Jvlivs. Les années passent et un nombre incalculable de vies prennent fin sous l’ordre de cet homme affamé. Celui que l’on nomme ainsi change d’échelle, la pègre s’exporte et offre au crime de nouveaux horizons. Autant que Jules ‘Kaiser’ Caesar, Jvlivs est stratège et déterminé. Le romain élargissait les frontières pour son empire, Jvlivs les dépasse pour en offrir un à sa mère. Pour y arriver, il fait parler son Beretta, avec tout le respect de l’omertà. La voilà fermée, la pharmacie. Elle n’était qu’une étape parmi d’autres, un refuge dans l’ascension du grimpeur.

Photographie de Mister Fifou, sur le tournage du clip « Mannschaft ».

Gibraltar. Cette enclave britannique réunie tout ce que le mafieux recherche : stratégie et intérêts, la mort empilée dans des containers. Une porte d’entrée vers la Méditerranée pour les uns, une porte de sortie vers l’Atlantique et ses démesures pour les autres. Pour Jvlivs, ce n’est qu’un lieu où affaires se font. Sûrement une réception du bijou du Rif, sous les yeux de la reine Elisabeth II. Rien n’est infranchissable pour ce vautour, roi des vallées à l’affut de chair fraîche et tendre. Pas même l’Atlantique, justement. Un détour aux Antilles, à la Martinique, pour un verre de vieux Madkaud. Un grand bain dans les Caraïbes avant de prendre la route, direction Saint-Esprit, la croix sur le torse. La valise est maintenant pleine, mélodies de Meryl et Euros la comblent. Le truand jubile.

Schwarzer. Les liens du sang justifient le go fast, ces terres sont siennes pourtant la tension ne cesse de régner. Jvlivs retrouve l’Allemagne, berceau de ses ancêtres. Du sud au Nord sur la BAB 7, l’héritier Corleone Freeze l’accompagne à la livraison. Les euros transatlantiques remplissent les sacs d’armes de guerres. Le réseau est très bien organisé, des plugs et des hommes de mains aussi tactiques que la formation de la Mannschaft, le brassard au bras du natif marseillais. Nul dans l’équipe n’a peur d’appuyer sur la gâchette, depuis adolescents ils fréquentent le crime et embrassent l’illégalité, la raison est déchiffrée.

« Forcément, c’est pour la clique, foi en mon Dieu, foi en mon gang
Feu rouge, on abaisse les vitres, collier du Christ, cheveux au vent »

Grand bain – SCH

Le Code. Plus qu’une justification à tous les corps laissés pour morts derrière lui, c’est une ligne de conduite. Une raison d’être et des façons de faire sont réunies dans cette énigme. Quitter les bas-fonds et se trouver une identité, voilà les motivations du bandit en cavale, la mort à ses trousses. Celui qui décide de briser le maître-mot, de devenir pour Jvlivs son Judas, enfile une ceinture qui explosera à son commandement.

Le Sang. Une marre d’un rouge indélébile était sa première vision. Tombé dedans à la naissance, en faire couler ne pouvait qu’être sa destinée. La mort ne l’effraie pas, non. Il la taquine avec passion et confort, la fait rugir chez ses ennemis sans attendre le second coup de cloche. Sans en être habité, il éprouve davantage qu’un soupçon de sympathie pour le diable. Paul Marchand racontait la guerre, Jvlivs fait battre son cœur. La terre tremble à chacun de ses passages, et son ombre est la plus funeste de toutes. Il éteint toutes oppositions et menaces comme un simple souffle sur une bougie d’anniversaire. Furax Barbarossa le sait, si la vie vous est chère, mieux vaut ne pas se promener sur la terre battue et mortuaire quand le rat est de sortie.

Photographie de David Delaplace.

Le cœur noir. Jvlivs sait aussi se laisser aller aux jouissances de la vie. Les millions à l’odeur macabre leurs servent, au Don et ses Assoces, à se libérer l’esprit, le temps d’une nuit. Akimbo sous le « trench coat », la mafia fête ses pouvoirs au rythme des clubs. Elle remercie le Crack sous les effluves d’un Château Margaux et de Bourbons poussiéreux. Les basses résonnent et les mafieux respirent, quand les orages perturbent le Très-Haut. Si l’intemporel Jvlivs est d’hier et demain, son collègue Jul crée l’instantané et rappelle la pandémie qui traverse le monde jusqu’à la pègre. Etonnamment cela fait sens, cette dernière pourrait bien en tirer profit comme l’a alarmé Roberto Saviano, la cible première de la Camorra. Investir l’économie légale pour asseoir son pouvoir, sans cesser le pizzo ni attendre de reconnaissance. « La faiblesse, c’est de s’en croire invincible » écrivait le journaliste, l’affirmation est juste même une fois libérée de son contexte. Jvlivs s’y retrouve. Il continue, vulnérablement, à chasser la mort avant qu’elle ne l’attrape.

« La p’tite maison est en ruine, quand la faim pense, le cœur est en grève »

Loup noir – SCH

La « famiglia ». Quant à l’amour, difficile d’en donner pour Jvlivs à autre que sa mère et ses plus fidèles compagnons du crime. La « mamma » est un numéro clé du Code. Les bénéfices servent à lui offrir la vie qu’elle mérite. A nettoyer les flaques de sang en bas de chez elle pour y bâtir une piscine, vue sur le Vieux Port. Mais un bain ne suffira pas pour laver de son esprit les péchés de son fils. Tout comme les murs de marbre ne lui enlèveront pas l’inquiétude qui la cristallise. En attendant que le Loup noir rentre à son terrier, elle prie la Madone pour elle aussi, et pour voir revenir son fils. La mère est toujours la seule femme dans le cœur et l’âme torturée de Jvlivs. Aucune n’a jusqu’à ce jour transpercé l’armure du mafieux. L’amour ne peut naître là où vérité est ligotée. Jvlivs est constamment aux aguets, la méfiance comme accroche fragile à la vie, la foi pour ne pas sombrer dans la folie. Une vie passée dans la Tempête, brulée à vif par la Fournaise. Le jour où le Tout-puissant gâtera Jvlivs d’une femme aimante et d’une descendance, le regret incurable de ne plus pouvoir le rendre fier sera plus fort que jamais… Otto, son père, est parti sans dire « Adieu ». Rien ni personne ne pourra guérir la mémoire endolorie de Jvlivs, de ce deuil incurable.

Julien. L’ambivalence de la mort chez le patron Marseillais prête à sourire. Pas l’ombre d’un doute ne traverse Jvlivs, Colt 45 à la main, pas l’ombre d’un remord ne le ronge une fois le chargeur vide. Pourtant, le regret est immense au départ des siens. Les têtes tombent mais Jvlivs reste debout, à la conquête du monde. Son corps est bien vivant, oui. Pourtant son âme, elle, est noircie dès le premier jour. La balle gravée de son nom n’a pas encore été enclenchée. D’ici là, peut-être ira-t-il sur les traces de Luciano ou Lansky à Manhattan, pour donner à la French Connection du siècle passé une nouvelle saison. Mais quand la fin aura sonné, le Mistral s’arrêtera de chahuter et Notre-Dame baissera sa garde. L’ultime étape, autant attendue que redoutée, sera le jugement dernier. Julien laissera derrière lui son hétéronyme, et une œuvre couronnée.