Si les grandes productions de clips peuvent éblouir les yeux, les réussites visuelles des indépendants avec peu de moyens surprennent tout autant. Son ukulélé le rend unique dans le milieu et permet à Erwaanda de faire entrer son public dans la vibe de son univers mélancolique, mais pas seulement. Réalisés par Hector Ballner, les clips de Sur la Netpla, Pas Normal et enfin Syllabes à la barre, offrent à l’artiste parisien une trilogie de qualité avec peu de moyens. Pour les deux derniers volets, Hector fut accompagné de Gabriel Hardy, photographe de talent et directeur visuel sur ces projets artistiques.

Dans cette interview, Hector, Gabriel et Erwaanda, nous racontent les secrets de tournages de Syllabes à la barre et comment faire un clip esthétique avec peu de moyens.

C’est quoi faire un clip pour vous? 

Erwaanda : C’est l’occasion d’avoir une image sur des mélodies que tu répètes dans ta tête. D’un côté, ça tue l’imagination des auditeurs mais ça rend le son tellement plus réel et concret.

Gabriel : L’enjeu est avant tout de réussir à sublimer les émotions et le message de l’artiste par le visuel. C’est le mariage des talents de toute une équipe en une seule création.

Hector : C’est donner une nouvelle dimension à une musique. Un bon clip est un clip qui est en osmose avec la musique.

Comment vous préparez un clip ? Combien de temps cela prend avant que les idées viennent ? 

H : Généralement je dis à Erwan que j’aime bien un son et que je serais peut-être chaud pour le clipper. Ensuite ça devient de plus en plus sérieux, on se call régulièrement, à force on finit par trouver des idées puis on planifie le tournage.

G : On s’astreint toujours à ce que le morceau nous parle à tous au sein de l’équipe pour que le processus de création soit plus spontané. Après généralement il y a un mood, ou une thématique qui se dégage du morceau 

H : En tant que réalisateur une partie du process va être de me gaver de films, de clips voir de tableaux qui sont dans l’ambiance que je souhaite reproduire pour le clip. Cette phase est très importante pour moi, car elle me permet d’avoir une vision plus claire et de trouver des idées. Sans pour autant plagier, l’inspiration c’est avant tout un mix conscient ou inconscient de choses qu’on a déjà vues avant. Les idées sorties de nulle part, ça n’est qu’une illusion. Ensuite, je réalise un moodboard puis une fiche de production avec des images issues de films afin d’être sûr que tout le monde partage la même vision. Ça nous permet de nous mettre d’accord sur le style visuel qu’on veut adopter avec Gabriel. Pro-tip pour mes amis réalisateurs, pour trouver les plans de films j’utilise un site qui s’appelle Shotdeck et qui est une sorte de google image du cinéma. C’est incroyable.

Est ce qu’il y a un challenge inconscient de faire un clip avec peu de budget ? 

H : C’est un challenge constant mais à vrai dire je ne pense pas que les productions sans challenges existent. Le fait de ne pas avoir de budget, ça nous offre aussi une énorme flexibilité, on sait dès le départ qu’on aura jamais exactement ce qu’on veut et on s’adapte constamment.

G : Je ne suis pas sûr qu’on ferait vraiment mieux avec un gros budget. Cela nous permettrait de voyager un peu plus et d’aller chercher des paysages un peu plus loin bien sûr, mais en terme d’organisation, d’équipe technique, de production et j’en passe, je pense qu’on a encore pas mal d’expériences à acquérir avant de justifier de plus gros moyens.

E : On se connait très bien, c’est un peu comme les vacances. Et puis, même sans rémunération, on y trouve notre compte : ça donne de l’expérience, ça permet d’élargir la palette artistique d’Hector et Gabriel et puis ça me permet d’avoir un clip pour un son. Après quand tu as un gros budget c’est mieux pour les transports, les salaires, les locations, c’est bien, mais là on a pas de thunes donc on a rien à perdre, c’est aussi un vrai avantage créatif, on fait avec les moyens du bords et c’est ça le meilleur budget. 

H : Et puis on est une petite équipe, ce qui explique le petit budget. On a pas besoin d’avoir des autorisations de tournage, à l’inverse d’un artiste comme Damso dont la production va devoir planifier des semaines voir des mois à l’avance des lieux. Par exemple, nous, si on voulait filmer dans le métro, on ferait un petit set-up avec ma caméra et on irait descendre filmer direct.

Quels sont les outils pour réaliser un clip de qualité alors qu’on est restreint par le temps et le budget ?

E: Il faut un bon son, une bonne caméra, des bons éclairages, et surtout un bon concept !

G: Et une bonne team ! Il faut une équipe soudée qui travaille ensemble, et des nuits de sommeil qualitatives pour le moral. Puis d’un point de vue matériel je trouve ça hyper important de connaître son matériel sur le bout des doigts pour gagner en efficacité.

H : Selon moi, l’outil le plus important dans ces conditions ça va être surtout le réseau. Pour Syllabes à la barre, on a décidé de tourner en Bretagne avant tout parce qu’Erwan a beaucoup de la famille là-bas. Ça nous a permis de se faire prêter un appart, une voiture etc. Pour le clip précédent (Pas Normal, ndlr), c’était encore plus flagrant, on l’a tourné là où on a grandi et dès qu’on avait besoin du moindre truc on demandait à des potes. On a pu obtenir des objets et lieux difficiles à trouver hyper rapidement.

Quelle est la scène qui vous a le plus marqué que ça soit pour sa création, son l’installation ou sa mise en place ?

E : C’est clairement la scène dans le bain : il n’y avait pas d’eau chaude dans l’appartement de ma grande tante. Du coup, j’ai du remplir des casseroles et ça a pris 3 heures pour faire monter l’eau. Au final, l’eau était carrément froide (rires). Je suis pas rester longtemps. 

H : Moi je pense c’est celle avec Margot Boulard (actrice dans Syllabes à la barre, ndlr). Elle représente une relation toxique qui est la source de la mélancolie du clip. En même temps, elle me permet de bien établir ce concept de poupée vaudou reliée aux sentiments d’Erwan. Cette femme fatale, style Basic Instinct, lui fait clairement du mal, et il faut qu’il lui échappe. Le fait qu’Erwan apparaisse dans le plan est une idée qui est venue au moment du tournage. Le balcon fonctionnait super bien pour ça dans le sens où Erwan est à la fois là et pas là.

G: Pour cette scène on a dû rajouter des spots à l’extérieur sur le balcon pour simuler la lumière du jour qui n’était pas suffisante. La mise en place du cadre devait être précise aussi, vu qu’il y a pleins d’éléments de décor dans la pièce, il fallait que tout soit bien ordonné, à sa place et je suis drôlement fier de la photo finale.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de SALB ?

H : Pour le dernier plan, on a envoyé Erwan faire du bateau. Mais on avait pas envisagé qu’il pourrait dessaler, et ça s’est évidemment produit. Le bateau était trop lourd pour qu’Erwan le ressale tout seul, et j’ai dû foncer en caleçon dans l’eau bretonne en plein hiver. On est resté bien 10 minutes dans l’eau presque emportés par le courant, c’était pas forcément agréable sur le coup mais un mois plus tard je pense que c’est le meilleur souvenir. Ce genre d’imprévu c’est aussi ce qui fait le charme des tournages sans budget. 

E: Quand j’ai déssalé sur le bateau, je me pissais dessus car je voulais pas faire du bateau tout seul et je savais que ça allait mal finir. Surtout quand j’ai vu Hector, presque à poil nager dans l’eau glacé pour venir m’aider. Au final tout c’est bien passé, juste une grosse hypothermie pour Hector. C’était vraiment un bon moment ! 

G: Hormis ce souvenir et les soirées ukulélé-bières (rires), Je suis très content de comment la scène de la voiture a fini par évoluer. On avait en tête un parking plutôt désert avec un plan pris en hauteur et on finissait par être un peu découragé de ne rien trouver : le mood board d’Hector laissait imaginer une scène magnifique et malheureusement rien ne se présentait comme on voulait. Au final, en finissant de tourner une scène on est revenu au parking où nous étions stationnés avec un regard différent, un autre angle et c’est parti de là. Je suis très fier de la photo finale qui d’ailleurs est actuellement au labo pour les premiers tests d’impression, stay tuned les tirages arrivent dans vos salons !

Quels sont les moments que vous détestez dans les tournages ? 

G: Pour moi, ce sont les nombreuses courses contre la lumière qui s’en va, tourner en hiver c’est pas la joie niveau durée d’ensoleillement et ça nous a mis en retard pas mal de fois. 

H : En tant que réalisateur je déteste les moments où les choses ne se déroulent pas comme je les avais envisagées. Par exemple, le plan de la poupée qui prend feu est super important pour moi, c’est le climax du clip. On voulait le filmer en heure bleu (avant le lever du soleil) sur une plage. On avait du liquide inflammable pour BBQ et on pensait que ça allait faire l’affaire pour brûler la poupée. Pas du tout. Avec le vent et l’humidité, elle n’a pas brulé d’un iota. On a perdu la luminosité de l’heure bleu, facile 2h, et c’était devenu chaud niveau timing. Dépités, on a foncé chez carrefour, on a acheté les trucs les plus féroces pour démarrer un feu, trouvé un endroit clos où faire ça tranquille, puis après c’était Apocalypse Now. La réactivité est super importante dans ces moments là.

Y’a t’il une réflexion post-production ?

E: Faut demander à Hector. Il nous envoie plusieurs essais et idées. Mais c’est lui qui se fie à son instinct primaire et c’est mieux comme cela. 

H : Après le tournage j’attends en général un à deux jours avant d’entamer le montage. Ça me donne suffisamment de temps pour prendre un peu de recul mais pas assez pour oublier les détails du tournage, par exemple que la seconde prise était la meilleure.

Ensuite le challenge au montage était de reconstruire l’histoire. On avait déjà tous les concepts avec les plans mais la chronologie n’était pas encore décidée. Finalement j’ai repris un schéma assez classique de storytelling : un héros qui est dans une situation qui ne lui plaît pas, qui a un rêve à accomplir (partir), qui rencontre un mentor (grand-mère), puis qui part réaliser son rêve. Ça paraît presque débile dit comme ça mais ce sont des éléments qui sont communs à toutes les meilleures histoires, des mythes grecs aux films de Scorcese.

Pour finir, même si c’est moi qui fait le montage, je me suis basé énormément sur les retours de Gabriel et d’Erwan dans un premier temps, puis ceux de nos « testeurs », un groupe d’amis qui sont de bons critiques et qui n’hésiterons pas à le dire quand c’est nul. Il y a eu pas mal d’exports du clip avant la version finale.

Comment Erwan tu perçois les représentations finales de ta musique ? 

E: Le clip est très sombre. Les paroles le sont aussi c’est vrai. Dans Syllabes à la barre, il y a vraiment une notion d’écriture. Les mots qui restent dans ma tête, l’envie d’écrire H24.. Dans le clip on voit pas ça, on voit surtout ce qu’il y a dans ma tête, ce que ces mots vont véhiculer. 

Quelle satisfaction cela te procure Hector de réaliser ces clips ?

H : Pour moi, créer est un besoin presque vital. Quand je n’ai rien réalisé depuis longtemps je ne me sens vraiment pas en forme et je perds en estime de moi-même. À l’inverse quand je crée quelque chose c’est là où j’ai l’impression d’être performant. Les tournages sont éprouvants mais la satisfaction à la sortie, surtout quand les retours sont bons, est énorme.

Quel challenge et quel rôle tu joues en tant que directeur de la photographie et du visuel ? 

G : La partie visuelle passe par plusieurs aspects. D’un coté le cadrage est très important, il faut que cela soit visuellement attrayant pour le spectateur. 95% du clip a été tourné au trépied et c’était un plaisir de pouvoir peaufiner les cadrages grâce à cet outil. Il y a aussi quelques fois où je dois me prendre la tête pour rendre beau des scènes assez banales visuellement mais nécessaires à la trame narrative. La deuxième partie du job c’est la lumière. En lumière naturelle c’est Dieu qui donne. En intérieur par contre, il faut réussir à créer des ambiances, comme la scène de la voiture. C’est une partie de la réalisation qui m’intéresse particulièrement de par ma formation de photographe.