En 2022, lors de la sortie de son album V, nous avions réalisé une analyse du projet qui pouvait se résumer ainsi : Vald est un artiste imprévisible qui dépeint dans ses textes, le monde à travers sa fenêtre à l’instar d’un film hitchockien ou d’un album iconique d’Hugo TSR. Cet album, V, qui fut suivi d’une réédition, VV5, annoncée à son second Bercy, a été reçu en demi teinte par le public laissant Vald perplexe face aux chiffres de vente réalisés et les critiques très incisives sur un album, peut-être incompris par sa forme, mais pourtant très authentique dans son fond. Après un long silence, qui fut coupé par un excellent featuring avec Souffrance, Vald a signé son retour avec un album intitulé PANDEMONIUM, la capitale de l’enfer, ou plutôt, celle de ses angoisses.  

PANDEMONIUM SENSATION

On ne va pas retracer une énième fois l’histoire de Vald mais il était important de remettre en contexte son retour après un silence choisi et intéressant, à une ère du rap où la pression de réussir et la peur d’être oublié, sont deux amis toxiques. Faire voeux de silence pour se recentrer quand les artistes ont les moyens de le faire, permet plusieurs choses : recréer une attente autour de la proposition artistique, laisser du temps à l’artiste d’explorer et parfaire de nouvelles sonorités tout en retrouvant du fond à raconter plutôt que de brasser de l’air avec de jolies mélodies comme dirait l’autre. 

Avant qu’on entre plus en profondeur dans les enfers d’un casanier angoissé, il faut souligner que la stratégie de prendre du temps pour revenir a fait du bien à Vald. Sans surprise l’album est extrêmement éclectique, ce qui fait du bien dans un mainstream fast foodesque et parfois sans saveur. PANDEMONIUM marque aussi le retour de BBP aux prods en compagnie du fidèle Seezy, un duo performant et efficace, ainsi que la présence secrète de Suikon Blaz AD sur 93 MILLIARDS dans un album sans featurings. Un choix qui est également à souligner. 

DIEU MERCI – Vald

Le terme de PANDEMONIUM apparaît pour la première fois dans les écrits du poète anglais John Milton au XVIIe siècle. Il est définit comme la capitale imaginaire de l’enfer dans lequel Satan invoque ses démons, mais on peut plus l’imagé comme un lieu où règnent la corruption, le chaos et la décadence.

« Quand j’dis « Dieu merci », je suis deux fois optimiste. J’le remercie et j’espère qu’il existe » – Dieu Merci

Quand on plonge dans le PANDEMONIUM sullyvanien, on ne peut s’empêcher de penser à la citation de Jean-Paul Sartre : « l’enfer c’est les autres », dans le sens où l’enfer vient du jugement des autres à notre égard alors qu’ils sont tout aussi critiquables. Pourtant, même si l’album se veut ténébreux, quelques éclats de lumière où Vald tente à être positif sont à noter comme avec l’introduction Dieu Merci, une ode à l’imperfection, Superman ou encore cette merveilleuse phrase sur son fils dans 93 milliards : « J‘suis à la gare, j’attends l’TGV du p’tit mais est-ce que c’est pas lui le centre de la galaxie ? ».

Vald par Fifou©

Comme à son habitude, Vald décrit le monde qui l’entoure et surtout le critique en faisant des constats sociaux et politiques qui aujourd’hui sont poussés aux extrêmes : « La question c’est : être un SS ou ne pas être un SS ? » (UFOV). Si le morceau Gauche Droite, bourré d’ironies sur les positionnements politiques, a créé du débat sur le positionnement de Vald, l’album vient éclaircir ses pensées : « J’suis qu’un porc anti-porcs comme Duke Nukem » (Interlude), « Ça s’arrêtera jamais comme pleurer la Palestine » (Léthargie), « Qui raconte l’histoire ? Qui décerne les rôles ? Méchant ou gentil ? Allié ou ennemi ?Kadhafi, Saddam, Trump ou Obama ? Qui a fait l’plus de morts ? » (Roche Noire), et parfois en ironisant : « La vie est belle comme un goulag en 2024 » ou encore « La vie est belle comme une bavure sur un banlieusard » (Dieu Merci)

« J’rappelle des faits qu’on est censés taire » – Dieu Merci

Il rappait que ce monde était cruel, avec PANDEMONIUM, Vald rappelle que ce monde s’empire : des rappeurs à la Fashion week à quelques rues de bidonvilles, l’obsession quotidienne pour l’argent et pour le travail, pour soit avoir des vacances, soit des papiers : « Y a que le cash qu’a d’la couleur dans ce Sin City » (Pandémonium), parfois à en vendre son corps sur des sites comme Only Fan, la consommation a porté de main avec la mondialisation jusqu’à acheter tout ce qui est illégal sur le Darknet… Quand on établit une liste comme Vald l’a fait au long de l’album, il est difficile de ne pas penser que la Terre est en réalité ce Pandémonium, cette capitale des enfers. 

« Quand j’me questionne, ils voient d’la rébellion » – Roche Noire

Au-delà de ce constat social, pour Vald, l’enfer c’est les autres aussi dans son rapport à la célébrité et avec son public, envers qui, il nourrit une vraie anxiété sociale comme il le raconte dans le bonus PTSD. Il disait de lui qu’il était une blague qui avait mal tournée au début de son succès, ce qu’il rappelle encore dans DIEU MERCI : « J’aurais dû être sur le banc, je sais. Au lieu d’ça, je dis d’la merde sur l’devant de scène ». Seulement, le succès lui a aussi offert le luxe de faire ce qu’il veut de sa vie, pourtant pour un casanier, sa peur d’être reconnu se complexifie : « J’traîne pas dans la rue, je suis très casanier, y’a qu’le livreur qu’a l’adresse. » (Poches Pleines) qui devient sur 93 MILLIARDS : « Bientôt, j’ai un robot qui va m’chercher les commandes. Bientôt, j’vois plus personne, juste un peu de patience »

Vald par Fifou©

Si l’on reprend la citation de Jean-Paul Sartre évoquée précédemment qui disait que l’enfer, c’est les autres, pour un autre, Vald ferait donc partie de son enfer. En sachant ça et en reprenant tous les constats fait dans l’album, Vald va pousser le curseur d’être l’enfer pour les autres dès le deuxième morceau REGULATION, en se prenant pour Thanos. Dans le MCU (Marvel Cinematic Universe), le tyran a pour projet de supprimer la moitié de la population de l’univers pour la réguler pour que la partie restante vive dans l’harmonie et la prospérité, Vald souhaite faire la même car il rêve d’une évolution du monde vers le bien de tous avec une pyramide sociale moins grande : « Si on s’alliait, on pourrait niquer les un pour cent à la tête de tout » (Régulation). Ce démon vengeur et colérique qu’il aime libérer de temps en temps dans ses albums, on le retrouve également dans le titre éponyme. 

GAUCHE DROITE – Vald

Il pourrait devenir un enfer pour les autres, seulement il a déjà la sensation d’être un enfer pour lui au quotidien. Entre sa dépendance aux drogues, aux réseaux sociaux, et à toutes consommations jugées mauvaises par la société, qu’il compte dans QUE DES PROBLÈMES ou dans le morceau FUMÉE, le poussent dans un état léthargique : « Le Bercy, j’l’ai rempli fort deux fois, maintenant, je suis vide » ; « Je peux pas mentir, j’sais pas pourquoi je déprime » ; « Je n’ai aucune maîtrise sur mon humeur intérieure » (Léthargie) ou encore « J’ai la patience d’avoir la flemme » (Fumée). 

PROXACZOPIXAN – Vald

Il devient passif au point d’avoir une vision en UFOV (Useful Field of View, zone visuelle où l’on peut voir sans bouger les yeux, ndlr), procrastinateur et déprime au point d’envisager à prendre du PROZACZOPIXAN dans son autodestruction, qui est une contraction de Prozac, Zopiclone et Xanax, trois médicaments aux effets respectifs : antidépresseur, sédatif et anxiolytique. Rien ne semble l’aider et il en est conscient, parce que la société aussi le culpabilise : « Je vis comme un seigneur mais à l’époque, ils cannaient jeunes » (Que des problèmes), et il finit lui-même par s’autocomplexer de son quotidien de passif : « J’vois mon reflet, j’dis : « Bats-toi » ou bien j’dis : « Putain, non, pas toi » » (Que des problèmes) ou encore « Je m’habille, je m’abîme tous les jours, je tourne en rond, j’suis à ça de trouver un sens à la vie » (Interlude). 

« J’le fais pour ceux qui manquent à l’appel, j’ai besoin d’air, que d’un appel » – Interlude

Son absence pendant presque 3 ans a certes été un choix pour se développer artistiquement mais aussi pour avancer dans sa vie personnelle avec la perte d’un de ses être chers, sa mère : « Elle aurait pu souffrir plus longtemps du cancer. Finalement, c’est pas si mal qu’elle soit partie aussi vite » (Dieu Merci). Le thème de la mort revient tout logiquement tout au long du projet et explique aussi sa conscientisation de son autodestruction quotidienne. Les deux derniers morceaux traitent directement de ce sujet. Le premier, Les échappés, est plus généraliste sur le manque de l’autre, et le second, Paradis Perdu, en référence encore à John Milton et son poème, reprend les phrases que sa mère répétait régulièrement. « J’m’endors, je l’entends encore »

« À part toi, j’manque de rien » – Les échappés

PANDEMONIUM est un album extrêmement éclectique qui a toujours fait le charme de l’artiste avec, cette fois-ci, des vraies touches personnelles et poignantes, mais aussi des réflexions sur ses propres contradictions. Artiste de scène, l’album a connu rapidement une seconde vie avec un version alternative électro en collaboration avec Vladimir Cauchemar et Todiefor, qui n’a pas manqué de retourner tous les festivals cet été et qui n’attend que de brûler l’U Arena de La Défense en cette fin d’année 2025. PANDEMONIUM est un album qui se digère avec le temps de par ce qu’il raconte et sa musicalité, et conforte à la fois l’artiste et son public, que leur histoire d’amour n’est pas prêt de s’arrêter.