Rendre coup pour coup, rendre morceau pour morceau, cet esprit de compétition s’était perdu dans le rap français, mais en 2023, il fut déterré. En effet, ces dernières semaines ont été animées par l’échange musicalement musclé et divertissant de 404Billy et de son adversaire, Benjamin Epps. Comment une simple pique a fini par devenir des morceaux de 5 minutes minimum de clash ? Comment une étincelle a fini par devenir un incendie ?
PRÉSENTATIONS DES MC
D’un côté, 404Billy, rappeur de Villiers-le-Bel dans le 95, kickeur aussi obscur que technique. Il dévoile son premier projet, Hostile en 2018, et a un vrai éclairage l’année suivante lors d’un featuring avec Damso sur RVRE. Loin d’être un artiste à la recherche du hit, il préfère la précision de son art. Bien qu’actif, il est resté dans l’ombre de la réussite malgré ses qualités artistiques, jusqu’à son virage boom-bap. Avec Black Van Gogh et le morceau Anti-élite, 404Billy a proposé un rap encore plus précis et incisif, mettant ainsi un coup de pied dans la fourmilière à en attirer l’oreille du public et des médias qui l’avaient délaissé.
De l’autre, Benjamin Epps, rappeur gabonais de Libreville, kickeur aussi incisif que précis. Il a enchainé les différents noms d’artiste avant d’arriver en 2020 avec le projet Le futur avec cette identité. Bien que critiqué pour son inspiration new-yorkaise, il a fini par conquérir le public par sa finesse lyricale et son habilité dans les placements, sans oublier ses petites piques dissimulées dans ses morceaux rafraichissant le paysage lisse du rap français. Après trois EPs que sont Le futur, Fantôme avec chauffeur et Vous êtes pas contents ? Triplé !, il dévoile un premier album La grande désillusion en début d’année 2023.
PREMIÈRES CONNEXIONS
Si on devait cartographié le paysage du rap français vulgairement, bien qu’ils soient différents, 404Billy et Benjamin Epps sont deux rappeurs du même ordre : ils sont techniques avec un sens de la formule et de la punchline. Ils sont capables de poser sur n’importe quelle instrumentale, faisant d’eux des véritable requins de jeu en featuring et dégageant une essence du hip-hop dans leurs propositions artistiques, loin de la quête du hit et des NRJ Music Awards.
Logiquement, une connexion a pu se faire le temps d’un morceau de 404Billy, 88% (Window). Même si le morceau est de qualité, au vu du niveau que proposent les deux artistes en fin 2023 lors des disstracks, si le featuring était refait, la collaboration ne serait que meilleure. Les artistes ont même pu partager ce morceau sur une scène à Paris de Benjamin Epps. Moment qui aura un impact important pour la suite de cette histoire.
L’ÉTINCELLE : PREMIÈRES TENSIONS
La première extériorisation de cette tension est venue de 404Billy sur le morceau Title Shot en juin 2023. Comme à son habitude depuis quelques sorties et son nouvel arc Boom bap, Billy s’amuse sur les mots et titille, souvent de façon virulente, quelques acteurs de ce rap jeu. Même si, on peut comprendre certains de ne pas aimer sa démarche et car ils y voient une façon assez subtile de faire réagir et de créer de l’engagement autour de sa musique, elle reste pour le moins, une démarche hip-hop, musicalement savoureuse et divertissante.
Revenons sur ce premier pic de 404 sur Benjamin dans Title Shot : « Eppsito, tu peux pas dire qu’t’es l’meilleur rappeur, si tous mes p’tits EPs sont meilleurs qu’ton album. ». Jusqu’ici rien de dramatique, un simple esprit de compétition entre deux excellents rappeurs qui ont pour objectif de prouver qu’ils sont forts. La pique vient à un moment où 404Billy monte en puissance avec sa trilogie des Black Van Gogh pendant que Benjamin Epps a dévoilé son premier album, La Grande désillusion. Bien qu’à nos yeux, c’était un très bon album, il a connu des avis divergents du public. Benjamin Epps, étant lui aussi un amoureux du drop name (le fait de citer directement les noms de ce qu’il vise dans ses punchlines, ndlr), a fini par annoncé par l’intermédiaire d’un tweet dans la même énergie que la pique, qu’il va répondre à 404Billy.
LA FLAMME : LES RÉPONSES DE BENJAMIN EPPS
Cette petite étincelle lancée par Billy aurait pu simplement s’arrêter là, ou au maximum, créer quelques braises le temps d’une réponse de même puissance. Seulement, après un temps d’attente, c’est à travers son EP, Ready for War, que Benjamin finit par répondre lors de deux morceaux : Spider et Picasso. Cette étincelle se transforme donc en flammes vu que l’on passe d’une simple pique dans un morceau, à des morceaux plus ou moins entiers. Même si 404 n’ait jamais directement mentionné, les références évoquées ne font pas de doutes. Les hostilités sont sur le point de commencer avec un premier disstrack quelques jours plus tard.
L’INCENDIE : LES DISSTRACKS
Étant donné que Benjamin Epps n’a pas, encore, pris la parole concernant ce clash, nous allons nous appuyer sur la version de 404 qui s’était exprimé sur Instagram concernant ce premier vrai disstrack. Selon 404Billy, les frictions ont commencé à naitre au moment du concert de Benjamin Epps, car ce dernier n’a pas répété avec lui et a gâché le morceau sur scène en oubliant son texte, le tout sans jamais le payer dans les temps pour sa présence. La pique était dans un esprit de compétition sans spécialement de rancœurs : « Il aurait pu juste dire une phrase comme « Tes EP puent la merde » ou « t’as repris mon style », on en serait resté là. Il a commencé à tweeter « Mon fils est né », blabla, Moi je trouvais cela marrant. Vu qu’il ne répondait pas, j’ai tweeté comme lui. (…) Ils m’ont appelé et ils ont fini par dire qu’il n’y aurait pas de suite. Toujours selon le rappeur, le premier disstrack : La plus grande des illusions, sort car pour lui, la réponse de Benjamin Epps était disproportionnée : « Plus tard, on me tient au courant qu’il va sortir un EP où dedans il me clash (…). J’écoute les deux sons, et dans Picasso, il dit des trucs personnels. (…) Il dit des phrases de tueur. À partir du moment où tu vas dans le personnel, t’engage un truc personnel. Il serait resté dans le truc des EPs et des albums, on n’en serait pas là. Tu m’attaques, je réponds. »
La plus grande des illusions, en référence donc au titre du premier album de Benjamin Epps est la première balle, le premier vrai disstrack entre les deux artistes. Celui-ci sera suivi, un mois plus tard, le jour de l’anniversaire de 404Billy par Reste dans ta merde de Benjamin Epps. Un morceau auquel, 404 a répondu par Pinocchio Epembia. On vous laissera écouter les morceaux pour vous faire une idée de ce qu’on peut y retrouver et éviter de paraphraser le contenu, la seule chose à en dire que ce soit pour l’un comme pour l’autre, c’est que ce sont vraiment d’excellents morceaux de rap et le divertissement est total.
LA MAISON A BRÛLÉ : LE VERDICT
Au vu de ce qu’il se raconte et notamment par le fait qu’il ait dévoilé un morceau complet en plus, on ne peut que donner 404 vainqueur de ce clash, en espérant que ce dernier ne soit pas terminé et que Benjamin fasse mentir l’avis général en dévoilant un morceau à la hauteur de Pinocchio Epembia. Nous tenons à rappeler que nous ne prenons aucun parti et que nous respectons artistiquement les deux rappeurs. Par ailleurs, nous espérons aussi que ce clash en restera à d’excellents morceaux de rap sans déborder ailleurs, et nous espérons également que les rappeurs prendront exemple, et arrêteront de le faire par stories ou tweets interposés. Le public l’a démontré par son engagement, on veut des morceaux disstracks, c’est hip-hop, et en plus vous pouvez monétiser tout ça en faisant d’excellents morceaux si c’est votre cheval de bataille. En bref, 404 avait conclu sa prise de parole de la meilleure des manières et nous le laissons conclure cet article de la même façon : « Vive le divertissement, pour la culture, pour les auditeurs, pour ceux qui aiment ce genre de rap. Force à vous, force à nous ».