Lithopédion était l’album qu’on attendait en 2018, notamment à cause de ce jeu de piste pendant de nombreux mois, mené par le rappeur qui s’est amusé avec son public, créant ainsi des euphories sur les réseaux. D’autant plus que Damso s’est aussi vu au cœur de nombreuses polémiques : notamment celle pour l’hymne des diables rouges de la coupe du monde, avec le morceau Humains qui figure en tant que bonus sur l’album en compagnie du morceau Ipséité

Connaître Damso

            Auteur-compositeur-interprète, trois mots pour définir misérablement le talent du rappeur d’origine congolaise né en 1992. William Kalubi, qui a pour nom de scène : Damso, voit sa carrière décoller en 2015 lorsqu’il figure dans la mixtape OKLM avec le titre Poséidon, mais c’est le featuring avec Booba sur Pinocchio qui va le propulser. 

            Bien avant son succès en solo, Damso débute sa carrière en 2006 avec le groupe OPG, qui est aussi composé de Dolfa, Rex, Ducke et Lio Brown, avec qui il sortira la mixtape MMMXIII en 2014. Son premier album officiel est Batterie Faible en 2016, sur lequel on peut retrouver BruxellesVie ou encore le chef d’œuvre Amnésie. L’album sera certifié disque de platine. Un an s’écoule et un second album voit le jour : Ipséité. Surement et incontestablement l’album de l’année 2017, chaque morceau est au minimum certifié single d’or, parmi eux : MacarenaJ Respect R ou encore Nwar is the New Black. Ce second opus du rappeur bruxellois fini certifié disque de diamant en France et disque de platine en Belgique. Enfin, après plusieurs mois d’attente, où Damso s’est amusé avec ses fans au point de leur faire connaître le calendrier lunaire par cœur avec des théories sur les pleines lunes. C’est finalement le vendredi 15 juin 2018 que le troisième volet Lithopédion vit le jour. 

Analyse Lithopédion

            Pour ce qui est du nom de l’album : un lithopédion est un fœtus non arrivé à terme et qui est mort sans avoir été expulsé. Ce troisième album est la suite des deux premiers, on y découvre une continuité psychologique dans les titres. En effet, Damso était dans une Salle d’attente (qui est le nom de sa première mixtape en 2014, ndlr) pour une consultation. Le rappeur aurait été malade, en Batterie Faible, et s’est retrouvé face à lui-même lors d’une opération. Ses symptômes le rendent différent des autres patients et il les extériorise dans ses morceaux. Il a cette volonté de garder son Ipséité, de rester lui-même, donc de garder son flow, chose « qui le caractérise le mieux ». Après les analyses qui viennent clôturer Ipséité dans Une âme pour deux, ils révèlent alors que Damso est en réalité un Lithopédion : avec une âme qui se meurt dans un corps en vie.

            Et puis ce lien est encore plus prononcé sur les pochettes de disques. Sur celle de Batterie Faible, une partie du visage est dans l’ombre et les yeux sont inclinés ; cette partie de visage est dévoilée sur Ipséité, avec cette fois-ci les yeux redressés mais seulement visibles de profil. Et enfin sur la pochette de Lithopédion, on a cet œil en gros plan qui renferme plein de mystères… Et ce qui ne nous surprendrait pas, c’est que si un futur projet devait sortir, on aurait encore ce zoom visuel dans l’œil qui pourrait en fait être composé de l’âme de Damso, car le proverbe, que la pochette de Lithopédionincarne parfaitement : « les yeux sont le miroir de l’âme. », semble ressortir comme le fil directeur du rappeur. 

            L’album débute par une introduction, première fois pour Damso dans ses projets, comme un renouvellement, un début. Une intro qui est une suite directe à l’outro d’Ipséité, qui ouvre directement sur une instru violente avec un flow agressif et colérique du rappeur sur le racisme et l’esclavagisme. Il représente un réveil brutal après une opération. Festival de Rêves s’enchaîne directement après, sans rupture musicale, et vient représenter ce moment d’inconscience post-opération par sa mélodie planante où le rappeur belge est entre le chanter et le parler. Ce style nous fait rappeler celui de Mylène Farmer, une grande artiste que le rappeur apprécie, et la présence du chœur féminin sur les refrains est très proche du grain de voix de la chanteuse. Un morceau aussi agréable que génial vu que le texte à la particularité de se lire dans les deux sens, on retrouve ce même principe dans les morceaux Feu de bois et NMI (ennemi, ndlr), dont le titre de ce dernier peut se lire dans l’autre sens : IMN (hymne, un lien surement probable avec ses différents sur l’hymne national belge pour la Coupe du Monde 2018, ndlr).

            Les « liens humains » sont surement les thèmes principaux de cet album, ils débutent dès l’Introduction avec ce cri de haine sur le racisme. 

Le morceau Julien vient complétement se détacher des autres tracks du projet, d’abord par sa musicalité mais surtout par son thème abordé : la pédophilie. Ce thème peu commun et peu abordé dans le rap est ici abordé musicalement avec délicatesse mais reste très puissant dans les paroles. Un morceau osé du rappeur, d’autant plus qu’il casse cette fausse image du pédophile, en faisant de Julien : une femme, pour montrer que cela peut être n’importe qui.  

Ensuite le morceau Silence, avec Angèle, seule invitée du projet, vient quant à lui traiter de la dispute amoureuse, sous une forme qu’on ne connaissait pas du rappeur. Un morceau qui fera écho aux morceaux suivants : Feu de bois, sur la flamme à entretenir en amour, mais aussi avec Perplexe, qui lui est plus cru et nwaar. 

Cette vie humaine est caractérisée aussi par le temps qui passe dans le morceau 60 années, et la mort commune qui nous attend. Par ailleurs, le morceau Même Issue vient faire référence à ses origines congolaises comme dans Kin la belled’Ipséité, sur un rythme africain, entrainant et des paroles très personnelles du rappeur. Le refrain est par ailleurs un vrai coup de cœur 16 Mesures. 

            Bien que l’album soit rempli de morceaux musicalement surprenants et inattendus, certains titres restent dans le style d’Ipséité, dû à cette « expérience de Walk In » dans Une âme pour deux, un changement d’âme dont l’unique chose qui restera inchangé : c’est son flow, qui pourrait être une cicatrice de son ancien lui.

C’est le cas de SmogAux Paradis et Dix Leurres (qui rappelle respectivement le style musical de Lové et Signaler d’Ipséité, ndlr) ou encore Baltringue, un morceau où Damso remet en question les personnes soumises par la société en les qualifiant de « baltringues ». Le morceau est construit d’une manière assez particulière : en effet, il commence par des glitchs musicaux comme des « bug » qui renverraient à la version et au style laissé dans Ipséité dont certains morceaux évoqués précédemment dans l’article font un effet miroir entre les deux albums. Baltringue est découpé en deux flows différents comme on avait pu entendre également dans le troisième morceau Mosaïque Solitaire (lien vidéo) du précédent projet. Et enfin, tout au long du morceau, on a un texte composé du parallélisme « Tu…mais… ».

            Enfin, les deux morceaux qui précèdent William : Tard la Night et Noir meilleur sont en rupture totale l’un avec l’autre. D’un côté, on a un Damso inconscient de ce qu’il fait car le rappeur est sous l’emprise de drogues (nous rappelons que la prise de drogues est dangereuse pour la santé mais que la musique se consomme sans modérations, ndlr) et de l’autre un Damso responsable et conscient de ce qu’il a fait et de l’avenir. Cette rupture montre l’éclaircissement du rappeur belge, qui n’est pas encore rose comme il avait pu dire dans le morceau Gova : « NoirVie deviendra peut-être rose. », mais en tout cas on semble être sur le bon chemin.

Pour conclure, bien qu’il souhaite nous faire douter « dernier album ou peut-être pas, l’avenir nous le dira » dans William, un morceau court et plein de sincérité démontré par le titre qui porte son véritable prénom ; il semblerait que cela ne soit pas son dernier projet, en effet un mystère reste encore à élucidé : celui de l’alphabet grec présent sur chaque morceaux d’Ipséité et sur le titre Ouzbek qu’il a dévoilé sur Instagram. 

16 Mesures possède une hypothèse et non la vérité : l’alphabet grec est une écriture bicamérale donc une écriture comprenant des lettres minuscules et des lettres capitales, elle vient opposer deux « oeils » [tout deux de forme imagé sur les pochettes d’Ipséité et Lithopédion], qui sont en imprimerie typographique : des blocs de reliefs appelés caractères mobiles [comme les caractères humains], dont la partie saillante reçoit l’encre et laisse son empreinte sur le support à imprimer. 

16 Mesures émet l’hypothèse qu’un ultime projet de Damso pourrait voir le jour ; la mixtape QALF et elle serait composée des dix dernières lettres de l’alphabet grec qui ont été imprimé par les « oeils » typographiques d’Ipséité et de Lithopédion. Affaire à suivre car cette trace d’inachevé n’a pas fini de faire travailler nos méninges dans le futur…