Classe, élégant et technique, trois qualifications qui représentent beaucoup de joueurs de football à l’instar d’un Javier Pastore, mais également le rappeur belge JeanJass. Loin d’être l’album le plus attendu, ni le blockbuster de l’année, Doudoune en été fut la surprise de 2022. Découvrons désormais ce que contiennent les poches de la doudoune du rappeur belge.

DOUDOUNE EN ÉTÉ, JEANJASS

Jassim Jean Ramdani aka JeanJass, l’homme « grand et fort comme Erling Haaland » (Dans le mur, ndlr), est un rappeur belge d’origine marocaine. Bien que son succès débute lors de sa connexion avec Caballero, le rappeur qui a grandi à Charleroi avait déjà fait parler de lui avec plusieurs projets dont l’excellent Goldman en 2014. Deux ans plus tard, le public rap se faisant de plus en plus nombreux et la scène belge obtenant enfin la lumière qu’elle méritait, JeanJass s’allie à Caballero et dévoilent la trilogie des Double Hélice. Tous deux adeptes des serres botaniques du professeur Chourave, ils lancent une émission en 2017 à franc succès : High & Fines Herbes.

Bien que le duo reste encore actif avec la mixtape High & Fines Herbes en 2020 et les sorties en vinyle de leur série boom bap : Zushiboyz, ils dévoilent également des projets solo. D’un côté Caballero a sorti OSO et OSITO, un album et un EP respectivement en 2021 et 2022, de l’autre JeanJass, Hat Trick et Doudoune en été ces mêmes années. On notera qu’il n’y a pas de réelle dissociation des deux rappeurs puisque leurs albums forment un double album solo intitulé OSO / Hat Trick, et que les deux se retrouvent sur le projet de l’autre, soit sous la forme de back, soit sous le côté de beatmaker pour JeanJass.

ANALYSE DE DOUDOUNE EN ÉTÉ

À la genèse du projet, Doudoune en été devait être un EP, du moins, être un format plus court que les 12 titres finaux de la version Temps Additionnel. Comme le raconte JeanJass dans l’interview du Code de Mehdi Maizi, c’est Lomepal qu’il l’a invité à en faire un album. Alors le Double J écouta son ami, et Doudoune en été fut un projet de 10 titres avec une addition de deux nouveaux titres plus tard.

La première particularité du projet, est son titre. À la fois amusant mais également intrigant. Ce nom esthétique a son côté très décomplexé et très américain, une culture et une musique que JeanJass affectionne mais aussi ce côté différent par cet oxymore de porter une doudoune en été. Un contraste voulu et amusant qui permet de se poser des questions sur le projet en lui-même.

Avant de plonger dans les poches de la doudoune de JeanJass et de voir ce qu’il s’y trouve, revenons rapidement sur la composition de la veste. Premier point c’est qu’il s’agit d’un produit fait main, c’est à dire que JeanJass est à la fois à l’interprétation de ses textes mais aussi à la production de ses prods, bien que parfois accompagné. Un pur produit fait main auquel il est venu ajouter quelques samples bien digger et quelques invités que sont : Youssoupha, Tuerie, Fuku, Jazzy Bazz et Benjamin Vndredi. Le tout forme une veste esthétique et technique avec une matière de qualité.

ÊTRE DIFFÉRENT

« Porter une doudoune en été », ce n’est pas tellement le concept derrière l’album. L’image de Doudoune en été est celle de la différence. Se différencier par l’image d’un homme portant une doudoune en été, comme pourrait l’être celle d’un homme qui porterait un marcel en hiver. Dans cet album, JeanJass marque sa différence.

« Rire de méchant qui gagne à la fin. Merci le rap, je mange à ma faim » – GRATUITEMENT

Dans un premier temps, Double J marque sa différence face à sa concurrence dans le rap et sa relation avec le milieu. On retrouve des punchlines égotrip comme « C’est vrai tu rappes bien, mais moi je rappe mieux » dans Roberto Baggio ou encore la magnifique référence à Dragon Ball « Je suis Freezer tu es Krillin. J’te soulève puis j’t’explose devant ton best friend » dans Le Six, des drops names comme le duo de Lunatic, Freeze Corleone, Orelsan, les Fugees ou encore le clash entre Booba et Kaaris, ou encore sa vision du milieu. Le secteur du rap est représenté négativement entre le fait que la musique soit devenue fast-foodesque dans Roberto Baggio : « J’mets trois ans à faire un album, après deux semaines, tu l’écoutes plus. Si ça, franchement, c’est pas un coup d’pute » ou encore le manque de confiance dans Orly Love auprès des acteurs de ce secteur. Néanmoins quelques références positives apparaissent comme celle à Nas en 1994. Référence directement à Illmatic, sorti cette année-là, considérable comme un chef d’œuvre de l’histoire du rap et surtout un album de chevet pour l’artiste belge. L’expression « glisser comme Nas » vient faire écho à une phrase que lui avait dit le Roi Heenok pour le complimenter. Une dernière référence, digne de la fierté belge mais ici digne de la fierté de Charleroi, c’est la représentation de sa ville comme la Masia (centre de formation du FC Barcelone, ndlr) dans Je glisse.

« L’impression d’être le dernier rappeur qui respire. Enfin libéré comme Britney Spears » – PREMIER JOUR

En parlant de football, JeanJass est un expert en références et notamment dans ce nouvel album : Van Nistelrooy, Haaland, Lukaku, Axel Witsel ou encore la frappe de Sunday Oliseh. Néanmoins, le belge semble avoir un petit penchant pour le football italien. Dans une première référence, il se compare avec Caballero aux défenseurs italiens qui avaient la réputation d’être à la fois complémentaires mais aussi très forts au point que rien ne pouvait passer dans Gratuitement : Chiellini et Bonucci. Au final, la plus belle référence reste celle du numéro 10 de la Squadra Azzurra et le nom du featuring avec Youssoupha : Roberto Baggio. Au refrain du morceau, JeanJass emploie le terme de « perdant magnifique » comme le milieu offensif italien. Réputé pour sa technicité et aimé du public, Roberto Baggio a raté le pénalty décisif en finale de coupe du monde contre le Brésil d’où l’explication de « perdant magnifique ». Cette comparaison vient accentuer le fait que JeanJass ne connaîtra jamais le même succès comme certains de ses collègues dans le rap malgré le fait qu’il soit aussi, voir plus, fort qu’eux.

ROBERTO BAGGIO EN 1994

On ne peut être différent sans se comparer et analyser. Dans Doudoune en été, JeanJass n’oublie pas de lâcher quelques critiques sur la société. D’un côté on retrouve quelques pics envers la ville de Dubai et ceux qui y crèchent, d’un autre on retrouve des remarques sociales sur le fait que tout le monde veut se ressembler dans Inconvénients : « Les mecs ont tous le même flow, les meufs ont toutes le même cul (S/o le docteur) », sur les violences policières dans Gratuitement : « C’est jamais la faute de l’homme en bleu. On connait la chanson comme do, ré, mi » ou encore sur le réchauffement climatique dans Je glisse : « Faut pas être prix Nobel pour comprendre que tout part en cett-su, dehors 40 degrés Celsius ».

AVOIR LE COMPORTEMENT DU CHEF

En 2018, Caballero & JeanJass rappait le fait qu’ils avaient la mentalité et le comportement du chef. Si pour l’époque c’était sûrement un flex, en 2022, JeanJass a totalement adapté ses paroles aux actes. Comment savoir si l’on peut opter pour le comportement du chef ? Premièrement, quand on est son propre chef : « Les boss et les réveils, tout ça j’ai dit adieu » (Roberto Baggio, ndlr). Deuxième étape, quand on peut passer des journées à ne rien faire sans complexer et en sachant que l’on fait de l’argent : « J’fais pas grand-chose mais c’que j’fais, j’le fais comme personne » (Roberto Baggio, ndlr). Troisième étape, quand on peut consommer des plats raffinés sans se dire que c’est une exception : « Nuit blanche, pas r’posé. Bosse dur pour ne plus devoir bosser. Caviar et champagne rosé, holà tchika moi c’est Juan José » (Le Six, ndlr) ou encore « J’fais d’l’art même si j’sais qu’c’est l’fric qui domine ici. Tu paies, j’te file le truc dès qu’j’aurai fini mon risotto à l’huile de truffe » (Truman Show, ndlr). Enfin, quand on a adopté le comportement du chef, on peut le transmettre à sa descendance : « Si mon gosse veut devenir astronaute je lui dirais « déconne pas frère devient rentier. Achète toi une dar, un barbecue au gaz, invite ton avocat et ton banquier” » (Je glisse, ndlr).

« Un été à BX, studio tous les soirs, fuck un jour off. Que du haut niveau, fuck un jour bof » – INCONVÉNIENTS

Un comportement de chef, c’est aussi apprécier la simplicité. Loin d’aimer le côté luxueux et la frime ou encore le café, JeanJass apprécie la douceur de la vie car « le bonheur est dans les choses simples » : « Riеn d’prévu cet été, j’regarde pousser mes p’tites tomates » (Gratuitement). Et parfois le bonheur se trouve aussi dans le plaisir de ne rien faire et de prendre du temps pour soi et s’ennuyer. Seulement, ce plaisir coupable d’être seul peut amener une certaine solitude mélancolique qui n’a pas manqué de toucher le belge.

PENSÉES HIVERNALES EN PLEIN ÉTÉ

Si l’image de la Doudoune en été représente la différenciation d’une personne face aux autres, elle est aussi l’image d’un homme qui peut avoir des pensées obscures, hivernales pendant l’été et même tout le reste de l’année. D’abord, on retrouve une référence au film The Truman Show sur le morceau avec Jazzy Bazz. Le film raconte la vie d’un homme joué par Jim Carrey qui malgré lui est une star de la télé-réalité, car il est enfermé dans une représentation fictive de la réalité sans qu’il le sache, et les téléspectateurs suivent ses aventures. Cette référence permet à JeanJass de s’y comparer avec son côté star avec ses fans, et son enfermement. Un enfermement qui le tiraille dans ses émotions le rendant lunatique au quotidien  : « J’suis Ali Booba, d’humeur changeante » (Grammy).

« J’vis en colloc avec ma mélancolie » – GRAMMY

La mélancolie qui accompagne JeanJass a une sœur végétale qu’il inhale quotidiennement. À l’instar de Vald dans Ma meilleure amie, son addiction l’amène même à créer un morceau, Inconvénients, dédié sous la forme d’une déclaration d’amour : « J’suis un salaud j’te veux juste pour moi » ou encore « « J’veux qu’tu sois mienne, au-dessus d’la moyenne. Elle me sort d’la poitrine comme un alien ». Même si dans le morceau Dans le mur, il dit qu’il se sent vivre avec, il rappelle que cela reste mauvais pour sa vie dans Gratuitement : « J’t’explique la vie comme si j’étais Jamy. Fuck la drogue, tout l’argent qu’j’y ai déjà mis ». Néanmoins, cette addiction nous amène son lot de belles références aux côtés humoristiques : « Très très high comme si j’partageais un space cake avec Thomas Pesquet » (Inconvénients, ndlr), « J’me rappelle plus d’la veille, Mеn-in-blackisé » (24H, ndlr) ou encore « Les voisins devraient me remercier pour toute la frappe fumée passivement. Tout ça gratuitement » (Gratuitement, ndlr).

« Mon cœur elle veut faire chavirer. Elle me prend pour un Jacques Villeret » – 24H

Bien que la solitude lui soit salutaire, elle lui amène à développer un thème adoré auprès des rappeurs : l’amour. En couple et papa d’une petite fille, JeanJass développe malheureusement la face sombre de l’amour. Si dans Premier Jour on peut y voir un triple sens de déclaration dans le texte avec l’amour, la drogue et le rap, dans S&L et Orly Love c’est clair que l’on parle du fruit de l’amour qui pourri. Dans S&L, JeanJass revient à un exercice de style qui se perd dans le rap : le storytelling. Dans ce dernier, il raconte l’histoire d’un couple qui dans le premier couplet connaît la folie des débuts et qui dans le second subit le temps et les échecs. Une situation qui laisse l’imagination de l’auditeur pour le troisième couplet. Dans l’hypothèse, le morceau pourrait se conclure par la situation dans Orly Love, une histoire d’amour qui finit mal : « On aurait pu être Kylie et Travis mais ça a fini en Booba et Kaaris ».

Pour conclure, Doudoune en été est un petit bijou rapologique. Entre des références de qualité, une diversité dans les ambiances et des collaborations intelligentes, JeanJass a offert un projet technique et efficace dû à ses 12 titres en comptant ceux du Temps Additionnel. À consommer sans modération car le projet a d’excellentes saveurs comme un plat étoilé.