Disparaitre des radars pendant une longue période peut être douloureux pour un artiste. Entre l’impatience des passionnés, la peur de se faire oublier et celle de ne plus être à la page dans une industrie en constante évolution, le retour est aussi crucial qu’il peut être salvateur. En novembre 2017, Sopico libérait l’Ëpisode 1 : EP dans lequel il annonçait la date de sortie du projet  (janvier 2018). Mais l’ËPISODE 0 se différencie du schéma précédent. Celui-ci n’est pas qu’un nouveau chapitre avant le premier album, il constitue une transition dans la carrière de l’artiste. Sopico part vers de nouveau univers, plus lointain, qui semblent finalement se rapprocher d’une terre sur laquelle l’artiste peut s’accomplir. 

CONNTAÎTRE SOPICO

« So » pour Sofiane, « pico » pour le plus petit en italien. Originaire de Stains dans le 93, Sopico est entré à la capitale par la Porte de la Chapelle. Berceau de nombreux rappeurs, Paris Nord et son 18ème arrondissement ont eu raison de lui. Devenu membre de la 75ème Session dès sa fondation, Sopico côtoie ses membres aux disciplines variées comme Sheldon, Limsa ou encore Népal. Le label est monté en 2013 quand leur soif de rapper les amène à fonder leur studio, le Dojo. 

Heat, Sopico

C’est en 2016 qu’il sort son premier projet solo Mojo, entièrement réalisé par le rappeur et producteur naissant Sheldon. Accompagné du titre HeatMojo séduit et So’ grandit. Moins d’un an après, Sopico affronte la boite monochrome de Colors (notre article à lire ici). Que ce soit Le Hasard Ou La Chance, So’ frappe fort en combinant son rap à la guitare et sa carrière prend un tournant. Inspiré par les sessions Unplugged d’MTV, il sort sept épisodes de musiques en live et en acoustique. Après l’Ëpisode 1 et le projet  entièrement produit par ses soins, Sopico se sépare de la 75ème sur un commun accord.

Bonne étoile, Sopico

 En parallèle à la confection de cet EP et de son premier album, So’ est à l’affiche de la nouvelle série The Eddy disponible dès le 8 mai sur Netflix. Réalisée par Damien Chazelle (l’homme derrière La La Land et Wiplash), elle porte sur l’univers du jazz. Avec sa guitare, Sofiane a participé à la bande originale de la série, aux côtés d’artistes renommés à l’international. 

SE DÉTACHER DE LA CAPITALE

                  Que ce soit à travers  ou ses projets antérieurs, les textes de Sopico étaient marqués au fer rouge par la capitale. Enfant du 18ème, il désignait Paris comme le « fief » (Le Hasard Ou La Chance), là où l’on règne en maître. « C’est Paris ma ganache » rappait-il dans le titre éponyme Mojo, avant de rajouter : « « C’est pour la vie », c’est c’que m’a dit Bérize ». Mais Sopico a toujours ressenti l’envie et le besoin d’y échapper. 

La Nuit, Sopico

Aller voir ailleurs est devenu pour lui une condition nécessaire à la confection d’un album digne de ce nom. Il en rêvait même La nuit : « J’étais dans l’bloc, hélas, entre portes et fenêtre j’fais des rêves ». Sheldon décrivait leur Envie de « change[r] de point d’vue », d’aller « explorer l’univers comme le Capitaine kirk » de Star Trek. Sopico se répond : « Boum, t’aimerais aller ailleurs, jeter les bagages / mais t’as pas les moyens donc tu fais les bails », les bails étant les heures passées au Dojo. 

« Deux pour cent de batterie et combien de raisons de partir ? »

loin, sopico

Cette période semble être résolue. ‘Pico’ s’est éloigné de la capitale pendant ses deux années, et cela se ressent sur ce nouvel Ëpisode. L’empreinte parisienne est bien moins présente, ni prenante. Il remet en question ses origines, sans savoir si d’où il vient est bien réel (D’où je viens). D’un côté Sopico est sur sa propre planète, de l’autre il les voit « faire la queue sur la colline » : la colline du crack étant un camp en bordure de périphérique à Porte de la Chapelle, où se retrouvent dealers et consommateurs. La ville prend une allure néfaste dans le morceau Sans titre : « tu t’empestes » à respecter les obligations alors que l’envie de « prendre les voiles » persiste. Si Sopico s’est évadé, il n’en oublie pas la musique qui l’a construit. So’ kick et performe dans le titre D’où je viens, loin de lui l’idée de tout laisser en partant. 

REPARTIR DE PLUS BELLE

A bord du vaisseau, son studio, Sopico emmène cette fois-ci tout un équipage avec lui : Jerzeÿ, Jusse On The Beat ou encore Ozhora Miyagi sont à bord. Mais l’ingénieur qui le seconde n’est autre que Loubensky, musicien compositeur et producteur de renom. Bien épaulé, Sofiane vise « les astres et la bonne étoile » qu’ils l’obsédaient depuis toujours (Bonne étoile). Les étoiles se retrouvent ici à cinq dans la chambre (D’où je viens) et par millions là où « les lumières s’éteignent » (Thème). 

D’où je viens, Sopico

Atterrir n’est pas la préoccupation à bord du vaisseau. Il met d’ailleurs fin à ces questions et à l’interrogatoire subit depuis deux ans : « Rien à ajouter, j’ai rien à déclarer ». Après que So’ ait branché la guitare pour se reconcentrer sur lui-même, Loubenski met les gaz avec des coups de baguettes à la Pick Withers, puis prend une direction inattendue. Les percussions et l’ambiance électro nous porte tout droit dans la B.O d’un jeu vidéo. En 2017, son studio prenait la forme d’un Bunker, appellation que l’on retrouve aussi dans La nuit. Son nouveau studio n’est plus là pour le protéger du monde extérieur. S’il prend d’abord la forme du « vaisseau », Sopico le considère aussi comme un « sas » (Loin) : une pièce étanche permettant le passage entre deux milieux différents, Paris et le monde, le monde et l’univers. 

Atterrir, Sopico

Partir Loin ne peut se réaliser qu’avec la volonté, Sopico en témoigne. Une condition nécessaire pour apprécier le voyage d’être libre de toute contrainte. Déterminé à partir, So’ ne peut « vivre comme bloqué au milieu du film ». Mais sa moitié ne semble pas détenir cette liberté inconditionnelle. Le refrain peut aussi se lire en se centrant sur le « on », comme une séparation, du moins la volonté de s’éloigner. Mais on dépasse je, et la rupture ne se fait entièrement.  

« Igo j’ai travaillé mes croquis, le faire pour de vrai est le leitmotiv »

sans titre, sopico

Sopico est déterminé à réussir et le montre sur les rythmes de Sans titre. Qu’il y ait ou non de la place dans l’industrie ou dans vos playlists, So’ forcera l’entrée. Pleinement conscient qu’il ne coche pas « la case » du rappeur commun, ce n’est pas un frein pour lui. « Bientôt », avec son premier album, Sopico va casser les antennes radios. 

DETRUIRE POUR RECONSTRUIRE

Au milieu de cet Ëpisode sincère et transparent, Sopico garde tout de même une touche mystérieuse. L’interlude fait office d’invitation à Décoder le message caché. L’énigme se dévoile à travers des notes jouées à un instrument à corde, à consonance asiatique : le pípa peut-être. Des voix parlent aussi de la guitare, propre à l’artiste : « Pour Led Zep’ », « Je ne vois que des artistes », « 4, 7, 3, 3, 0, 7, 5 », « il y a deux choses écrites sur la mélodie », « écoutez, puis détruisez, pour construire » … Le doute est émis. Enfin des phases rappées de Sopico peuvent s’entendre, difficilement toutefois.

Décoder, Sopico

La cover a elle aussi une part de mystère. Dans la même veine qu’un ancien dessin de Sopico (publiée sur Instagram le 24 novembre 2019), une porte est au centre et est cette fois remplie d’un dessin signé Yannick Boh. Sazura, Scotty Simper et la Dissidence Production ont ajouté pleins d’éléments autour. Des mots et des phrases forment un bonhomme, guitare au dos : « Y’a certaines phases à sublimer, j’me suis pas appliqué j’pensais qu’on allait supprimer » (Thème). Autour les formes ressemblent à des éléments de l’univers, semblant former les nuages de Jupiter. 

Sans Titre, Sopico

L’enquête avance lorsque Sopico dévoile trois mots qui définissent ËPISODE 0. « Hub », la 75ème session était souvent qualifiée comme telle, une plateforme de rencontre. Ici, Sopico fait surement référence à la rencontre entre tous ces producteurs et artistes à l’origine du projet. « MGA », ce sigle est inscrit sur les commandes de l’ascenseur – vaisseau ou sas – tiré de l’« objet vidéo » d’Atterrir« 7 », Sopico a parlé de six titres, « peut-être sept », pour constituer l’épisode. Ce septième est soit absent, soit très bien dissimulé… 

LAISSER PARLER LA SENSIBILITÉ

Thème, le sixième titre du projet est sûrement l’un des plus précieux de sa discographie. Une très grande honnêteté s’en dégage. Sopico raconte être dans le flou, sans avoir grand-chose à mettre sur le papier. Plusieurs souffrances se bouscule alors que le devoir d’être performant au studio reste le même. Mais la musique ne devient pas bonne uniquement avec les thèmes abordés. Emotion et sentiment, voici les maître-mots pour arriver à sublimer cet art : « Les chansons les plus fragiles sont les plus légendaires / les chansons les plus belles sont celles qui ont des failles ». Thème fait directement écho à une chanson entrée dans la légende de feu Népal, Rien d’Spécial. Sans thème ni message en apparence, cette chanson déborde d’émotions et de sens. Népal a laissé son empreinte en partant, et a influencé son entourage. Sopico lui dédie cette musique, marquée d’un profond respect et de sincérité. 

« Les chansons les plus belles ont des plumes étranglées
Les chansons les plus vraies sont celles qui en témoignent »

thème, sopico

L’absence de Sopico n’aura été que bénéfique pour l’artiste. Avec ËPISODE 0, il fait un pas vers de nouvelles terres, là où la liberté est pleine et la sincérité est le mot d’ordre. Le premier album sera sans nul doute une étape considérable dans l’accomplissement artistique de Sopico.