Bien que la musique soit au centre de la culture rap, le visuel est lui aussi très important. L’artiste peut ainsi s’inventer, se démarquer mais aussi laisser son empreinte en plus de son identité musicale. C’est pourquoi chaque album est doté d’une couverture, dite cover en anglais, la plupart du temps réalisée par un photographe et/ou graphiste spécialisé. 16 Mesures a décidé de revenir sur certaines covers qui ont marqué la culture rap.
Guillaume Kayacan
Guillaume Kayacan est un photographe belge, basé à Bruxelles. C’est au cours de ses études dédiées aux Arts qu’il a découvert la photographie, il a ensuite appris la technique de manière autodidacte et au travers de ses différentes relations. Son parcours de photographe l’a amené à travailler avec de nombreux artistes du milieu musical.
Caballero et JeanJass – Double Hélice 3
Pour le troisième opus de la série Double Hélice, le génialissime duo belge se dévoile. Après s’être représenté à travers des nounours dessinés, puis derrière des partis du visage seulement, Caballero et JeanJass s’affichent ici des pieds à la tête – ou presque. Le photographe Guillaume Kayacan et son équipe respectent avec cette mise en scène le côté égo trip, non moins humoristique, du duo.
Si cet apparat n’est pas surprenant connaissant la dérision des deux rappeurs, il n’est certainement pas commun dans cet univers musical. Deux cosmonautes, des chaussures au casque de Caballero. Ce dernier n’oublie pas son côté Ralph Lauren, marque fétiche du rappeur. Double J n’a lui pas de casque mais tient en laisse un merveilleux Shiba. Bijoux dorés, sourires éclatants, navette spatiale, drapeau des Etats-Unis, le tout remixé à la sauce Double Hélice : le duo côtoie le rêve américain en Californie. Cette photographie semble être celle d’un équipage, prêt au décollage. Le monde a changé, beaucoup de choses sont devenus dégueulasses, Caballero et JJ veulent s’enfuir avant d’atteindre le monde de demain. Grace au travail de Guillaume Kayacan, cette cover lunaire reflète parfaitement l’univers musical du duo.
Romain Garcin
Egalement basé au sein de la capitale belge, Romain Garcin multiplie les fonctions puisqu’il est photographe, graphiste et directeur artistique. Il a réalisé de nombreuses affiches pour des courts et longs métrages, mais aussi de nombreuses photographies pour des artistes renommés tels que Roméo Elvis, Green Montana, Siboy ou encore Bramsito.
Damso – Lithopédion
Avec ses trois albums personnels et ses featurings plus que mémorables, Damso s’est inscrit dans le rap francophone. Aussi mystérieux que discret, le géant belge joue avec l’attente du public et sa capacité à spéculer. Pour imager son tant attendu troisième album, le rappeur a fait confiance à Romain Garcin. Les deux artistes bruxellois se connaissaient et avaient déjà travaillé l’un pour l’autre.
Cette photographie semble assez simple à la réalisation, mais sa conception n’a pu être obtenue qu’à la suite d’une importante réflexion. Sans surprise, elle respecte la facette très sombre, très « nwar » de Damso. En plus d’être un très gros plan en noir et blanc sur l’œil gauche du rappeur, le grain de l’image a été accentué pour faire ressortir les pigments de la peau et gagner en relief embellir l’aspect humain.
Mais une simple photo de son œil aurait été trop simpliste. Romain Garcin a rajouté sur sa pupille l’univers observable, c’est-à-dire la partie visible de notre univers. Elle est représentée par une boule avec comme limite l’horizon cosmologique, et comme centre la Terre. Le photographe a eu cette idée lorsque Damso lui a dit que l’œil était la seule partie de son corps avec laquelle il peut voir le monde sans se voir lui-même. Ainsi, les deux artistes nous laissent pénétrer dans les visions de Damso et de sa manière subjective de voir le monde et plus encore. Cette pochette leur a valu d’être accusé de plagiat – sur celle de Evolve or be extinct de l’artiste anglais Wiley – mais Romain Garcin a justement démenti et a expliqué à travers divers médias la réflexion qui a mené à cette photographie.
L’Or du commun – Sapiens
Trois pépites belges composent l’Or du Commun : Loxley, Primero et Swing. Après trois projets enregistrés entre 2013 et 2017, le groupe réalise en 2018 leur premier véritable album. L’envie de se donner une direction artistique pour enregistrer celui-ci est partagée au sein du groupe. Très vite ils trouvent le nom Sapiens. Cet adjectif latin signifie « intelligent, sage » mais aussi « raisonnable » et « prudent ». L’album a une dimension anthropologique, l’humain est au centre des paroles. L’Homme est ainsi étudié, interrogé, décrypté mais aussi critiqué. Romain Garcin ainsi que Romain Habousha et Cécile Stevens devaient naturellement le faire figurer dans la cover.
C’est chose faite ! Figurent sur la pochette d’innombrables mannequins uniformes entassés dans un endroit sans fond apparent. Si elle est uniquement composée de ces bouts de plastiques à forme humaine, la pochette est pleine de sens. La solidarité humaine est présente. Si l’un des mannequins est retirée, toute la configuration tombe en pièce. L’idée de surconsommation peut être évoquée également. Dernière mais principale idée, la ressemblance et la multiplication de ces mannequins reflète l’uniformisation des êtres humains. L’ODC met en évidence la tendance des individualités à agir et à penser de la même manière que le commun. Elles se reproduisent sans chercher à se distinguer. S’ils sont à première vu tous uniformes, les trois mannequins du premier plan sont différents. Leurs visages ont été conçus à partir de modélisations numériques de ceux des trois rappeurs. Un moyen pour eux d’apparaitre sur la cover, et de faire ressortir l’Or… du commun.
Nico Bellagio
Nico Bellagio n’est pas uniquement un photographe, il touche véritablement à tout. Bien qu’il est débuté dans la photographie, il a rapidement commencé à composer des beats. Il est le dj personnel du très connu Hamza et son directeur artistique. Ensemble ils ont même fondé le label « Just Woke Up ». Les deux sont inséparables, jusqu’à la création des covers du rappeur.
Hamza – Paradise
Hamza est unique en son genre. Ovni de cette scène belge, son premier album est la suite logique de plusieurs mixtapes aux succès croissants. Hamza et Nico Bellagio ont réuni le meilleur du rappeur pour concocter cette cover de Paradise. Ils ont profité de leur virée au Maroc, destinée au tournage du clip du titre éponyme, pour imaginer et réaliser cette cover. Entre le visuel réalisé pour le titre et celui pour l’album, l’interprétation du terme Paradise diffère.
Le clip respecte les codes que l’on se fait du paradis : une destination ensoleillée, des couleurs chaudes et des palmiers. Or la cover de l’album est assez éloignée de cet idéal, ces tons froids en témoignent. Hamza est submergé en verres teintés. Paradise est inscrit avec une typographie proche de l’arabe et des origines, et fait le lien entre Hamza et son reflet estompé. Il n’y pas de surface visible, Hamza semble être noyé et condamné. Le fait d’être en apnée le reconnecte avec son soi intérieur, éloigné de toute perturbation extérieure. On peut ressentir dans ses textes ce besoin de s’échapper et de se retrouver. A défaut de se noyer réellement, Hamza use de l’ivresse : « Quand j’bois le Henny’, le Henny’ me noie ». Le chemin pour rejoindre son paradis trouve fin en même temps que l’album. Il est Minuit 13, Hamza commence à écrirex l’outro et le grand Oxmo Puccino finit le travail : « Et nous y sommes, ni ciel, ni terre, comme avant le commencement. Mais là, c’est après le dernier jour d’une courte vie, cet instant que l’on craignait tant, ce moment où l’on doit faire face à ce qu’on pensait faire de bien ou de mal ».