’aurait pu utiliser un enfant : « Ce monde est moche » ou « J’ai jamais croisé de gentils flics » (Moondog) ; mais aussi l’artiste rappelle cet imaginaire d’un petit garçon qu’il a pu être avec la présence de « méchants », de « sorciers », de la « bagarre » ou encore de « démons ».
« J’aime pas trop l’danger, j’suis un chaton dans la savane » – Light off
Néanmoins quand la vision du Sheldon enfant et celle de l’adulte se mélangent, on a cette notion de dégout qui apparait. Même si la vérité peut lui sembler moche et qu’il aimerait la corriger comme une rature sur une évaluation dans le titre éponyme, il ne veut plus rien savoir du « vrai monde » dans Noir parler. Cette dure réalité l’effraie et il n’y a que la figure maternelle qui puisse le soulager : « J’suis encore un môme, hein, bien caché dans les jupes de ma maman » (Brouillard).
« Ce monde est comme dans mes pires cauchemars » – Oracle
Cet ilot représente la solitude de l’adulte qui décide de nous emmener dans ce monde imaginaire qu’il a construit depuis petit et qu’il préfère au vrai monde. Sauf que Sheldon a grandi, sa vie a changé, et ce monde imaginaire, protecteur et simple lui manque régulièrement quand il contemple le monde réel qui est « sans surprise » et dans lequel « il n’y aura bientôt plus de villes ». Certes Sheldon dévoile toute une nostalgie de son univers, qui pourrait sonner comme une tristesse, mais au final sonne comme une sorte de source de bonheur malgré sa conscience que son innocence d’enfant est morte.