Membre du groupe belge, L’Or du Commun avec Swing et Loxley, Primero est un artiste à part entière. Entre esthétisme, pureté musicale et quête artistique, il continue de développer son art pour toucher ses auditeurs à travers des Fragments de sa personnalité. C’est dans un café parisien, que 16 Mesures est allé à la rencontre de l’artiste belge.

Avant même de parler de musique, plongeons ensemble dans l’art en général. En t’écoutant, on a comme l’impression qu’il y a d’autres éléments qui ont pu te nourrir artistiquement ?

Disons que je suis sensible à l’art en général mais certaines formes artistiques me parlent plus que d’autres. Je puise beaucoup d’inspiration dans les films notamment. On peut y déceler de la créativité a beaucoup d’échelles, c’est passionnant. La créativité est partout en réalité, je peux tout aussi bien ressentir cette inspiration devant une pièce de théâtre ou un beau tableau.

Pour l’anecdote, j’ai un cousin ébéniste à côté de Bordeaux. Il est très sensible, presque agoraphobe et vit quasiment en ermite, je trouve que ça lui donne une approche très artistique dans son travail. Chaque pièce est très bien pensée. Après des années sans s’être vu, je suis tombé sur son travail via Instagram et je me suis retrouvé à lui rendre visite pour travailler le bois avec lui. C’était magnifique. Idem pour le bracelet que j’ai au poignet. Il est issu d’une rencontre hasardeuse avec un bijoutier si passionné que je ressentais d’autant plus son art, on a parlé d’une pièce et la voici à mon poignet ! J’aime ce qui est beau et sincère.

Primero par Gabriel Hardy

Lorsqu’on replonge au début de ta discographie, que ça soit en groupe avec l’Or du Commun, ou en solo, on retrouve une écriture précise très portée sur la narration. C’était un besoin de structurer tes textes de cette manière ?

On a démarré de façon un peu naïve, au début c’était vraiment un hobby qui nous faisait marrer, il n’y avait aucune attente derrière. Avec ce constat d’écriture narrative, je pense que ce qui m’intéressait c’était de raconter des histoires, de parler de trucs imaginaires et d’être justement dans la dynamique du film. Comme je n’avais pas les moyens de faire un film, je pouvais quand même me mettre dans la peau d’un réalisateur et le faire pendant trois minutes sur un morceau.

Ce style narratif dans le rap est de plus en plus rare, quels artistes pouvaient t’inspirer ?

Oxmo Puccino. Parmi tous les artistes qui étaient importants, c’est celui qu’on écoutait le plus. Je n’écoutais pas que lui bien sûr, mais à ce moment-là, sa musique me parlait énormément. Les quelques storytelling qu’il proposait étaient incroyables, comme le morceau avec Booba, Pucc Fiction. Ça me brûlait de faire pareil.

VIE DE CHIEN

Avant Primero, tu avais pour nom d’artiste : Premier de Classe, comment est venu ce nom et ce changement ?

Cette même période très naïve où on faisait de la musique sans se poser de questions parce qu’on était juste entre potes, il me fallait un nom. Avec mes potes, on se donnait souvent des surnoms au jour le jour pour rigoler, puis un jour on m’a surnommé “Premier de classe”, et je l’ai gardé. Je pense qu’il est venu car j’avais peut-être ce côté plus pointilleux et organisé que les autres. Puis quand la musique est devenue sérieuse, je me suis demandé si je voulais garder ce nom car je n’avais plus la même dynamique qu’au début. Sauf que changer de nom en cours de route, ce n’est pas évident car il ne faut pas perdre les gens, alors je me suis inspiré de ce premier nom et j’ai pris quelque chose de plus sobre et qui me parlait plus : Primero. Mais dans le fond, je ne suis pas sûr d’y accorder beaucoup d’importance. Le nom est là, et c’est très bien comme ça.

Même si tu commences le rap avec des inspirations très old school/boom bap, au fur et à mesure des projets et des années, tu as introduit le chant à tes morceaux, comment t’es venu cette envie artistique ?

Disons que c’est venu petit à petit. À la base, je n’ai pas un don inné pour le chant. J’ai énormément travaillé pour en arriver là où j’en suis aujourd’hui. Il y a eu une grosse phase d’apprentissage où il a fallu que je me fasse les dents. Surtout qu’en groupe, c’était souvent Swing qui occupait ce rôle, c’est quand j’ai commencé à faire plus de solo que j’ai fini par m’y coller car parfois je sentais que le morceau avait besoin de mélodies. J’y ai vraiment pris goût à partir du moment où ça a été intéressant pour moi. Quand tu commences dans ce milieu, tu ne peux pas être fort partout, et quand tu commences en groupe, tu comptes sur les points forts de chacun et tu finis par te compléter. Mais avec de la discipline tout s’apprend.

Primero par Gabriel Hardy

Puis en parallèle avec l’ODC, tu as commencé à sortir des projets solos, Scénarios en 2015, et Serein en 2020, qu’est ce qui change pour toi quand tu travailles sur un projet solo ?

Les deux approches sont très différentes, et tout aussi intéressantes. Quand tu es seul, tu peux vraiment exploiter à 100% ta vision de ce que devrait être le morceau et dire tout ce que tu penses dedans. C’est ton terrain de jeu à toi. Parfois, tu as envie de creuser dans des thématiques plus personnelles et de parler de certaines choses que les autres ne vivent pas forcément. En groupe, en revanche, c’est une autre dynamique. Il faut être en accord sur un thème général et puis gérer une quantité de matière pour que chacun trouve sa place sur le morceau. L’exercice est vraiment différent. En revanche, avoir l’opportunité de faire les deux nous a tous nourri. Partir tout seul et avoir l’opportunité de développer de nouvelles techniques et de nouvelles approches est très bénéfique quand tu reviens en groupe pour les mettre à profit de tout le monde. Au final, les allers retours de chacun entre groupe et solo permettent d’enrichir nos expériences à tous les points de vue. C’est génial.

Il t’est arrivé de garder des couplets écrits en premières intention pour l’ODC qui au final te semblaient plus intéressants à garder pour des morceaux solo ?

Complètement. C’est le cas du morceau Fragment par exemple. Les premières lignes étaient écrites en studio avec l’ODC sans que nous réussissions à trouver la fin du puzzle ensemble. En revanche, je tenais beaucoup à ce morceau que j’ai continué de mon côté. Idem pour Fourmilière que j’avais écrit avec l’optique de le faire en groupe. On garde ou non certaines choses, non pas car ça ne nous plait pas mais parce qu’on ne trouve pas forcément de choses à rajouter à ce que l’autre a fait. Tout se confond un petit peu au final, les carrières groupe et solo voyagent côte à côte.

ALLERS SIMPLES avec Swing

Quand on écoute Serein de ton premier EP et Vie de Chien sur le 4e volume des Fragments, il y a une opposition dans le discours. D’un côté, on sentait que tu étais content de ton parcours et satisfait de ce que tu avais pu accomplir, et de l’autre côté, on a le sentiment que ça a changé ?

Les propos des deux morceaux sont assez contradictoires dû aux moods dans lesquels je me trouvais. Au moment où j’écris Serein, je suis traversé par plusieurs questions : où est-ce que tout cela va aller ? Est-ce qu’on va continuer en groupe ou vais-je avancer en solo ? Ma projection dans le future était assez restreinte à ce moment-là mais j’étais dans une dynamique très positive et ça m’a permis de relativiser en me focalisant sur ce qu’on avait déjà accompli. Seulement les moods et les émotions changent suivant la période dans laquelle tu es. Quand j’écris Vie de chien, je suis dans une période d’incompréhension. Je me questionne sur mes relations du moment, sur mon rapport à la musique.. Je fais dedans un constat que je n’arrive pas encore à être satisfait de tout ce qu’il m’arrive et je me demande quand est-ce que je me sentirai comblé. Quand je fais un pas en arrière, je me rends compte que j’ai toutes les raisons pour être satisfait, mais ce n’est pas toujours le cas. Quand on met les deux morceaux côte à côte, ils ont vraiment un discours opposé, pourtant ils sont tous les deux sincères, ils représentent parfaitement mon état d’esprit à ce moment-là. Je pense qu’on peut se contredire plein de fois dans une carrière d’artiste en fonction de ce que tu vis, de ce que tu apprends et dans l’état d’esprit dans lequel tu te trouves. 

En parlant des 4 EP Fragments, est-ce qu’ils ont été conçus puis ont été écoulés petit à petit par souci de consommation de la musique aujourd’hui, ou les as-tu vraiment écrit au gré des saisons comme les covers laissent l’entendre ?

Un peu de tout. Il y a clairement une réalité de consommation, c’est évident. Face à cette réalité, il faut trouver une solution de distribution qui serve autant les auditeurs que le projet. Le propos était de me dire que je ne sers personne si je donne tous ces morceaux en bloc d’un coup. En ayant tous les morceaux je les ai divisé en bloc qui étaient entre autres calqués sur les saisons, on retrouve cet esprit avec les couleurs de chaque pochettes. Je n’ai pas écrit EP après EP en sortant, puis écrivant et ainsi de suite, j’avais tout écrit à l’avance. À part un morceau ou deux évidemment. C’était tout un plan à mettre en place entre choisir la durée sur laquelle on allait sortir les quatre EP, quels morceaux rassembler etc. Au final on est super content du résultat, c’était un gros pari. Après est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres sorties de ce genre ? Je ne pense pas. C’était la bonne formule pour moi à ce moment-là vis à vis de la place que j’avais dans le paysage rap.

TOURNESOL

Musicalement, on entend que tu accordes une importance particulière aux mots que tu emploies mais aussi à la musicalité sur laquelle tu travailles, comment travailles-tu en studio, est-ce que ça t’arrive aussi de composer ?

Je bosse toujours avec des producteurs mais je ne fais pas mes prods tout seul. Après, je jouais de la batterie donc je suis assez calé sur toute la partie rythmique de la musique. Je comprends la partie mélodique des prods mais je me suis mis à prendre des cours de solfège pour en apprendre plus sur cette partie du travail afin de mieux aiguiller les producteurs. Faire une batterie-voix en live, à la Anderson Paak, ça m’a traversé l’esprit, mais je ne suis pas sûr que ça arrive de sitôt car cela demande énormément de travail et puis j’ai vraiment envie de proposer quelque chose sur scène que je maîtrise à fond.

Qu’est-ce qu’on peut attendre maintenant que les Fragments sont sortis ? Un nouveau projet à l’avenir ?

Carrément ! J’ai hâte de retourner en studio et de me replonger dans quelque chose de nouveau. Cela fait plus d’un an maintenant que je suis sur cette aventure de Fragments et j’ai passé beaucoup de temps à superviser tout ce qui gravite autour du projet mais qui n’est pas musical, c’est-à-dire : les visuels, la sortie du vinyle etc. Pendant tout ce temps, j’ai accumulé un tas de nouvelles choses dont j’ai envie de parler donc j’ai hâte de me retrouver de nouveau en studio pour mettre ça à plat.