Et si la ville du Havre regorgeait de talents ? C’est ce que le temps est en train de nous démontrer. Originaire de la porte Océane, Oumar fait de plus en plus parler de lui. Avec le dernier opus de sa trilogie Trauma, le rappeur à l’univers cinématographique, aux textes sombres et la plume de plomb a bien envie de braquer l’industrie et de prendre sa part du gâteau.
Étant donné que tu as une direction artistique très cinématographique, un film commence généralement par un générique accompagné de sa musique, quelles étaient les musiques que tu écoutais petit ?
Ma famille n’était pas du tout musique, la musique, c’était moi (rires). La musique m’est venu par l’environnement de quartier dans lequel j’évoluais. On écoutait surtout du rap : 50cent, G-Unit, et puis j’ai été curieux d’écouter ce qui s’était passé avant : Mobb Deep, Wu-Tang, Dipset… Après, en rap français, c’était comme tout le monde à cette époque : Lunatic, Ideal J, Despo Rutti, Salif, Mac Tyer. C’était un registre de rue, mais qui savait écrire quand même, dans le sens où à l’époque, il y avait aussi des trucs moins réfléchis et plus bourrins qui me parlaient aussi, mais qui m’ont moins inspiré.
La première saison de ta trilogie Trauma, démarre par « Wesh Omar, finis les cauchemars » extrait de Jusqu’ici tout va bien de Booba sur Temps Mort, tu fais souvent référence à lui dans tes morceaux, à quel point Booba a pu t’inspirer ?
Un peu comme beaucoup de rappeurs français, sauf qu’ils ne vont pas forcément le dire, quand j’étais petit, j’essayais d’imiter Lino et Booba. Il avait un truc dans la voix, il mâchait ses mots, il avait une diction particulière. Ça m’amusait beaucoup. En faisant ça, je me suis imprégné de son style et avec l’âge, j’ai appris à m’en détacher et à l’utiliser quand c’est opportun de le faire, soit par le biais d’une rime ou d’une allusion.
Dans le Skit Trauma, tu expliques que Trauma vient du grec qui signifie « blessure », tu développes ensuite « L’enfеr c’est les autres, mais j’suis plus proche de mes blessures que du paradis », une vision obscure qui sous-entend qu’on régit, réagit et évoluons à cause de nos traumatismes quels qu’ils soient ?
Même si c’est bateau, mais je pense que personne n’a pas jamais eu de « traumatismes ». On a l’impression que c’est un très grand mot, mais un trauma peut être quelque chose de très pernicieux sans être méchant, mais assez pour construire ta personnalité. Sans faire de la psychologie de comptoir, on sait que les êtres humains se construisent de 0 à 8 ans. Toutes les informations que tu prends pendant cette période, c’est ton disque dur pour la vie. Parfois, ta façon de réagir en tant qu’adulte, c’est un écho de ce que tu as vécu petit, et tu ne le sais même pas. Beaucoup vont d’ailleurs chez le psy pour essayer de savoir, de décortiquer et parfois de corriger.
Ton premier projet est sorti en 2015, pourtant, fin des années 90, tu as commençais déjà à rapper, comment ça se fait qu’il y ait eu tout ce temps avant la sortie d’un premier projet ?
Avant ma signature chez Din Records et la sortie du projet en 2015, j’étais tout seul. D’un côté tu es jeune, tu n’as pas forcément les moyens, tu te rends compte que rapper c’est bien mais que derrière il faut une logistique et des gens qui croient autant en toi que toi-même. Donc, je faisais mes morceaux et je rappais chez moi, mais je ne me projetais pas plus que cela. Puis un jour, Sals’a (Alassane Konaté, Head of ADA France & manager de Oumar, ndlr) qui a toujours eu un œil sur moi, car il venait aussi du Havre et que nos quartiers étaient proches, m’a appelé pour bosser avec lui et rentrer chez Din Records.
Tu es donc signé depuis 2015 chez Din Records, label de Médine, qu’est-ce qu’il représente pour toi, au-delà d’avoir mis Le Havre sur la carte du rap français ?
Le Havre, c’est un village (rires), tout le monde se connait. Médine devient alors très vite la proue du rap havrais, car il perce assez jeune, pourtant au Havre, on a mis plus de temps à comprendre ce que les parisiens ont compris tout de suite. Dans le sens, où c’était un très bon rappeur, mais quand il fait 11 septembre et Jihad : le plus grand combat est contre soi-même, nous, on comprend pas qu’il ait ce succès, on pensait que ce serait d’abord Brav ou Tiers.
Personnellement, j’entre dans l’univers de Médine avec le projet Table d’écoute. J’ai mis beaucoup de temps. Puis quand j’entre à Din Records, c’est là que je comprends pourquoi Médine est devenu Médine. C’est un acharné du travail et c’est une personne qui est à l’écoute de son équipe. Ils lui proposaient des modifications de tout, de flow, de textes, et il le faisait, même si ça ne rendait pas bien, il essayait. C’était impressionnant, pendant que des petits rappeurs comme moi, on préférait chipoter par ego.
En plus j’arrive au moment où il se met à la trap, donc il devait déconstruire son art pour le reconstruire. Je me rappelle, pendant trois mois, il s’est enfermé dans une pièce de 6m2 dans les studios et il débitait et rafalait des rimes. Il en ressort et fait Grand Médine. J’étais choqué. J’ai compris à travers Médine comment fallait travailler. Dès que je le vois faire un truc, j’essaye de faire pareil (rires). C’est une inspiration et un exemple pour moi, même si aujourd’hui, je ne peux plus trop l’espionner, car il a un studio chez lui (rires). Quand tu ne le connais pas, tu as l’impression que c’est un vrai dur, pourtant, il est humble, gentil, marrant et c’est le premier à donner des conseils.
Avant de sortir la trilogie Trauma, tu as sorti deux projets Training Day I & II, quel bilan tu fais de ces projets ?
Déjà j’étais un grand fan de ce film-là et de la philosophie dans ce film : « Pour protéger les brebis, il faut qu’on arrête le loup. Et faut être un loup pour arrêter un loup ». Si je dois faire un bilan, d’abord ça m’a permis de me lancer sans attendre quelque chose de particulier, et de voir où j’en étais par rapport aux autres artistes. Je me cherchais encore d’où le « Training Day », j’étais en entraînement, dans la salle du temps. Après, je vais peut-être dire un truc de fou, mais aujourd’hui quand je les réécoute je ne les kiff pas, c’est un truc d’artiste (rires), même si sans ça, je n’aurai pas fait ce que j’ai fait aujourd’hui.
Tu as réalisé un concept sur les réseaux sociaux où tu reprenais des morceaux connus de rappeurs et tu posais dessus, raconte nous la genèse du concept et comment tu choisissais les morceaux ?
Au tout départ, je faisais des capsules sur des guitares-voix, car j’avais vu une vidéo d’Einer Bankz avec son ukulélé qui faisait poser des rappeurs comme Roddy Rich, et ça m’a donné envie de faire plus ou moins pareil. Puis après avec mon équipe, on s’est dit que cela pourrait être pas mal de le faire sur des morceaux connus. Je voulais que ça soit des rappeurs à textes : Dinos, Damso, Dosseh, Alpha Wann… J’étais dans une volonté de challenge. Même si certains m’ont contacté, je ne cherchais pas spécialement à être validé par eux, je voulais qu’ils voient que j’étais chaud (rires). Je suis animé par l’esprit de compétition, si je fais un morceau avec un gars, je veux poser un meilleur couplet que lui.
Justement, avec Trauma 3, tu as amené quelques invités : Souffrance, 404Billy, Tedax Max et Cashmire, tu étais également dans cet esprit de compétition, car on sait la technique qu’ils peuvent avoir ?
Avec Souffrance, j’étais un peu dans cet état d’esprit-là, dans le sens que je voulais qu’il découpe à fond et pour qu’il fasse ça, il fallait que je sorte un énorme couplet. Avec les autres, je n’étais pas du tout dans cet état d’esprit-là. Tedax Max, j’attendais d’avoir la bonne prod pour lui envoyer, et il m’a envoyé un énorme pavé (rires). Je l’ai appelé, tellement il avait écrit de mesures (rires). On pensait couper, mais il m’a tellement respecté que je ne pouvais pas lui raccourcir. Cashmire on était dans l’enjaillement, et avec 404, on était plus dans le côté fraternel, car toute la famille de son père habite dans mon quartier, donc on se connaît depuis longtemps. Récemment on s’est revu et on s’est dit qu’on aurait dû faire un autre morceau que celui-là, surtout avec sa nouvelle DA. On n’est pas à l’abri d’en refaire un.
Si tu devais choisir un artiste avec lequel te confronter sur un morceau ?
SCH. Pour la simple raison que parfois, je ne comprends pas ses schémas de rimes alors je sais qu’il va me choquer. C’est un artiste complet, il est tellement fort.
Étant donné que tu diriges ta DA vers cet art, parlons de cinéma, est-ce que c’est une de tes passions en dehors du rap ?
Je passais beaucoup de temps à regarder des films et des séries, maintenant la vie fait que j’en regarde moins. Donc je dirai que c’était une passion, surtout les films et séries de gangstérisme et évidemment la filmographie de Denzel Washington. Mais j’aimais beaucoup les films de gangstérisme à l’ancienne comme ceux de Scorcese, ou encore des films avec De Niro comme Heat, car on sentait une forme d’âme qu’on ne retrouve plus vraiment aujourd’hui dans les films ou séries de ce genre, même si j’ai beaucoup aimé The Wire, Top Boy et Snowfall.
Mon film référence culte, c’est Les Princes de la ville. Je connais les répliques par cœur. Pour l’anecdote, une fois, je me suis enfermé une semaine chez moi et je l’ai regardé tous les jours, le film dure trois heures (rires). Pour les autres, c’était Scarface, pour moi, c’était Les Princes de la ville.
Qu’est ce qui te plait dans ce genre-là ? Le côté humain et l’évolution des personnages ?
Complétement ! Tu vas prendre Al Pacino dans le Parrain. Dans chaque film, il est différent, il évolue, c’est plus le même mec. Au début, il n’aime pas cette violence autour de lui, il pense qu’il va en sortir, sauf qu’au final, il reproduit ce qu’il a vu. Ce que j’aime, c’est le côté humain et le choix de leurs trajectoires plutôt la violence qu’on y voit. La violence, c’est pour l’esthétique. Je suis un mec de quartier, je viens d’un monde où la violence était présente dans ma vie, un monde où on ne s’en rendait pas compte qu’elle nous entourait. Limite, on banalisait la violence, c’est en commençant à travailler et à voyager que j’ai compris que ce n’était pas normal. Malgré ce côté romancé dans les films, on s’y reconnaît. C’est pour ça aussi que j’ai décidé d’axer ma DA là-dessus. Je peux raconter ma vie et mes pensées tout en y apportant visuellement une esthétique cinématographique.
Dans cette esthétique mafieuse, on retrouve les covers de la trilogie Trauma par Maxime Masgrau, quelles étaient les intentions derrière ?
Il fallait qu’on sente la violence dans le côté esthétique. La première, on retrouve le sang et le rouge et un gars qui se fait braquer, la deuxième avec un flingue fumant et la dernière avec ce flingue en forme de tombe. C’était le pari esthétique qu’on avait lancé à Maxime. C’est un artiste de fou qui me suivait déjà depuis quelques années, c’était presque facile pour lui. Il a eu quasiment que des premiers jets. C’est toujours plus simple de travailler avec une personne qui veut bosser avec toi et qui comprend ta musique et ton univers.
Sur la dernière cover, on retrouve la symbolique de la mort entre la tombe, le parapluie noir et les fleurs blanches, pourquoi ce thème t’inspire-t-il autant ?
C’est quelque chose où tout le monde est confronté. On vient de quartier, donc a un rapport particulier à ça, depuis gamin, on est confronté à la violence et à la mort. J’ai vu un grand sauter d’une tour de quinze étages, j’ai déjà été à l’hôpital voir un mec qui s’est fait tirer dessus à cause d’une embrouille. Puis le temps passe et tu vois des personnes autour de toi s’en aller et tu commences à te dire que tu avances en âge. Puis quand tu as des enfants, tu te demandes aussi ce que tu vas laisser quand tu partiras. Avec le temps, tu penses de plus en plus à toutes ces choses-là. Ça me travaille de plus en plus, surtout cet esprit d’héritage. Jusqu’à présent je parlais beaucoup de la mort notamment, car ma musique est sombre, mais je pense qu’à l’avenir, je parlerais beaucoup d’héritages et ce qu’on laisse. Je dis ça car je pense être en train d’évoluer sur le sujet, même si j’ai encore la sensation d’être bloqué en me disant que jusqu’ici tout va bien.
On terminera cet échange, par te demander, quelle est ta dernière claque cinématographique ?
Le deuxième Avatar. Au-delà des effets spéciaux, le côté spirituel du film est incroyable. Le lien avec la nature, les animaux, ils sont connectés à des baleines mec (rires). Il y a quelque chose d’hyper fusionnel avec leur environnement et c’est dans l’air du temps. Avec la pandémie et les problèmes sociaux et environnementaux actuels, tout le monde est en train de chercher à donner un sens à sa vie.