Dans la continuité de notre série d’articles intitulée « Les 4 covers », mêlant musique et photographie, le 16 a décidé de revenir sur deux pochettes d’albums de cette fin d’année 2020 : « Alaska » de Green Montana, et « VIe République » de Jok’Air. Pour mieux comprendre leur symbolique et réalisation, les photographes à l’origine de ces covers, respectivement Frédéric de Pontcharra et Omizs, nous ont apporté quelques confidences.

GREEN MONTANA, ALASKA – UNE PHOTOGRAPHIE DE FRÉDÉRIC DE PONTCHARRA

Qui est Frédéric de Pontcharra ?
Photographe mais aussi réalisateur, il travaille pour de nombreuses marques très renommées tout en étant bien implanté dans le milieu de la musique. En plus d’avoir réalisé tout le visuel pour la compilation signée Deezer, La Relève, il a collaboré avec de nombreux artistes, dont les belges Shay et Damso, pour le superbe clip de Mosaïque solitaire, mais aussi Mister V et MHD entre autres. Frédéric de Pontcharra a montré ses talents également en travaillant pour Booba sur les clips de Trône et PGP, et pour les artistes de ses écuries 7.corp et 92i : le brillant Dixon et le très prometteur Green Montana. La cover d’ « Alaska » et les clips de SALE TCHOIN et TOUT GACHER sont le fruit de son travail.

Sorti le 30 octobre dernier, « Alaska » est le premier album solo de Green Montana. Ces 16 titres, d’une durée totale de trente-neuf minutes uniquement (témoins d’une nouvelle façon de concevoir la musique, mais aussi de la consommer), sont le fruit d’un long travail liant spontanéité et minutie. Ce projet démontre les multiples capacités musicales de l’artiste belge, dont l’identité est clairement perceptible.

Celle-ci devait trouver continuité à travers le visuel. Frédéric de Pontcharra, aux commandes de sa réalisation, nous a confié que l’idée première était de « s’éloigner d’une évidence par rapport au titre de l’album mais en gardant les symboliques de ce que peut évoquer l’Alaska ». Si Green cherchait quelque chose de sobre et assez minimaliste, Frédéric tenait à réaliser un portrait « pour bien l’identifier, c’est important pour un premier album ». Il avait également en tête l’idée de découper le visage, pour y faire figurer « une certaine froideur qu’il avait en lui » et que l’on retrouve dans sa musique. Après avoir réfléchi à plusieurs maquettes avec le graphiste et directeur artistique Jason Destrait, mêlant le portrait de Green à un crâne glacé avec des contours nets, il a simplement « calé le crane pour faire un nouveau montage et effacé les contours pour y voir plus clair, et le visuel final – plus simple que prévu mais très puissant – est apparu ». « Une évidence » pour Frédéric et son équipe, directement validée par Green Montana. Enfin, Romain Garcin a travaillé sur la création graphique pour faire figurer le nom de l’artiste et son œuvre, une forme d’auréole qui « a donné de l’ampleur au visuel ».

Pour réaliser cette image, ils ont préféré photographier un vrai crâne au lieu d’une modélisation 3d pour « ne pas faire fake et donner plus de réalisme au cliché ». Frédéric a donc shooté Green et le crâne sous différents angles, différentes lumières, différents fonds. Au montage final, le Noir & Blanc l’a emporté : « classe, sans chichis, à l’image d’un green serein, qui impose son image sans accessoires ni effets » nous répond le photographe.  

Lorsqu’on lui demande quelle est la véritable idée derrière ce tableau, il nous répond « c’est au spectateur – ou auditeur – de se la faire ». Pour Frédéric, « c’est donner une part d’intériorité à l’œuvre de Green Montana. Le Noir & Blanc fige une certaine élégance et permet de ne pas être dans une temporalité ». « J’espère ainsi qu’elle ne sera pas datée » conclue-t-il. Le 16 y voit un Green rongé par une histoire et des évènements singuliers, qui l’ont finalement rendu MÉFIANT vis-à-vis du monde extérieur, mais qui garde la tête haute et un regard perçant pour s’imposer.

JOK’AIR, VIe RÉPUBLIQUE – UNE PHOTOGRAPHIE DE OMIZS

Qui est Omizs ?
Omizs est un photographe et réalisateur parisien. Sa caméra est principalement tournée vers le milieu de la mode, où il travaille pour des marques prestigieuses, souvent de luxes. Omizs a notamment été au centre de projet pour Casablanca, Off White ou encore Adidas. Ses visuels se distinguent car ils sont tous réalisés à l’argentique, le mélange de l’ancien à sa vision très moderne fait son identité artistique. Pour la première fois, Omizs met un pied dans le rap en signant la cover du nouvel album de Jok’Air.

Après « Jok’Rambo » et « Jok’Travolta », Big Daddy dévoilait le 20 mars dernier son nouvel album dans lequel Jacques laissait place à « Jok’Chirac ». La cover, réalisée par Fifou, reprenait une photographie du futur président, alors député-maire de Paris, sautant par-dessus le tourniquet à l’inauguration d’une exposition de peinture dans la station de métro Opéra (5 décembre 1980). Le 11 décembre, Jok’Air mettra fin à ses références à des figures dans le nom de ses projets, mais présentera la suite de « Jok’Chirac » avec « VIe République ». La continuité se retrouve notamment dans la cover, photographie de Omizs.

Partis sur une maquette initiale finalement avortée, dans laquelle Jok’Air aurait été entouré de ses ministres à l’Elysée, lui et Davidson se sont alors penchés sur l’idée de Omizs, et l’ont directement validée. Son projet est clair et symbolique : reproduire la photo du nouveau président de la république Jacques Chirac, le soir de son élection (7 mai 1995), qui salue la foule au balcon de son QG. « C’est une photo iconique » pour Omizs, et fait parfaitement le lien avec le précédent projet. Jok’Air est d’ailleurs habillé du même costume rose que sur la cover de Fifou.

L’artiste et son équipe ont validé cette idée, mais cette fois Jok’ n’a pas le premier rôle. Ils ont fait appel à Assa Traoré, dans l’espoir de lui donner une place prépondérante à elle et aux combats qu’elle mène – et que Jok’Air soutient depuis le départ. « C’est une femme qui représente ce que j’ai rêvé de voir avant, tu vois. Une militante, une femme qui se bat pour son frère, et en se battant pour son frère elle se bat pour nous tous » dit-il en parlant d’Assa, dans un extrait du clip de son featuring avec Laylow Clic Clac Bang Bang. Sa présence fait lien avec le titre de l’album : la 6ème République étant un terme politique et politisé, faisant référence à une nouvelle constitution dans laquelle le pouvoir serait moins concentré sur la figure et entre les mains du Président de la République. Ici, la « VIe République » pourrait représenter un changement d’ordre et des élites traditionnelles, par des figures plus jeunes, de toutes les couleurs et qui gagneraient plus en liberté, en égalité et en fraternité.

Omizs a veillé à la direction des figurants et a la composition de sa photographie. On peut retrouver le drapeau français au balcon du dessus, qui fait directement écho à la photo originelle. S’il a pris la scène sous différents angles, c’est bien cette contreplongée d’Omizs qui a été choisi. Il voulait également jouer avec « l’élégance » de l’immeuble haussmannien, lui qui a pour habitude de la photographie de mode : « le but était de faire un bon mix entre l’élégance le rap ». La pochette peut se lire aussi de cette manière : la nouvelle génération, qu’elle soit blanche ou noire de peau, vient habiter les décors de la vieille France, et célébrer sa victoire. Voir Jok’Air accompagné d’Assa Traoré dans cette composition : « les gens n’étaient pas prêts » dit Omizs, c’est une surprise réussie. La prise de vue au Mamiya 120 mm, appareil argentique fétiche d’Omizs, rajoute d’autant plus de cachet au tableau et rejoint cet impératif d’élégance. « A mes yeux, la plus belle pochette de ma p’tite carrière » écrit Jok’Air à l’annonce de la cover, c’est valable aux yeux du 16 également.