Quand les néons éclairent la ville plongée dans un noir complet, l’envie de s’y promener et de vagabonder ne peut se faire que ressentir. Seulement le vagabondage de rappeurs parisiens entraîne un cercle vicieux composé d’argent, de sexe, de drogue, de kickage mais surtout de solitude même lorsque l’on est en groupe. Cette atmosphère et cet état d’esprit définissent parfaitement Private Club.

CONNAÎTRE JAZZY BAZZ, EDGE & ESSO LUXUEUX

         Les trois rappeurs parisiens sont des amis de longue date. Leur rencontre à la fin de l’adolescence, les a conduit à trainer ensemble, faire de la musique ensemble et vivre des moments de complicités qui participe à l’homogénéité de l’album. Jazzy Bazz et Esso Luxueux forment le groupe Cool Connexion, et malgré quelques morceaux, aucun projet ne vit le jour. Cependant en 2021, la Cool Connexion a intégré un troisième membre pour dévoiler Private Club. EDGE a toujours trainé avec les deux autres rappeurs, mais ce n’est que récemment que le rappeur parisien s’est lancé en cabine. Après quelques années de réflexion, les trois rappeurs du collectif Gande ville ont fini par se concorder pour proposer Private Club, un album concept autour d’une nuit parisienne de vadrouille collective.

Photo par @antoine_ott

PASS D’ENTRÉE DU PRIVATE CLUB

« Blackjack, profit, non-stop » (Esso Luxueux, Non-Stop)

         C’est dans une atmosphère sombre que les trois rappeurs parisiens nous plongent, si le tempo vient nous offrir du mouvement, les rappeurs semblent marquer un temps d’arrêt pour constater leur vagabondage et la vie qu’ils ont pu mener comme ils l’ont bien expliqué au micro de nos confrères de chez Grünt. Ce vagabondage parsemé de vices identifiés comme les clubs, l’obsession de l’argent, les relations avec le sexe opposé, leurs penchants pour l’illicite, viennent au final définir un cercle vicieux articulé autour d’une fuite de la solitude. 

L’IMAGE DU PRIVATE CLUB

         L’image de Private Club vient intensifier l’idée que c’est un album de nuit uniquement éclairé par des néons dans lequel les rappeurs évoquent des sujets personnels et leurs vices : « On verra qu’nous dans le club, mauvais raclo dans l’club ». Du début à la fin, la conception de l’album est réussie : l’atmosphère nocturne jusqu’au petit matin avec Hier encore, l’interlude légère ou encore l’alchimie des trois rappeurs avec leurs flows identitaires.

Photo par @antoine_ott

         Évasion. Si l’on devait définir en un mot ce que cherchent les trois rappeurs dans l’album, c’est l’évasion. Seulement cette dernière est malsaine car elle ne se déroule que la nuit et n’existe qu’à travers leurs vices. Ces messieurs le savent. Dans Innocent, Edge dit que le diable lui tourne autour ou encore Jazzy Bazz dans le titre éponyme : « Autant avoir de bonnes raisons quitte à brûler en enfer ». Ces vices ils sont trois, soit autant que les rappeurs.

LE SEXE

         Tout au long du projet, on les retrouve parler de leurs relations avec le sexe opposé, et ce n’est jamais sur un ton positif. Toujours dans ce rapport avec les clubs, ils viennent en soirée notamment pour les femmes. « Ta meuf est au fond du gouffre, elle veut un coup d’rein ou d’carabine » (Esso Luxueux, Non-Stop). Leurs relations au sein du projet ne s’arrêtent uniquement qu’à l’attirance sexuelle comme une soumission naturelle de la vie. Si les sentiments n’y prennent pas part, c’est une raison qui va venir alimenter le fond de leurs penchants vers le vice : la solitude. « J’te vois dans les gradins comme si y avait qu’toi dans cette grande salle » (Jazzy Bazz, Certifié)

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LA DROGUE

« Elle veut du rose mais j’vois tout en vert » Esso Luxueux, Fascinant

         Connue pour être la principale amie des solitaires et des évasifs, la drogue est omniprésente dans le projet. « Ce soir, l’alcool se compte en litres de rhum ambré » (EDGE, Private Club). Tout d’abord sous forme liquide avec du Hennessy, du Chardonnet, du Jack Daniels ou encore du Rémy Martin, mais alimenté avec de quoi de fumer que ça soit le cigare Montecristo ou de la verte. L’ensemble vient former un crew de vices qu’ils succulent : « Le rhum est de la couleur du miel, ma dope c’est le gazon du Bernabéu » (EDGE, Mauvais)

L’ARGENT

« Si j’veux shooter tous mes démons, il m’faut plus de papier dans mes mains » (EDGE, Montecristo)

         Si l’argent en lui-même ne représente pas un vice réel, la quête et l’obsession de ce dernier, si. Les rappeurs s’évadent dans la nuit de la capitale aux soirées avec de l’illicite, mais leur volonté première c’est de s’évader ailleurs et sortir de leurs quotidiens. Sans l’argent pour peser et partir à l’étranger comme Gérard Depardieu, c’est mission impossible : « Le bonheur sans oseille, gros c’est si rare qu’est-ce qu’on ferait pas pour une poignée de dollars » (EDGE, Mauvais)

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LA FUITE DE LA SOLITUDE, DE LA NOSTALGIE ET DES RÉFLEXIONS

         Tout ce cercle vicieux vient en réalité cacher cette fuite de la solitude : l’envie de sortir même quand il n’y a rien à faire, ne pas se retrouver seul avec ses pensées ou encore consommer de l’illicite pour s’évader ou oublie. Le Private Club comporte une place VIP et seulement les pensées des rappeurs y ont accès : « Tous les soirs, j’me bute et se réveiller, c’est ressusciter » (Jazzy Bazz, Hier encore).

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         La peur de se retrouver face à soi-même la nuit dans le projet se fait ressentir : Esso Luxueux se demande comment trouver le sommeil avec ses crédits dans Non-Stop, Jazzy Bazz a du mal à dormir car il est dérèglé en se couchant au moment où le soleil se lève dans Mauvais, et EDGE se sent proche de l’hôpital de Sainte-Anne à force de faire les cent pas dans Innocent. Alors pour éviter de se retrouver face à leurs pensées, les rappeurs sortent, mais malgré tout ils gardent cette impression d’être « seuls parmi la foule ».

« Hier encore, je vivais passionnément, 6 heures du mat’, souvent face au néant. À rêver d’une baraque face à l’océan, le discours était pas cohérent » (Jazzy Bazz, Hier encore)

         Cette impression que chaque jour est similaire les pousse à rêver, notamment de la sublime île bretonne : Belle-Île en mer. Laurent Voulzy la chantait, eux en rêvent inconsciemment pour fuir ce quotidien qui les enferme avec leurs vices : « J’suis qué-blo dans l’20, elle m’parle de Belle-Île-en-Mer » (Esso Luxueux, Non-Stop). Ils sont bloqués dans leur enfer en rêvant du paradis : « J’prie l’seigneur car j’accumule les pires erreurs » (Jazzy Bazz, Private Club).

« Habitué au bitume, du coup c’est normal que j’vois l’monde en gris. J’ai mené la vie dure, du coup j’ai l’cœur noir, comme la mélanite. En c’moment j’ai besoin d’air, autant qu’j’ai besoin d’aide » (EDGE, Fortuné)

         Ce quotidien vient également les étouffer par ce qui les entourent entre le constat de la trahison des amis à cause de l’argent ou encore le manque de liberté dans un système de vices. Le trio n’a l’impression de vivre que dans le noir complet sous l’effet des néons du vice et de la nuit, et cette obscurité a envahi leurs pensées qu’ils parsèment dans le projet. Notamment à travers la notion de fuite du temps : celui qu’ils perdent chaque soir comme le rappe EDGE dans Certifié : « des nuits blanches à prier, à regarder l’sablier ».

Photo par @antoine_ott

         Pour conclure, même si Jazzy Bazz chante qu’ils étaient jeunes et innocents, en réalité ils prennent conscience qu’ils étaient jeunes, coupables de leurs vices, mais libres de rêver. Aujourd’hui en s’insiprant de leurs cercles vicieux, ils signent avec Private Club l’un des coups de cœur du 16 mais surtout un projet d’une grande classe autant dans la musicalité que dans l’esthétique final.