C’est dans un studio caché d’un parking d’une enseigne alimentaire du 94, que Dehmo nous attendait. Le temps était notre allié alors nous avons discuté un moment, et l’interview s’est lancée. En voici les meilleurs moments avec des dérives sincères et poétiques de sujets qui nous unis.

À quel moment tu te mets à rapper et à écrire tes premiers textes ?

J’étais au collège en 3e pour être précis, avec un pote. On rappait juste pour voir, pour rigoler. On n’était même pas fort, on voulait juste essayer. On voyait la musique comme un jeu, comme quand on pouvait avoir envie de jouer au foot.

Qu’est ce qui t’a donné envie de tester ? Quelles ont été tes influences ?

J’écoutais surtout du rap français, tout le rap underground, la Mafia K1 Fry ou encore Salif. Je n’arrivais pas à accrocher avec le rap us. À l’époque, on écoutait aussi ce qu’on pouvait car la musique n’était pas aussi accessible qu’aujourd’hui. C’était l’époque des CDs gravés, des radios nocturnes, même j’allais à la FNAC pour écouter les albums dans les casques (rires).

LES PRINCES, MZ & Nekfeu

La période avec la MZ a été un gros moment dans ta carrière, encore aujourd’hui beaucoup de gens écoutent encore vos morceaux, est-ce que tu as conscience que vous avez marqué une génération ?

Pour ceux que ça a marqué, c’est un classique. On n’était pas dans la lumière en soit, ni spécialement exposés comme pourraient l’être des artistes aujourd’hui avec tous les médias rap qui existent. On était des vrais charbonneurs, on faisait des tournées avec des salles remplies, on faisait nos scores, on avait notre public, nos supporters. On kiffait avec eux tout en restant dans notre coin et discrets. On a réussi à créer une vraie communauté, même encore aujourd’hui après l’arrêt, les gens continuent d’écouter et de réclamer. Il y avait une vraie énergie, dans laquelle le public était et est toujours connecté aujourd’hui. À cette époque, il y’avait toujours un morceau de la MZ dans les playlists, c’était quelque chose vraiment. C’est pour ça qu’avec du recul je trouve que la MZ, c’est devenu un classique. 

MZ – Toi sur moi

On a la sensation que vos morceaux se bonifient avec le temps, qu’en penses-tu ?

Je pense que pour l’instant, les musiques de la MZ sont intemporelles, je dis bien « pour l’instant ». À part nos premiers sons, aujourd’hui on pourrait les écouter comme si c’était nouveau. On avait notre identité. Quand je les remets et que je les réécoute, je n’ai pas l’impression d’écouter quelque chose de démodé. On était vraiment une bande de potes, avec une vraie énergie entre nous, et les gens ont rejoint cette alchimie.

Est-ce que tu as trouvé compliqué la période de transition entre celle d’être en groupe à celle d’être en solo ?

Clairement, elle était compliquée car j’ai perdu mes habitudes. Je me suis même demandé si j’allais continuer à sortir des morceaux pour le public. J’aurai continué d’en faire, je reste un grand passionné mais quand tu pars en solo, tu découvres un autre monde. Ce n’est plus la MZ, ce n’est plus l’alchimie, c’est moi. Tu ne fais plus qu’un seul couplet et le refrain, tu fais des morceaux entiers où le public te découvre complètement. Même si je faisais déjà des morceaux solos, je ne me voyais pas percer à la base, je faisais du rap comme on faisait du foot. Tout ce qui nous est arrivé, tout ce qui m’arrive aujourd’hui, je me dis simplement que ce n’est qu’un bienfait.

©Gabriel Hardy

Pourtant malgré les doutes de continuer, tu dévoiles ton sixième projet en solo, Poetic Bendo II, c’est volontaire d’être aussi actif ou c’est naturel d’être dans une dynamique de partage ?

Je suis vraiment dans une dynamique de partage. Tout n’est que passion. J’écris tout le temps. Même si ça ne donne pas un morceau. Après, comme on est professionnel, on réunit juste les morceaux pour faire un projet homogène et qui soit dans le bon timing pour le proposer aux gens. C’est une vraie addiction, j’en ai même fait le nom d’un de mes projets (Addict, ndlr). Même si je n’avais pas de public, je serai en train d’écrire et de faire des morceaux.

COMPLIQUÉ

T’es toujours dans une dynamique de format ? Album, mixtape, EP ?

Honnêtement je trouve que c’est devenu des prétextes pour donner plus ou moins de sons. À partir du moment où tu proposes, t’es censé proposer les meilleurs sons, selon toi, que tu as fait récemment. Avant il y avait un code à respecter : par exemple un EP avec des sons qu’énervés, un album avec des morceaux plus ouverts etc.. Mais aujourd’hui c’est devenu tellement éclectique que c’est devenu des prétextes. Néanmoins, je garde quand même cet esprit de sélection lors de mes sorties. Si on fait 30 morceaux, on en sélectionnera 15. Si ça ne tenait qu’à moi, je donnerais tout, mais on est tellement devenu des enfants gâtés dans la musique qu’on ne peut plus tout donner. Personne ne va écouter 30 morceaux, alors que 10 par 10, c’est plus abordable. Je suis obligé d’être sélectif et d’être homogène, il faut rester professionnel. Ça n’entache pas ma passion pour autant, juste je m’adapte, c’est ça pour moi le travail.

C’est le moment où l’interview a dévié et qu’on a débattu sur le thème de la passion, vivre de sa passion, la chance d’en avoir une.. Voici quelques extraits de Dehmo.

Demain si ça ne marche plus, j’irai travailler ailleurs. On ne se rend pas compte de la chance qu’on a, vous et moi, d’avoir une passion. Avoir une passion c’est une folie, alors en vivre c’est le sommet. En vrai, il ne faut pas dépendre des autres pour faire vivre cette passion au fond de toi, sinon c’est toi qui va en baver. On fait partie de ces 10% qui vivent ou espèrent vivre d’une passion, on ne doit pas se plaindre, on est chanceux car on a des projets qui nous animent. Des gens vivent la même journée tous les jours, avec un métier qui ne leur plait pas, et ils savent que ça ne changera pas. Tu leurs demandes ce qu’ils savent faire, ils te disent « Rien frérot ». C’est cruel mais c’est notre monde. Si tu as une passion et que tu peux espérer en vivre ou que tu en vis, tu te dois d’être content, ce n’est pas la chance de tout le monde.

TOTO VA BENE

Après quelques échanges, on a décidé de revenir à l’interview…

Poetic Bendo II tu le vois comme une suite au premier ?

Pour être franc, au départ, je ne le voyais pas comme une suite. Finalement, je me suis dit que ça serait bien de l’appeler Poetic Bendo II car, selon mon ressenti, il est dans le même esprit que le premier mais avec une évolution. Après il y aura toujours un mec qui dira qu’il préfère le premier car il y a tel ou tel morceau (rires). C’est psychologique, les premiers projets que t’écoutes c’est là où tu découvres l’artiste et son univers, ce n’est pas forcément là où il est le plus fort. Tu prends Kaaris, Or Noir c’était tellement nouveau et tellement chaud que beaucoup de personnes ont pris une claque. Tu peux reprendre la même claque avec la même énergie et la même puissance, tu te rappelleras d’abord de la première que tu as prise. Tu prends Gims au début c’était pareil, tu prends Niska aussi. Il y a des gens qui disent que les morceaux de Niska au début étaient plus forts que ceux d’aujourd’hui, c’est des fous, les morceaux n’étaient même pas mixés (rires).

COVER – POETIC BENDO II par Igniseum

Parlons de la cover, elle a ce côté d’art urbain, c’était une volonté de ta part ?

J’ai toujours travaillé avec Igniseum, sauf pour Rogue. C’était logique qu’il fasse le deuxième. Pour tout te dire, au début il nous a présenté une idée qui sortait de son délire et ça nous a pas trop convaincu. Je lui ai dit : « Quand je t’appelle, toi, c’est pour que tu montres ton art, que tu te laisses aller ». J’aime être surpris. Il est parti faire un tour, il est revenu avec l’idée de la cover, et on a tous dit oui (rires). Il a rajouté sa patte, il a rendu le projet encore plus beau car il a apporté son art à lui. Honnêtement j’adore le rendu. En plus c’est la seule cover où je ne suis pas tout seul. Pour l’histoire, il m’a expliqué l’idée, j’ai donné rendez-vous à personne. Je suis arrivé au quartier, j’ai dit « j’ai besoin de toi, toi et toi pour faire la cover ». Il y avait que Kara (son manager, ndlr) qui était prévu, qui est arrivé en flow pour mettre tout le monde à l’amende (rires). Mais le reste n’était pas prévu, c’était vraiment bendo. Une cover, c’est une porte et elle doit donner aussi envie aux gens de découvrir ce qu’il se passe derrière cette porte.

Tu as quelques invités dans le projet : Doums, Tiakola, Chily, Hache-P et Kanoé, raconte nous quelques anecdotes d’enregistrements ?

Déjà les gens que j’ai invité c’est des galères (rires). C’est des gens que je connais, et je me suis dit que c’était le bon moment pour faire un morceau. Par exemple, le son avec Chily c’était très carré. J’aime sa folie, j’aime son délire. C’est un passionné à sa manière. Y’a Doums aussi, sacré galère pour d’autres raisons. Il vient avec du retard, il s’assoit et fume en disant « tu vas voir je vais te faire un bête de couplet » (rires). Il rentre et fait une impro de fou. Puis il y a Kanoé. On a fait le refrain et il ne trouvait pas d’inspiration pour le couplet alors on a fait un autre morceau mais kické cette fois. Mais c’était un peu facile, c’était ce que les gens pouvaient attendre d’une collaboration entre nous, ça ne me convenait pas. J’étais trop resté bloqué sur le premier qui était dans un délire différent. Alors on a continué le morceau et au final on est contents du rendu final qui met un vrai contrepied à l’auditeur.

Quelle était l’atmosphère ou le mood que tu as mis dans le projet ?

J’écris avant d’arriver au studio. Je préfère arriver et avoir un morceau à tester, et si ça ne marche pas, je repars pour un autre truc. Pour répondre à la question, je n’avais pas de mood particulier, je pensais juste à faire de la musique et essayer de faire mes meilleurs morceaux. Quand je le fais, j’y vais à fond et je propose ce que je sais faire de mieux au moment où je le fais. Je suis un vrai passionné qui cherche toujours à se surpasser. Si les gens prennent et aiment ce que je leur propose, tant mieux, sinon tant pis, ça ne m’empêchera pas d’être fier de ce que j’ai sorti.

Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ? Toujours garder cette passion ?

Non, ça, on n’a pas besoin de me le souhaiter, c’est sûr je la garderai. Ce que je souhaite, c’est que dans 5/10 ans on se revoit et qu’on soit tous devenus patrons de notre truc et qu’on puisse se dire en discutant : « tu te rappelles quand on avait fait l’interview dans le petit studio là dans le parking ». Je nous le souhaite.