La pièce s’assombrit pour laisser place au feu d’un cigare qui s’allume, voilà l’ambiance dans lequel on a retrouvé Dosseh pour son nouvel album Trop tôt pour mourir. Les années ont passé depuis les succès de Yuri, Vidalo$$a ou encore sa mixtape Summer Crack Vol.4, et Dosseh ressort de l’ombre, nourri par sa soif de conquête et sa volonté de faire éclater les raisons de son silence.

LA PEAU DE L’OURS

Lorsqu’un artiste s’absente, les raisons peuvent varier. Dans le cas de Dosseh, on y a retrouvé un besoin de couper, de vivre de nouvelles choses et d’accepter des évènements personnels douloureux. Cette pause a permis à l’artiste orléanais d’amener un nouvel encrier à sa plume et ainsi de proposer un album bien plus obscur que Vidalo$$a que cela soit dans les thèmes abordés ou dans l’esthétique de l’album.

Si on devait faire un bilan de la carrière de Dosseh, c’est l’histoire d’un homme qui a couru pendant longtemps sans que personne ne se soucie vraiment de lui et qui au bout de quelques années a fini par intéressé la foule, comme dans Forest Gump. Après des années de dur labeur, c’est en 2016 avec Yuri que Dosseh trouve enfin un public fidèle. Succès au rendez-vous, deux ans plus tard il remet le couvert avec Vidalo$$a qui sera porté par l’hymne de 2018 : Habitué. Si Yuri ressemble plutôt à un succès d’estime, Vidalo$$a est quant à lui un succès commercial complet avec un cahier de charge dans son contenu parfaitement exécuté. Après quelques collaborations, une mixtape Summer crack vol.4 et quelques morceaux, Dosseh a fait vœux de silence pendant un certain temps, laissant ainsi sa musique parler pour lui.

HABITUÉ

C’est alors qu’en 2022 que Dosseh ressort de l’ombre, cigare en bouche et fusil à pompe sur la cover, dans une esthétique en noir et blanc, loin du rouge clinquant de son précédent album. Le ton était déjà donné, la salle du temps et de l’esprit a fait ressortir son côté Don Doss’, en mode attitude de patron de la pègre orléanaise.

GRANDIR PARMI LES LOUPS COMME DINA SANICHAR

L’album démarre avec le morceau Dina Sanichar. Le thème est directement lancé. Dina Sanichar c’est l’histoire d’un enfant qui a grandi parmi les loups. Inspiration première de Rudyard Kipling pour Le Livre de la jungle, Dina Sanichar faisait partie de ces nombreux enfants sauvages en Inde au XIXe siècle. Trouvé et traqué par des chasseurs, l’enfant qui a vécu au cœur d’une meute de loup jusqu’à ses six ans fut placé dans un orphelinat. Malgré les multiples tentatives d’éducation, l’enfant garda son instinct animal : il marchait régulièrement à quatre pattes, il n’a jamais su ni lire ni écrire et continua à pousser des cris. Il mourut à ses 29 ans de tuberculose.

« J’étais pas un délinquant mais un bon humain prêt à t’faire d’vilaines choses. » – Dina Sanichar

La référence à Dina Sanichar vient imagé Dosseh lorsqu’il était plus jeune. Le morceau vient faire une rétrospective de ses méfaits de jeunesse dû à ses mauvaises fréquentations. La définition de « grandir parmi les loups » vient aussi appuyer l’idée qu’il avait la sensation d’être parfois livré à lui dans la jungle urbaine, et donc de revenir parfois à l’état sauvage. C’est comme ça qu’il s’est construit et qu’il est devenu l’homme qu’il est aujourd’hui, un homme qui se sent différent.

« On traîne en meute, marche comme des putains d’affranchis » – DINA SANICHAR

PENSE COMME UN DOSS’

Une ambiance cinématographique entoure l’album. Tout l’univers de la mafia vient habiller les pensées de Dosseh qui devient le Don Doss’. Ce côté « patron de la pègre » est présent sous différents aspects. D’un côté on retrouve les moult éloges d’objets de valeurs : montres de luxe, voitures, vêtements chics… D’un autre, on retrouve tout le champ lexical de la mafia dans les thématiques : l’argent, les armes, la famille, la vengeance, l’adversité, l’esprit de clan, la prison dans le storytelling avec Momsii, ou encore la mort.   

« J’ai la démarche d’un mec qui a un pompe sous son trois-quarts en cuir » – RS-28

Le premier point évoqué par Don Doss’, c’est la richesse. Ici il n’étale pas bêtement qu’il a gagné beaucoup d’argent grâce à ses nombreux business légaux, mais plutôt ce qu’il en fait pour avoir cette vie de César (morceau avec Werenoi, ndlr). Un patron ne dit pas ce qu’il a sur son compte en banque, mais démontre l’étendu de ce dernier par son attitude et ce qu’il en fait comme dans Caïman et Astrakan. L’idée derrière de Dosseh n’est pas d’être vantard, mais de montrer qu’il profite après être parti de rien comme Meyer Lansky (boss de la mafia juive de New York, ndlr) et aussi tout ce qu’il a dû traverser : les aléas de la vie, d’avoir grandi parmi les loups, d’avoir survécu à une période maudite du rap où il n’y avait pas autant d’argent, tout en rappelant qu’aujourd’hui il peut tuer le temps avec une Rolex Sky Dweller ou encore avoir l’attitude de Mickaël Jackson dans Smooth Criminal détrouné en Smooth Criminel avec Zed. À noter que le nom du morceau vient faire écho subtilement à l’un de ses business à Orléans.

« J’me souviens d’quand j’faisais mes propres prods sous un autre pseudo car j’assumais pas » – Sky Dweller

Quand on demande de penser comme un boss, on pense notamment à toutes les stratégies qu’on souhaite mettre en œuvre pour garder son titre de boss. Dans RS-28 (autre nom de Satan 2, un missile intercontinental russe, ndlr), Dosseh fait référence au livre du stratège chinois Sun Tzu, L’Art de la guerre, dans lequel il explique les différentes stratégies pour gagner une guerre. Et dans ses batailles pour gagner son titre de boss, il se bat aussi pour se faire entendre sur de nombreux sujets sociétaux.

RS-28

Parti comme Dina Sanichar, Dosseh a traversé les épreuves pour en arriver là mais Rien n’a changé comme il le rappelle dans l’album dans un morceau plus léger en terme d’ambiance qui vient aérer l’album obscur. Il a toujours les mêmes valeur et les mêmes méfiances qu’autrefois. Même s’il cherche à convaincre sa partenaire qu’il mène une vie paisible dans le morceau avec Leto, aucun obstacle ne semble être trop grand pour lui dans Destinée : « J’rendrai gloire à l’empire, moi, j’sais pas ralentir, j’marche d’un pas ferme et décidé ».

À force de développer des business, de gagner en popularité et de faire des allers-retours à Amsterdam avec Lacrim, un vrai patron devient méfiant avec ses détracteurs externes cela fini par l’impacter au point d’en faire des cauchemars. Dans le morceau Je te pardonne, Dosseh s’imagine se faire tirer dessus. Aux allures de cauchemars, le morceau signe en réalité une notion de paix intérieure dû au pardon donné par l’artiste envers son assassin qu’il essaye en vain de comprendre son geste.

NE PLUS CRAINDRE LA MORT

Avec un titre d’album digne d’un grand James Bond, Trop tôt pour mourir, n’échappe pas au thème de la mort. Entre des morceaux dédiés à cette dernière, et des références dissimulées tout au long du projet, la mort a été omniprésente dans la vie de Dosseh ces dernières années et vient offrir le visage le plus sincère de l’artiste à son public.

« La vie est dure, la mort ne l’est qu’pour ceux qui restent vivant ici » – L’ALGORITHME DE DIEU

L’un des morceaux phares de ce nouvel album, c’est le storytelling Djamel. Une histoire vraie racontée par Dosseh en se mettant à la place de Djamel, un ami à lui qui s’est fait tirer dessus lors des attentats de novembre 2015. Entre un texte fort et précis, une interprétation puissante, on plonge dès le quatrième morceau dans la noirceur la plus totale de l’album. La transition avec le morceau en featuring avec Tiakola : Plus belle la vie, plus belle la mort, est parfaite. Le morceau sonne comme une conclusion au morceau précédent. On y retrouve dedans un rappel qu’il faut profiter dès aujourd’hui parce que la mort peut arriver demain d’une façon ou d’une autre.

« Moi, j’ai jamais su dire à mes vieux que j’les aimais. Y a rien d’pire que quand les regrets sont éternels. Et je traîne le poids d’mes erreurs comme un fardeau en vivant dans l’déni d’mes défauts comme un ado’ » – PLUS BELLE LA VIE, PLUS BELLE LA MORT feat. Tiakola

Autre morceau poignant, c’est le morceau Fleur d’automne. La fleur d’automne est une fleur souvent très colorée mais qui est vouée à tomber en hiver, une image parfaite pour décrire la mort de sa mère et la tristesse qu’il a depuis que la dernière pétale s’est envolée. Un morceau à cœur ouvert qui vient le mettre dans l’inconfort par le thème abordé et par sa pudeur sentimentale : « À vrai dire, j’suis même un peu gêné d’mettre ça en chanson. P’t-être un peu impudique, même si ça part d’une bonne intention ».

« Le rap, c’est magique quand on dépend pas pour graille. Fuck être un esclave des ventes, laisse-les faire des burn out, ils vont tous die » – L’ALGORITHME DE DIEU

Face à cette angoisse de la mort, Dosseh a fini par en tiré des conclusions qu’il dissimule dans la fin de l’album. Dans le morceau avec Dinos, les deux rappeurs font la démarche de s’améliorer et de devenir une meilleure personne, que ça soit pour eux face à leurs passés ou pour ceux qu’ils aiment afin de laisser un meilleur souvenir de leurs passages. Pour terminer, l’album se termine par l’Algorithme de Dieu et le titre éponyme Trop tôt pour mourir. Deux noms de morceau aussi fort que leurs contenus. Entre une évocation de ses valeurs, la présence divine dans sa vie, son choix de faire du rap sa passion et non un métier, et l’outro qui vient faire plaisir aux auditeurs à qui Dosseh avait manqué, le très puissant album de celui qui est « orléanais comme Georges Weah ou Raï furent parisiens », se termine de la meilleure des manières.