Le 16 décembre 2021, Le Retour du V est paru. Un retour ? Pas tellement puisque Vald n’est jamais vraiment parti. Depuis Ce monde est cruel, l’artiste d’Aulnay sous bois a tout de même sorti un album en commun avec Heuss l’Enfoiré, deux mixtapes Échelon avec des inédits et des apparitions en featuring. Néanmoins, c’est son véritable retour en solo deux ans après son dernier album. 

Après le dernier album, Vald a rempli un Bercy. Une étape importante dans la carrière d’un artiste bien que ce dernier ait été un trou financier : “Comment perdre cinq cents mille euros avec l’Accor Hotel Arena complet” (Sur un nouvel album). L’homme aux multiples platines et aux dix ans de carrière était arrivé au sommet de son art et un premier pas dans l’indépendance. De la réussite à la pandémie, en passant par l’isolement et sa vision de l’industrie musicale, V retrace les deux dernières années de Vald.

LE RETOUR DU V

TRAVAILLER POUR MIEUX RÉGNER

Thème déjà présent sur son dernier album, le V continue de prôner cette réussite monétaire dans ce nouvel album : “Ai-je fait cinq M en une année ou était-ce une hallu’ ?” (Pandémie), “Mes descendants seront enviés, à trente ans, je suis rentier”  (La faux le fer) ou encore dans Rappeur conscient : “J’ai pas seulement une allemande, j’ai un chauffeur assigné et toute la relève à signer”. Dans V, la réussite prend une nouvelle forme, cette fois professionnelle : le fait qu’il soit sponsorisé par Adidas, qu’il voyage bien mais qu’il préfère la France au final ou encore sa déclaration de vie idéale car il fait un boulot bien plus que génial : “J’suis tous les jours en congé, comme tous les jours en concert” (Sur un nouvel album). 

“Les ambitions sont vulgaires : de l’argent, du sexe et du shit Ça fait un moment, j’sais que j’réussis” – Pas deux fois, Vald

Même si pendant des années, Vald s’est considéré comme une blague qui avait mal tournée, l’artiste a aujourd’hui des ambitions digne d’une tête d’affiche : « Soit j’meurs en essayant, soit je fais le diamant » (Sur un nouvel album). Déjà plus de 10 ans que l’artiste est actif : “J’suis là d’avant les réformes, j’suis là depuis l’CD-ROM” (Nouvelle industrie), mais c’est avec l’étrange succès de Désaccordé, qui n’avait rien d’un hit, que Vald a passé un cap. Seulement ce cap passé le catégorise parmi les artistes dont les attentes sont très élevées et dans son cas, comparatives à Désaccordé : “Tourné vers l’avenir, je fais face au pire. On m’habille comme un complotiste avec qu’un seul succès comme Kassovitz, j’crois qu’on s’est pas compris” (Cafards).

“On regarde personne, bitch, on regarde seulement l’parcours” – Papoose

Le parcours de Vald ne peut se résumer à un hit, lui-même fait des clins d’œil à son chemin de réussite qui feront sourire ses fans. D’abord au fait qu’il ait fait des premières parties, de Papoose à Joke en passant à Method Man, mais également à son fameux pull Redskins dans Maudit : “J’ai jamais lâché l’affaire depuis le Redskins pullover”. On retrouve également des clins d’oeil à des morceaux de Xeu comme Primitif dans Sushi, Trophée dans Papoose, mais aussi au clip de Journal Perso 2 de Ce Monde est cruel avec la présence d’Astrid Nelsia : : “Là, j’reviens foutre le feu comme si j’reviens pour Astrid” (Sushi). 

Cette dimension du travail acharné, de mineur, pour arriver au succès et à la réussite, Vald l’appuie beaucoup plus dans ce nouvel album avec l’emploi régulier du champ lexical du travail et de la complexité. En voici quelques exemples : “Travaille assez dur si tu veux cette vie de bohème” (Sushi), “ La route est longue et sinueuse et pleine d’embûches pour les lovés” (La faux le fer) ou encore dans Annunaki : “La route est longue vers les étoiles (Wow) Et plus tu montes et plus il fait froid”. Cette course de fond le mène à  se considérer comme un grand cru face à une concurrence piquette dans Happy end. Désormais, en totale indépendance et en pleine maîtrise de ses moyens, le V conclut: “Echelon : label épique, c’est maintenant la belle époque” (Sur un nouvel album). 

ANNUNAKI

ÊTRE UN CAILLOU POUR LA MACHINE

Différent et parfois incompris, Vald a toujours su prouver et cultiver sa différence dans le milieu de l’industrie, que cela soit musicalement ou dans ses choix de carrière. Après Ce monde est cruel, Vald part en indépendant avec son équipe, un virage plus compliqué mais plus bénéfique pour un artiste qui voit une plus grande partie de ses bénéfices lui revenir et surtout qui s’émancipe d’un bridage artistique : “J’suis mon sse-bo, j’suis mon produit” (Un mot). 

“J’veux toujours bien faire, même en missionnaire, j’y vais comme si j’rendais service au pays” – Je ressens rien

Si “Le V les braque et le V leur prend tout” (Sushi), le V dépeint surtout l’industrie musicale maintenant que la muselière des maisons de disques lui a été retirée. Même si des constats étaient déjà dissimulés avant, ils sont maintenant explicites : l’avènement des rappeurs masqués qui sans le masque n’auraient pas la même crédibilité, la triche des chiffres et l’importance de ces derniers pour rester dans la course, les rappeurs menteurs parce que leurs vies ne sont pas intéressantes, et le manque de différenciation et d’identification des artistes là où lui travaille ses flows pour ne jamais avoir les mêmes. Par ailleurs, l’utilisation du terme “flow” pour débit lyrical, est énormément répété par l’artiste : “J’ai l’flow de la bouche d’incendie” (Papoose) ou encore “J’ai tellement d’flows, ils ont des tout p’tits navires” (Vert de rage). 

“Dépêche-toi, j’ai des choses à faire, j’suis toujours sur un nouvel album” – Sur un nouvel album

Néanmoins, en devenant indépendant et se concentrant sur son business, il vient aussi jouer un rôle de professeur, de diseur de vérités auprès de son public qui peut jubiler à la vie d’artiste. Être artiste c’est un cercle vicieux : “La musique, c’est d’la magie, l’industrie, c’est pas d’la magie” (Happy end). Même si faire de la musique est génial et que “c’est mignon de jouer les poètes libres” (Péon), Vald rappelle qu’il est lui aussi un Péon de la machine : un ouvrier (du jeu Warcarft, ndlr) qui récolte des ressources pour se développer : “Chercher dеs diamants toute sa vie, c’est brе-som, j’espère refaire surface avant ma mort” (Péon). Il vient par ailleurs aussi montrer l’envers du décor, les énormes pertes d’argent, les jugements des scores de ventes : “J’vois bien les comms, mais ils comprennent pas les chiffres ni l’amour du hip-hop” (Sur un nouvel album), les concurrents qui jouent les envieux et “font des liaisons dangereuses” (en référence au roman de Choderlos de Laclos, ndlr) et la volonté réelle des maisons de disque qui cherchent à “instrumentaliser comme un gode ou comme un Dieu vivant” (Qui écoute ?/Vert de rage). 

“Comme tous les autres, j’me tue à la tâche pour avoir une voiture, pour avoir une baraque, pour être propriétaire et partir en voyage, quand j’aurai soixante ans, qu’il s’ra temps d’être malade” – Péon

PAS DEUX FOIS

VIVRE LA FAME COMME UN EXIL

Bien que le succès le touche, Vald est loin des paillettes et de cet état d’esprit de briller publiquement. Dans une interview décalée avec Alban Ivanov, l’artiste disait qu’il n’était pas un mec de la rue mais un mec de la chambre, et a confirmé dans ses interviews qu’il vivait déjà comme un confiné bien avant la crise sanitaire. Une crise qu’il n’a pas manqué de mentionner dans V avec le titre Pandémie ou encore Chu immunisé, la référence en intro au “Nous sommes en guerre” d’Emmanuel Macron, aux vaccins et l’immunisation ou encore au fait qu’il ait maigri à cause du Covid. 

J’ai même pas vu le changement, j’étais déjà confiné” – Rappeur conscient 

Vivre la fame comme un exil, est aussi une façon de rester terre à terre avec le monde qui nous entoure. Bien qu’il ait toujours eu cet instinct casanier et que seulement les livreurs avaient les adresses, dans ce nouvel album conçu en partie pendant la crise, le rappeur a décidé de dévoiler sa vraie nature en montrant mieux sa complaisance dans son côté casanier. Cette volonté d’être “plus secret qu’un agent secret” (Péon), Vald s’en sert surtout pour rester dans son coin et dans son monde car c’est là où il se sent le mieux au point que son objectif de vie c’est de passer la fin de cette dernière à regarder Netflix ou à faire des lives Twitch et les poster sur YouTube. 

“Tu méprises car t’es dépassé, je les maîtrise en télétravail” – Bien sur

Ce comportement casanier qui ne sort de chez lui “que pour les poubelles” (Qui écoute ?) fait l’effet en lui d’un San Goku dans la salle du temps, d’un Batman dans sa Batcave ou un d’un péon en télétravail, une concentration qui lui permet de se centraliser sur sa musique et de la performer afin que les autres rappeurs essayent d’arriver à son niveau : “R.A.F d’avoir pas de vie dès l’instant qu’j’inspire les péons à s’acharner” (Péon). Il accentue encore plus sa méthode de travail dans le bonus du Blues du Péon : “Je sors jamais, j’suis pâle comme un gothique, j’rec dans l’salon comme à Los Angeles” (Le Blues du Péon). 

“Imagine un peu tous ceux qui nous calculent toujours pas parce qu’on est bizarres” – Sur un nouvel album

Même s’il en fait sa force, ce côté casanier finit par créer une certaine solitude pour tout adepte et Vald ne fait pas exception. V parle aussi des pensées personnelles de Valentin. L’artiste s’était confié avoir voulu appelé son album : Le blues du Péon. Cette notion de blues fait référence à une tristesse passagère et parfois floue dans laquelle on se remet en question, Vald constate alors qu’il dépend des substances qui ont un mauvais effet sur lui : “Entre l’shit et alcool, j’suis dans un équilibre incertain” (Qui écoute ?) ou encore “Gueule de bois, je me sens marionnette” (Regarde-toi) ; mais aussi qu’il est très dur avec lui-même, en se traitant de branleur faisant écho au morceau du même nom dans NQNTMQMQMB ; enfin qu’il est souvent mélancolique dans ses constats à travers le génial morceau bonus Ce soir, bien représenté par la phrase : “Les choses sont telles qu’elles sont et ça n’sera jamais autrement”. Vald en revient à se demander s’il n’est pas maudit à force de combattre ses démons dans le titre avec Hamza : “Tu dis qu’ce monde est cruel, ça s’trouve, c’est toi qu’es maudit”.

“Si j’ai pas marqué la leur, ils auront marqué mon histoire” – Sur un nouvel album

SUR UN NOUVEL ALBUM

POUR LA CULTURE

Parmi les nombreuses activités qu’on peut réaliser quand on reste enfermé chez soi, soit par contraintes sanitaires, soit car on est casanier, c’est se divertir. Vald est un grand passionné de culture et d’apprentissage, en témoignent ses paroles et ses références. Lui-même le fruit d’Internet comme il le rappelle dans Péon avec Orelsan ou encore dans Regarde-toi : « Même quand j’suis tout seul, j’suis jamais tout seul, j’suis avec Google, j’suis même dans Google » ; il s’en sert pour apprendre et enrichir ses références.

“Chercheur de vérité, j’suis porte-étendard” – Vert de rage, Vald

Premier point, ses références aux complots. Loin d’être nouveau dans les textes du V, ce nouvel album regorge encore de références : les reptiliens avec le retour de Lézarman dans Maudit, la présence secrète des aliens dans Rappeur conscient ou encore l’espionnage des entreprises et des gouvernements dans Cafards et La Machine. Bien qu’il ne faut pas les prendre au pied de la lettre, les complots peuvent nous faire entrer dans la paranoïa, néanmoins tout n’est jamais démenti…

“La fin du monde qui arrive, c’est même pas d’la magie” – La Machine

Le second point, proche du premier, est le rapport de Vald à la mythologie. Avec ses nombreuses recherches et visionnages de vidéos, l’artiste se trouve dans la bibliothèque (Chu immunisé) à s’appuyer sur des faits mythiques. Parmi les références, on retrouve Adam qui croque la pomme dans Pas deux fois afin de rappeler qu’on est tous esclave de ses tentations, le Valhalla dans Pandémie qui est le lieu où les défunts guerriers se retrouvent mais également les golems dans La faux le fer qui sont des créatures issues de la culture juive, créées dans l’unique but d’être soumis à leurs maîtres. Bien que ses références fassent des anachronismes (Bien sûr), la plus belle reste celle des Annunakis dans son titre éponyme : “J’vais monter haut, redescendre en Anunnaki”. Selon les légendes mésopotamiennes, les annunakis seraient possiblement des dieux ou alors une race venue d’ailleurs qui seraient descendus du ciel, les historiens tendent plutôt à l’hypothèse que les annunakis seraient les ennemis qui descendaient de la colline.  

“Les premiers Hommes ont merdé, c’est l’sujet de la dissert’. Maintenant encore, on s’allume comme au siècle des Lumières” – Pas deux fois

Parmi les références culturelles dues à son exploration d’Internet qui font de lui un être avec “trop de savoir” (Regarde-toi), on retrouve des références à la pop culture comme à George Lucas et son enrichissement grâce aux produits dérivés (Sur un nouvel album), Rick de Rick & Morty dans Cafards, Frankenstein dans La Machine ou encore Highlander (Qui écoute ?). Par ailleurs, dans ses autres références, deux ont retenu l’attention du 16. La première est celle au film Yamakasi dans Un mot, mais aussi à Pinocchio dans Rappeur conscient qui illustre parfaitement l’industrie : “T’es qu’un pantin piégé dans La Bête. Pinocchio piégé dans la baleine”

FENÊTRE SUR MONDE

Cette bête qui piège les pantins, c’est la société. À l’instar du film d’Hitchcock, Fenêtre sur cour ou de l’album Fenêtre sur rue d’Hugo TSR, V de Vald est aussi une forme de Fenêtre sur monde et précisément sur la société. 

“Ce monde est crade, j’le regarde derrière une vitre dégueu” – Pas deux fois

Comme dans ses précédents projets, Vald dépeint le système capitaliste et les rouages sombres que ce dernier contient : “Le temps est relatif à ta déclaration d’impôts” (Pandémie) ou encore “On pense pas au pire, salope, on pense à la renta’” (Un mot) mais aussi sa cruauté en faisant une référence à Hardcore de Kery James : “Naïf, j’trouve encore qu’c’est hardcore qu’on fasse du gent-ar sur notre peur de mourir” (Pas deux fois). En parlant de références rapologiques, on retrouve un joli clin d’œil à Arsenik dans Ce soir : “Quand je boxe avec les mots, c’est un bloodsport”.

“J’tire une grosse latte, comme ce monde est triste, plutôt s’droguer que de vivre cette comédie” – Cafards

Vald nous décrit dans son nouvel album, une vision obscure d’un monde étouffant avec une énumération de faits. Parmi les faits, on retrouve la culture de la négativité des médias : “J’veux pas répandre la peur, je laisse les infos le faire” (La faux le fer) ; la BAC dans les quartiers dans Qui écoute ? ou dans Rappeur conscient : “La violence et les contrôles, bien évidement qu’c’est lié” ; ou encore les mauvaises actions réalisées notamment ayant  un impact écologique : “C’est pire qu’la peste, l’Histoire s’répète, et c’est p’t-être bien nous l’virus pour la Terre” (Pandémie) ou ayant un aspect désastreux : “T’aurais pu naître dans un pays en guerre” (Qui écoute ?).

“Vive la race humaine, en vrai, son historique, ses immondices. On exploite encore des enfants, on fait des emplois saisonniers. Je ne crache pas dans la soupe, c’est juste mal assaisonné” – Nouvelle industrie

LES PENSÉES DU CUPIDON

Si dans l’album on ressent ce blues du Péon, on a également un autre visage de Vald, un Vald amoureux. Lors de sa promo de son ancien album, il voulait faire un album d’amour, avec V, nous commençons à en voir la couleur. Dissimulées derrière le nombre de phrases à caractères sexuelles, les déclarations d’amour se font très nombreuses dans l’album.  

“Un seul être en moins, tout paraît dépeuplé, sans toi, ça fait comme si j’étais seul au monde” – Le Blues du Péon

En effet, Vald fait de multiples déclarations d’addiction à la personne qui partage sa vie. L’artiste se sent vide sans cette personne comme “un rappeur plus auteur” (Maudit), car quand elle est là, elle lui procure du bien psychologique car elle “rigole toujours à (ses) blagues et le soir, elle s’endort contre (lui)” (Laisse tomber). 

“Est-ce que c’est ça l’amour ou c’est que psychosomatique ?” – La Machine

Vald a été véritablement piqué par Cupidon : “Je pense à elle quand je dors, j’en rêve encore au réveil” (Happy end), mais le dissimule derrière aussi les doutes de l’amour : “Y’a même des fois, on pourrait croire qu’on s’aime mais on se trompe aussi” (Sushi) et la jalousie qu’on peut ressentir : “Il veut quoi, là-cui’ ? C’est qui, c’type ? J’me pose des questions comme un ex-flic” (Regarde-toi). 

Malgré une vision plutôt obscure de la vie, l’album reflète au contraire un message d’espoir face aux malheurs du monde. En effet, le morceau Laisse tomber vient rappeler à son auditeur qu’il faut rester soi-même et faire en sorte de faire ce qu’on a envie de faire car quitte à être esclave du système et être un péon, autant qu’on le fasse avec du plaisir. Un message qui vient faire écho à un autre album sorti en 2021, L’étrange histoire de Mr.Anderson de Laylow.