Quelques mois après la sortie de son premier album, Pull à capuche et billets mauves, après un concert réalisé en plein coeur des Halles de Châtelet, au Centrale Place, l’évènement rap organisé par La Place, qu’on a retrouvé l’agent spécial 2-2-3. Entre constats, bilans et visions artistiques, c’est sur le toit du forum des Halles qu’on a discuté avec Doums.
Tu parcours depuis longtemps la scène que ça soit en groupe ou en assurant les backs de Nekfeu, quel effet ça te fait d’avoir de la lumière sur tes propres scènes sous le nom de Doums et que les gens viennent uniquement pour toi ?
Pour être honnête, cela fait déjà quelques années que je fais des scènes en solo ou même les scènes avec Népal, en parallèle de la tournée avec Feu. Mais disons que mon travail est peu exposé et peu valorisé. Je m’explique : peu importe ce que je ferai, on n’en retiendra que le négatif. Qui est le premier rappeur à avoir fait un clip en dessin animé ? Moi. Qui est le premier rappeur francophone à avoir fait Colors ? Moi. Et si on continue, il y a d’autres fois où c’est moi le premier (rires). Mais comme je le dis, c’est peu valorisé ou absent des médias. Même avec les très bon chiffres de Pilote ou Pull à capuche et billets mauves, c’est très paradoxal. Ils apprécient plus mes excès que mon travail. C’est une fois qu’ils voient mon travail que les vestes se retournent. Comme ce milieu, est à l’image des Flammes, c’est plus compliqué pour quelqu’un comme moi qui évolue dans un océan très profond.
Qu’est-ce que tu ressens quand tu es sur scène ? Il y a comme une volonté de te dépasser pour ton public ?
Peu importe le nombre de personnes dans le public, je vais m’efforcer de donner la même chose, et même plus quand il y a moins de personnes car j’estime que c’est encore plus direct. Après je viens d’une école où la scène prime beaucoup. Pour moi, mise à part Nekfeu et moi, la seule personne qui est incroyable sur scène c’est Makala, et c’est tout. Il n’y a pas beaucoup de rappeurs comme nous qui peuvent ternir des gens en haleine même si les gens ne l’aiment pas.
Quel morceau affectionnes-tu le plus sur scène lorsque tu le joues ? Celui où tu sens qu’il se passe quelque chose avec le public ?
S’il suffisait. J’ai rencontré une personne à Angers qui m’a raconté une histoire vis à vis de mon morceau. Même si on ne l’évoquera dans l’interview, cette histoire m’a touché et je ferai toujours ce morceau sur scène. Dans ce morceau, je rappelle que s’il suffisait de parler, on pourrait changer beaucoup de choses. Le silence est d’or mais la parole est d’argent. C’est important de faire attention à ce qui sort de nos bouches. Par exemple, on peut avoir du mal à dire aux gens qu’on les aime et à leur montrer, souvent c’est parce qu’on s’enferme dans un personnage, alors qu’en réalité c’est très important de dire à ces gens qu’on aime, qu’on les aime. Certes ce n’est pas un morceau qui a l’énergie pour faire sauter la foule, mais il décèle un vrai message qui peut aider les gens. Le rap c’est fait pour que je te parle de mes problèmes et que tu te reconnaisses dedans. Parler de ses problèmes, ça libère, car garder les choses pour soit, c’est très mauvais. L’humain est très complexe, mais ce morceau rappelle aux gens qu’il faut franchir cette barrière des mots car on ne sait jamais de quoi demain est fait.
Encore aujourd’hui, et ça se sait, tu aimes bien sauter dans le public, est-ce que tu sens que ça fait aussi plaisir au public cette proximité ?
J’apprécie, j’apprécie (rires). Je lis des choses étranges sur les réseaux où les gens se demandent comment ça se fait que je sois aussi chaud, mais venez voir par vous-même (rires). On commence en douceur et ça finit sur les chapeaux de roues (rires). Je casse les scènes, je les survole, tel un dragon céleste (rires). C’est un vrai échange avec le public. Ils sont là, ils ont kiffé le concert, je les préviens et on le fait. Et puis comme je les préviens, il y a une majorité qui te porte et donc c’est plus facile. C’est comme dans la vie, quand une minorité doit porter quelque chose, c’est plus compliqué que lorsque la majorité la porte, mais nous ne parlerons pas des réformes (rires).
Parlons de ton premier album solo, Pull à Capuches et billets mauves, quel bilan tu fais quelques mois après sa sortie ?
Je me discrédite en disant que c’est un ramassis de conneries, mais on peut appeler ça un album. Même si pour moi, un album a une autre forme avec un vrai fil conducteur, mais la longueur du projet, le format et la qualité des morceaux correspondent aux critères d’un album. Pull à capuche et billets mauves, c’est un S/o à mon grand frère Dr. Bériz. Le nom fait référence au premier ou dernier morceau d’un projet commun de mon frère et de S.Pri Noir. Un projet de 11 titres qu’ils ont fait en une nuit, et ça m’a beaucoup marqué. Il n’est jamais sorti, mais il est devenu une légende de mon quartier (rires). Mon frère était un jukebox ambulant. Tu le croisais, il te faisait des freestyles pendant des heures (rires). Mon frère est très solaire, là où moi je suis plus lunaire. Il est très expressif, moi je suis plus réservé. Pour revenir à la question, j’en suis très content pour le peu de promo qu’on a fait et pour le peu de médias qui ont participé à sa diffusion. On a de beaux chiffres tout en refusant de tricher, comme le fait 99% du rap français, je précise bien ce pourcentage (rires). J’ai ce que je mérite, c’est le travail qui paye au final.
Il y a un élément de ta musique qu’on oublie de souligner, c’est que t’es un excellent mélomane…
Et un très bon lyriciste : « C’est décidé dans moins d’une décennie j’aurai la destinée dessinée par le guide avant qu’on se désunisse », dites-moi que ********* sait faire ça ? Non (rires). Je dis ça mais ce n’est pas pour autant que je ne respecte pas le travail de certains artistes. Juste que pour certains je n’aurai jamais fait ce qu’ils ont fait pour en arriver là et que je ne me sens pas du tout représenté par ce qu’ils font que ça soit musicalement ou dans leurs faux engagements. Est-ce que pour autant je ne respecte pas leur musique ? Non, c’est la personne derrière que je ne respecte pas. Je n’ai pas les mêmes visions qu’eux. Moi je suis né en Afrique, je suis arrivé en France en 98, mon premier McDo, je l’ai vomi (rires). Je n’ai pas la même vision de la France que les autres ou de ce que certains disent dans leurs morceaux. J’ai habité dans un squat, mon immeuble s’est effondré en 2011, mais je veux chanter le soleil. On a connu la tristesse, ce n’est pas pour en parler, on a envie de s’amuser car on a trop souffert. On veut juste s’en sortir en parlant de choses qui nous plaisent sans forcément que ça soit synonyme de bonheur, elle est là, la nuance.
L’année dernière, tu as sorti le clip Movie, peut-être le meilleur clip en terme de concept et de rendu ?
Je le pense sincèrement et plein de gens du milieu le pensent aussi, c’est le meilleur clip de 2022. Le travail qu’on a fourni, les idées qu’on a mis en place avec les réalisateurs que ça soit Cyril Gaborit ou la boite de production Tablo, c’était fort. Tous les choix viennent de notre collaboration. C’était du 50/50. On est arrivé avec nos idées et nos films, on a fait un tri et on a fait le clip qu’on voit. Personnellement je voulais la scène du Grand Détournement en plein milieu du clip. La musicalité et le concept font que pour moi c’est le meilleur clip de 2022, sans pour autant dire que les autres sont mauvais. Mais comme je l’ai dit, mon travail est peu valorisé, je suis dans mon coin, mais c’est la vie. Dieu est grand, il nous a tous dessiné un chemin et c’est à nous de le prendre. Soit t’es un gagnant, soit t’es un perdant. Soit tu décides de gagner la vie, soit tu décides de te faire battre par la vie. Sur ces quatre dernières années, j’ai eu beaucoup d’épreuves à affronter et ce sont les gens qui sont autour de moi qui m’ont fait comprendre que c’était à moi de décider de comment j’allais les accepter.
Comme dans le Bon, la Brute et la Truand, il y a deux types de personnes, celles qui ont le pistolet et celles qui creusent..
Exactement (rires), c’est exactement ça. Chapeau melon et botte de cuir, on aurait pu en faire une référence dans le clip aussi, on a mis Les Blues Brothers mais c’est dans le même thème. Tu aurais été qui dans le Bon, la brute et le truand ? J’aurai été les trois (rires). Je peux être très bon avec les autres, une brute dans mes excès de colère et j’ai grandi comme un truand, mais ça n’empêche que je reste bon. J’aurai eu le chapeau, les bottes et le cuir (rires).
Est-ce qu’il y a des films justement que tu n’as pas pu mettre dans ton clip et que tu aurais bien aimé avoir au final ?
Il y en a plein mais souvent c’était pour des raisons de post-prod, de 3D, parce que ça coute cher. Par exemple, le passage entre Get Out et The Big Lebowski, c’est incroyable, mais ça nous a couté presque ¼ du clip alors que ça dure 20 secondes. Là-dessus, on n’a pas pu faire l’entièreté de ce qu’on a voulu faire, mais qui sait, on fera peut-être un Movie 2…
Parlons désormais de ton côté producteur, c’était évident pour toi que tu finisses par produire des artistes ?
À la base, je voulais arrêter le rap. En 2020, je n’avais plus la force ni l’énergie de continuer. C’est mon entourage qui m’a aidé à remettre en scelle. On m’a fait comprendre que je pouvais avoir une autre casquette que celle du rappeur, que j’avais celle de pouvoir produire des artistes. J’étais souvent le premier à montrer aux autres des pépites que je trouvais sur Soundcloud ou ailleurs. J’ai la vision pour trouver des petits. Quand je dis « petits », je parle de gens qui ont peu ou pas d’exposition mais qui ont un talent énorme. Combien existe-il d’artistes talentueux en réalité ? Combien de personnes ont fini par arrêter par faute de reconnaissance ? Beaucoup trop car c’est très dur. On rap, on se livre, on donne ça aux gens, et quand tu as peu de retours ou des retours négatifs, c’est compliqué de continuer. Les gens ne s’en rendent pas compte car ils ont la vision du public, je les comprends, mais certains sont dans l’abus. Une critique si elle est constructive, même si une personne ne l’aime pas, ça va l’aider mais certains ont pour volonté d’être juste méchant. Personnellement, il y a pleins de gens qui me critiquent sur les réseaux sociaux et qui disent des dingueries sur moi, mais comme je m’amuse à leur répondre souvent avec leurs véritables photos, ils suppriment leurs comptes, c’est bizarre (rires). Je suis l’un des rares rappeurs qui répond à tous, et certains ne voient même pas le geste alors que tous les autres, ils voient quand tu les cites mais ne disent rien. On est peu à donner des vraies réponses sincères aux gens, qu’elles plaisent ou non.
Donc quand tu te lances dans ce nouveau défi de produire, c’est dans une démarche d’encadrement ?
Exact. C’est leur donner ce que moi j’aurai aimé qu’on me donne. J’ai grandi dans le 9e arrondissement avec beaucoup de personnes et d’artistes qui ont réussi mais derrière ces « grands » de chez moi, ne m’ont pas aidé. J’ai toujours voulu aider les gens, sans jamais rien demander en retour.
Et ça te plait ce rôle de transmission de savoirs et d’expériences ?
Franchement oui car c’est dans ma nature, et j’aurai aimé qu’on le fasse pour moi. Après mes artistes sont des gens qui ont rappé très longtemps et qui n’ont jamais eu l’exposition qu’ils méritaient. Parfois, ils font des caprices d’enfants qui ont tout (rires), mais ils sont concentrés et prêts pour aller là où ils doivent aller. Je ne suis qu’un trampoline dans cette affaire. Mon but est qu’ils aient les mêmes capacités que moi et qu’ils redonnent à leur tour via leurs propres labels. Ils ont vu que des gens sont venus en prenant le minimum possible, et qui les ont aider avec le cœur. Si tout le monde faisait ça, à son échelle, dans son travail, le monde se porterait mieux. Il faut des nouvelles mentalités pour changer celles ancrées. Après ce que je dis reste utopiste, l’humain est compliqué car il aime trop la guerre, mais c’est ma vision. Tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie, et c’est la dernière des bougies.
Qu’est-ce que tu prévois dans le futur ? Sortir d’autres projets solos, sortir des projets collectifs ou des compilations de labels comme certains de tes confrères, continuer à produire des artistes ?
À l’avenir j’aimerais bien finir ce que j’ai à faire musicalement. J’estime déjà que je n’ai plus beaucoup de choses à faire et beaucoup de choses à dire. À l’inverse, en terme de production, il y a encore beaucoup de choses à faire. Il y a beaucoup d’artistes que je vois et que j’aimerais produire et aider que ce soit en management ou en production totale. Et pour Fremont & Co, c’est plus que moi. Dans l’idéal, Fremont & Co dans 20 ans ce n’est plus moi qui le possède, c’est quelqu’un d’autre. C’est une marque, comme Nike ou Yeezy. L’ambition, c’est d’être plus gros que Yeezy, et pour ça, je vais tout faire pour le faire notamment en signant les artistes qui méritent d’être exposés.