Rappeur, producteur ou encore ingé son, H JeuneCrack a multiplié les cordes à son arc pour faire briller son art aux yeux du public. Aussi mystérieux et précieux que l’opale, il arrive à délivrer une musicalité aussi claire que de l’eau de roche pour proposer une matière première de qualité premium.
QUI EST H JEUNECRACK ?
Comme évoqué plus haut, le mystère plane sur l’histoire d’H JeuneCrack permettant ainsi de laisser parler son art plutôt que sa personne. Presque aucune interview n’a été réalisée, la seule étant désormais disparue avec le magazine Trax qui s’est arrêté en 2023. Pourtant quand on écoute attentivement ce qu’il raconte, on peut comprendre ses références et ce qu’il pense, et dans le fond c’est plus important que de savoir s’il préfère l’Oasis Tropical ou l’Ice Tea.
« J’sais pas c’est qui Jen Seltеr mais j’écoute Joke – Jen Selter » – AQUARELLE
Sandra Gomes, journaliste et photographe du rap français, l’a qualifié d’enfant d’Orelsan et d’Ateyaba, et si l’on devait caricaturé sa musique, on s’en approche. D’un côté, la nonchalance et la quête musicale qu’on retrouve chez Joke, et de l’autre le décomplexe artistique et lyrical, qu’on retrouve chez Orelsan. Seulement, H JeuneCrack, c’est plus que ça et c’est surement pas un artiste à catégoriser : « J’ai la force des anciens gros j’suis pas la next gen » (Les cristaux).
Avec la sortie de Matière Première, on arrive à la première grosse pierre de son édifice après l’excellente trilogie des Cycles, Puzzle Mus1que ou encore Mauvaise Musique avec Beamer. Une sorte de clôture du premier arc. Et si musicalement Matière Première est plus aboutit, c’est lyricalement qu’on y découvre le diamant pur du rappeur en guise de matière première.
ANALYSE MATIÈRE PREMIÈRE
Entre des propos engagés, des punchlines marrantes contrebalancées par des phases égotrip, mais également et sa sincérité singulière, quand on dépasse la diversité musicale et variée du projet, on plonge dans une Terre du milieu de plus en plus obscure. Quand on écoute le projet, on peut avoir l’image de l’artiste affalé sur le canapé avec dans sa main gauche une bouteille d’alcool et de l’autre son téléphone en train de regarder ce qu’il se passe. Un regard extérieur sur le monde qui l’entoure, tout en restant chez soi comme James Stewart dans Fenêtre sur cour d’Hitchcock.
LAVER LE LINGE SALE PUBLIC
« Si j’écris des belles rimes ma gueule c’est parce que l’monde est trash » – PSHIIITT…
Le premier sujet abordé, c’est la société. On connaît l’expression « laver son linge sale en public », H JeuneCrack, lui, « lave le ligne sale public en public ». D’abord, on y retrouve ses constats sur le monde qui l’entoure : la présence des guerres, la vie souvent sauvage pour certains avec une allusion à Robinson Crusoé pendant que d’autres, bien placés, vivent grâce à la misère des autres : « On veut s’mettre bien comme la famille du préfet » (Les cristaux), ou encore les abus de pouvoir avec les violences policières : « Toutes les polices sont bonnes pour écrire ACAB » (Comment ça s’passe, ACAB est un acronyme anglais qui signifie « All cops are bastards », donc « Tous les flics sont des salauds », ndlr). Au final, le jeune crack s’agace en voyant tout ça. Il va jusqu’à dire que les humains ne sont bons qu’à se reproduire et à reproduire les mêmes erreurs dans Aquarelle, qu’il n’ira jamais en vacances dans des zones non éthiques comme Dubai ou Tel-Aviv dans Wazinc, et faire une opposition d’envie à échelle démesurée en jouant sur les mots dans Google Maps : « Y’en a ils veulent rentrer en transe y’en a ils veulent rentrer en France », et globalement qu’il nique le système bien que dans le fond, il en fait partie dans Dièses. On comprend même que son agacement vient surtout du comportement humain, qu’il déplore, qui est fake et bon qu’à suivre le troupeau, et qu’il en vient même à comprendre certains qui ont ce besoin de vouloir tout faire basculer : « C’est pour mes braves qui ont fait tous les tafs qui veulent savoir comment ça s’passe pour faire un coup d’État » (Comment ça s’passe ?).
UN HOMME CONTRASTÉ
Si le projet se veut très personnel avec une matière première de sa personnalité distillée un peu partout, quand on s’y penche, on y retrouve le contraste de l’artiste entre son côté arrogant égotrip, de jeune provocateur et ambitieux, et son côté mélancolique.
« J’peux niquer l’game avec une voix cartonnesque » – AU MAX
Commençons par son côté conquérant. H JeuneCrack s’amuse dans ses formulations à jouer sur l’égotrip en alliant sa quête monétaire et un humour subtile, par exemple dans Comment ça s’passe ? : « On va graille, j’vais finir gros comme Samir Nasri. Trop de stress, j’vais finir chauve comme Whabi Khazri ».
« Diamant Inestimable. Destin inévitable. » – COMMENT ÇA S’PASSE ?
L’égotrip. Si l’on devait définir ce que c’est, il s’agit d’une formule qui vient mélanger une attitude, en étant sûr de soi, et une volonté d’attirer l’attention parfois en exagérant ou en provoquant sur un thème ou un point précis. Chez H JeuneCrack, c’est l’industrie musicale. On y entend sa volonté de faire un casse de cette industrie ou un braquo comme Vald et SCH dans Dernier Retrait pour devenir une « future légende urbaine » et que les rappeurs finissent par lui payer des impôts car il est devenu le président. En parlant des rappeurs, H JeuneCrack s’amuse à se comparer à eux et évidemment, les éloges se font rares : « Que des bandeurs de bandits. On dirait ça leur donne le barreau d’être derrière les barreaux. Ils mouillent sur la street j’les appelle escargots » (Gamberge FM), ou encore « Qui c’est qui rivalise ? Attends j’vérifie la liste. Ah bah y’a personne » (Dièses) ou bien « Eux j’les calcule pas ils s’dopent comme des cyclistes » (Pshiiitt…), en référence aux triches dans les ventes et les streams.
« H JeuneCrack le gros caillou, avec j’bâtis l’empire comme un dolmen » – PRESIDENTIEL FLOW
L’obsession. Dans Matière Première, H JeuneCrack dévoile à son public sa véritable obsession à l’argent et son envie insatiable d’en faire, et il en parle énormément et souvent avec simplicité. Il veut qu’on le paye comme Patrick Drahi, il veut de l’argent jusqu’à ce que sa liasse perde de la souplesse et il a déjà assez d’élastiques pour les contenir, et veut pouvoir manger du caviar pour dire que ce n’est pas bon. Même s’il écrit ses barz dans un carnet de chèque, le vrai objectif d’être riche, c’est de pouvoir se contenter des choses simples, par exemple, élever des biquettes comme il le dit dans Pshiiitt…
« Pour faire une plage, faut combien d’grains de sable ? J’sais pas. Pour faire un million, faut combien d’euros ? Ça, j’le sais » – PRESIDENTIEL FLOW
Le style. Bien loin de la rime « père sévère » et « persévère », qu’il pourrait s’amuser à détourner ironiquement, son attitude vient être appuyée par une plume singulière avec un sens de la formule qui lui ait propre, mélangeant la simplicité et l’humour subtile comme dans Aquarelle : « J’arrive toujours en retard même pour les trains. Heureusement c’est la SNCF » ou encore « J’m’en fous d’porter du Pierre Paul Jacques, du Jean Paul Gaultier ». Il a une façon d’écrire où quand on en capte la subtilité de certaines phrases, ça en devient amusant comme dans Google Maps : « J’suis à côté du lac des cygnes. Tu sais c’que j’attends »
VOIR LE FOND DE LA BOUTEILLE
Comme expliqué plus tôt, H JeuneCrack est contrasté par son désir de conquête et d’amusement public par son sens de la formulation et une solitude qu’il s’amuse à rimer dans ses textes. Si le comparatif est évident, H JeuneCrack est comme Orelsan : Seul avec du monde autour.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, H JeuneCrack semble être un casanier très curieux de ce qu’il se passe avec un caractère geek d’une vraie volonté de s’informer sur une variété de sujets. Ce qui explique cette avalanche de références tout au long du projet. Des footballeurs comme Nasri et Khazri, aux hommes d’affaires comme Drahi et Dassault, en passant par les basketteurs Siakam et Irving. Sans oublier sa culture musicale avec DJ Mehdi, le 113, Jay-Z et Jen Setler de Ateyaba (Joke), sa culture cinéma avec South Park, Harry Potter et Scarface et certains jeux vidéo comme les lames de Tolède dans Assassin’s Creed ou plus subtilement GTA avec sa Gamberge FM qu’il a pu écouter dans toute sa ville. Des références, il y en a pour tous les goûts, notre préférée reste celle du tableau de Géricault avec l’opposition de l’œuvre à la marque Versace : « Mes gars veulent le Medusa mais ils rament comme sur un radeau » (Gamberge FM).
Seulement, quand on se penche plus en profondeur sur les textes, H JeuneCrack cultive une vraie mélancolie. Dans la moitié de Matière Première, on y découvre toute la sensibilité du rappeur sans pour autant être dans une musicalité dépressive ou une quête de toucher émotionnellement son auditeur.
Malgré une forte productivité, on y découvre un homme qui procrastine : « C’est mieux j’m’approche pas du canapé sinon j’passe la journée avachi » (Dièses). Le rappeur subit sa flemme qui fait vraiment parti de son quotidien : « Combien d’temps on a perdu à compter les heures ? » (Aquarelle) ou encore « J’passe les mêmes journées assis sur la même chaise. J’crois qu’j’vais canner dessus c’est la chaise électrique » (Les cristaux). Sauf qu’à force, cette dernière impacte sa détermination : « J’vois l’sommet j’vois c’qui m’reste de route à faire. Ça m’fout la flemme » (Les cristaux), et son moral, au point de se soulager dans l’alcool.
« L’alcool c’est pas d’l’eau, cette merde me dessèche » – PRESIDENTIEL FLOW
Contrairement à d’autres, H JeuneCrack préfère détruire son foie plutôt que ses poumons : « Tu peux tirer dans mon foie ou dans mes reins, ça change rien, l’alcool les a d’jà bousillés » (Présidentiel flow) ; « Faut pas qu’j’me crame les poumons. Sinon j’pourrais plus cracher les flammes » (Aquarelle). On a une véritable liste des bouteilles qu’il peut boire tout au long du projet, du rhum non dilué ou arrangé avec une gousse de vanille à l’infecte Eristoff sans oublier le whiskey et le Moët. On est proche d’un slow avec la bouteille en verre. Seulement sa consommation n’a, sans surprise, aucun effet positif et dégrade son moral.
« Pshiitt Faut qu’j’lâche la pression » – PSHIIITT…
Le vrai cœur du projet, c’est la matière première comme son nom l’indique, et quand on puise dans le puit émotionnel d’H JeuneCrack, on se retrouve avec une matière première sombre et un peu nerveuse alimentée par les sensation de mal-être de l’artiste : « Des fois j’parle dans l’vide, des fois j’parle à Dieu. L’avenir est irradié, il n’est pas radieux. J’me guette dans l’miroir j’ai l’impression c’est l’miroir qui m’guette. Gros tellement j’gamberge, j’donne des migraines à l’appuie-tête » (Gamberge FM). Dans ces pensées troublées par l’alcool, on retrouve le sentiment de solitude : « #31# Y a toujours personne qui m’connaît » (Dièses), le sentiment d’être perdu : « En ce moment j’me sens vide comme un paquet d’chips » (Pshiiitt..) ou dans Google Maps « Coincé entre hier et demain y’a un peu de latence », qui peut amener le sentiment de nostalgie : « J’suis sur Google Maps j’me balade dans mon quartier d’enfance ».
« J’tape des pompes avec le poids du monde sur mon dos » – PSHIIITT…
Matière Première a tout pour plaire, et est venu conclure le premier cycle de carrière d’H JeuneCrack, celui de se faire un nom et de faire entendre qui il était, avec ses forces, ses faiblesses mais avant tout sa sincérité dans ses propos avec une justesse technique, parfois amusante. Ce qu’il manque encore c’est l’aspect émotionnel dans l’interprétation, mais H JeuneCrack semble aimer réserver des surprises. La preuve, en sortant quelques mois après Matière Première, un projet commun de 3 titres avec Hologram Lo’ : La pieuvre, qu’on vous invite à écoute et qui est une belle porte d’entrée pour apprécier son talent. « Faut qu’j’me réhydrate, paraît qu’on est c’qu’on mange, du coup j’graille du poulpe avec des seiches » (Présidentiel flow).