Il y a des histoires qui commencent par « Il était une fois » et d’autres par quelques rimes laissées sur un projet publié par un passionné lyonnais. OK, c’est le nom du premier EP d’okis sorti en janvier 2022, et c’est à ce moment que l’histoire démarre.
Mani Deïz : Une bonne amie fan de musique m’a envoyé l’EP d’okis, en me disant d’écouter le morceau Man on the Moon, j’ai été surpris et je suis allé écouter tout le projet.
okis : Quand j’ai sorti mon premier EP, je partais de zéro. Quelques jours plus tard, je reçois un message Twitter de Mani qui me félicitait.
Mani Deïz : En discutant j’ai senti que c’était un bon gars et je suis quelqu’un qui suit son instinct, alors ça m’a donné envie de travailler avec lui.
okis: On est passé rapidement de « lourd ton EP » à « on peut travailler ensemble » (rires). C’était fou car sa carrière m’a énormément influencé et j’aurais jamais imaginé que ça se passe ainsi.
Étant donné que ton premier projet est sorti en janvier 2022, ça a commencé à quel moment le rap de ton côté et comment vit-on qu’un premier projet dépasse ce qu’on pouvait imaginer ?
okis: Je rappais depuis la fin de lycée dans mon coin. Un jour j’ai sorti un EP sans prétention, juste car j’avais le temps de le faire. Je ne connaissais pas grand monde. Je n’avais pas un immense background musical non plus, et à partir du moment où Mani m’a contacté, il s’est passé plein de choses pour moi. J’ai rencontré beaucoup de monde notamment Sandra, qui m’ont aidé à me construire et à me développer.
Et Mani n’était pas le seul à tomber sur okis. Sandra Gomes, photographe, journaliste et directrice artistique, a eu vent également de ce premier projet d’un proche, Saïd, et voyait déjà qui était okis dans le réseau lyonnais de Twitter : « Quand j’écoute le projet, je me prends une claque. C’est un projet dans lequel je me retrouve dû à cette écriture qui m’interpelle et ses références lyonnaises qui me régalent ».
Dans le morceau apdl, Alpha Wann disait « Si tu fermes les yeux quand je rappe, tu vois New-York », on peut modifier cette phase en remplaçant « New-York » par « Lyon » pour okis. Ce lien qui unit Sandra et okis a fait qu’ils ont fini par travailler naturellement ensemble.
Sandra Gomes : « Au début, j’étais surtout un relais, c’est son talent qui a parlé aux yeux du public. On a commencé par faire des visuels pour Pelo de ville et puis Tour de magie. C’est un vrai kiff personnel d’imager un clip 100% lyonnais avec sa musique qui est hyper visuelle. okis est extrêmement précis. Il parle de rues, de bâtiments, de snacks, il cite tellement de choses en lien avec la ville que ceux qui connaissent ont les images directement. C’est pour ça que je prends aussi autant de plaisir à écouter ce qu’il fait. Je ressens ce truc-là, du geek qui va chercher les rimes les plus complexes, non pas pour impressionner mais pour se faire plaisir.».
Mani Deïz : Quand t’es en indépendant, ta musique arrive très rapidement à certaines oreilles. Tu ne peux pas te douter jusqu’où ta musique peut aller, mais elle va bien plus loin que tu l’imagines. La musique voyage beaucoup plus qu’on ne le croit.
Producteur de talent depuis des années, Mani Deïz, qui a déjà travaillé avec des grands noms comme Lucio Bukowski, Swift Guad ou plus récemment Caballero & JeanJass, nous confie qu’il aime aussi « dénicher des artistes et les mettre en avant avec un univers qui leur est propre ».
Comment on arrive à être toujours productif et à toujours proposer du nouveau après une si belle carrière ?
Mani Deïz : J’ai besoin qu’un rappeur par son rap ou qu’un beatmaker par ses prods, me surprenne. Ça va faire naître en moi un regain d’énergie pour produire. Je peux très bien passer deux semaines sans produire, il suffit que j’entende une prod de zinzin pour que je m’y remette et que j’en fasse une quinzaine (rires). Pareil pour les rappeurs, j’en ai vu passer et j’en ai entendu donc mon exigence est plus importante. Quand j’ai entendu okis, j’y ai vu un diamant brut à mettre en valeur.
À quel moment vous vous êtes dirigés sur un projet commun ?
Mani Deïz : On a commencé par quelques prods à distance, mais je n’aime pas tellement travaillé comme ça. Il a fait quelques maquettes mais je restais sur ma faim. Et puis, je n’aime plus trop travailler à distance, la musique c’est un prétexte pour rencontrer des gens.
okis: Après j’étais un rappeur à type beat (rires). D’un coup je suis passé à un rappeur qui reçoit des prods de Mani Deiz. Quand je lui envoie mes maquettes, pour moi c’est mes meilleurs couplets (rires). Il y’a un morceau qu’on a gardé et retouché, J’arrive, car il y avait quelque chose avec ce titre.
En effet, J’arrive a été notamment l’un des clips sur lequel Sandra Gomes a pu travailler, en échangeant avec elle, on se rend compte à quel point ce morceau était crucial dans l’album : « Il s’agit de son texte le plus dense, c’est pour ça que je voulais qu’il y ait les sous-titres sur le clip car il faut que le public comprenne à quel point il écrit bien. Le morceau est fort d’interprétation ». Au-delà d’une plume qui lui est propre, okis qui a toujours pris le temps de parfaire ses morceaux, a fini par se faire surprendre lors de quelques jours passés avec Mani.
Mani Deïz : Je lui ai proposé de venir à la maison. Il est venu 4 jours. On a beaucoup discuté, et le mot d’ordre qui est ressorti était « élégance ». Une fois qu’on a eu la direction, on a fait 13 morceaux en 4 jours.
okis: On s’est vite trouvé par nos goûts musicaux communs et dans notre axe de travail que ça soit dans les samples ou dans ce qu’on ne voulait pas faire. On s’est mutuellement écouté dans l’approche du projet et au final, cet album, c’est un peu mon album de rêve. Je ne pensais pas être capable de produire autant de morceaux en peu de temps (rires). Le fait d’avoir fait l’album uniquement avec Mani, ça l’a rendu plus beau et ça donne ce que j’aurais pu faire de mieux musicalement pour un premier album.
Sandra Gomes : L’élégance c’est le mot de Mani (rires). C’est son obsession, c’est un mot qu’on retrouve dans tout l’album et dans toute la création du projet. C’était hyper important pour lui. Quand tu parles d’okis ce n’est pas le premier mot qui te vient à l’esprit, mais avec Mani ça change la donne. Il a un univers un peu crasseux, un peu de looser, un univers qui sent le tabac (rires). Mani vient y apporter un vrai contraste : d’un côté, un jeune rappeur qui rappe sa brutalité, de l’autre côté, la maîtrise musicale d’un ancien qui fait de la belle musique.
Est-ce que vous avez tout construit en l’espace de quatre jours ou vous êtes arrivés mutuellement avec des textes et des prods ?
okis: Je suis arrivé avec des textes. Même si je peux écrire vite, j’aime bien avoir du recul sur ce que j’écris, mais j’ai aussi gratté sur place.
Mani Deïz : Moi, j’avais 0 prod (rires). J’ai tout fait en live, on écoutait les samples que j’avais et on choisissait si on partait sur certains plus que d’autres. C’était assez incroyable à vivre, presque magique, car on n’a rien forcé, tout ce qu’on essayait, fonctionnait. Quand tu trouves un artiste qui est totalement dans le même délire que toi, ça donne envie de tenter plus de choses. Dès qu’on avait une bonne idée, on fonçait.
okis: La manière dont on a travaillé a fait qu’on ne s’est pas tellement posé les questions sur ce qu’on voulait ou pas dans le projet. On se rejoignait sur la création notamment dans le choix des samples. Entre ceux de sa MPC et les vinyles qu’un frérot qui vient malheureusement de Saint-Etienne (rires) lui envoie, on cherchait les meilleurs pour le projet. Néanmoins, il y a une notion importante de temporalité qui a été évidente pour nous. On ne voulait pas que le projet qui sort en 2023 soit marqué par un temps passé dans la musicalité et dans les textes.
Mani Deïz : Vu que j’ai une plus grande expérience, j’ai fait aussi attention de ne pas avoir une redondance dans les samples. Exemple, si on a un piano triste, il fallait éviter d’en mettre cinq autres. J’avais une vision globale sur les choix pour aiguiller vers des ambiances qu’on n’avait pas. Un des trucs dont je suis le plus fier, c’est qu’il n’y a pas deux morceaux pareil.
Après 13 morceaux en 4 jours, l’album Rêve d’un rouilleur, finit par se clôturer sur un 17 titres, très riche musicalement mais également lyricalement : « J’avais beaucoup de choses à dire car c’est un album qui retrace plusieurs années de vie, ce qui explique aussi pourquoi il est aussi long » nous raconte l’artiste lyonnais.
Sandra Gomes : Il n’y a pas de refrains chantés, s’il pouvait faire que des longs paragraphes, il ne ferait que ça (rires). C’est un projet qui se réécoute. Personnellement, cela fait un moment que je l’écoute et j’arrive encore à me faire surprendre sur des détails ou des subtilités que je n’avais pas détecté tout de suite.
Dans cette richesse d’écriture, on y retrouve son histoire, quelques références footballistiques, mais aussi quelques lexiques propres à Lyon et sa périphérie. Par exemple, le terme « banaveur » qui est le synonyme d’un « filou, une forme d’arnaqueur et de menteur. C’est un grand malin » d’après la définition d’okis.
C’était volontaire d’assumer cette patte lyonnaise dans le lexique de ton album ?
okis: Ce n’était pas l’idée de le faire volontairement, mais comme ce sont des années de vie et que ma vie c’est Lyon, c’était indissociable de mon écriture. J’aurais pu l’effacer mais si ça peut faire une belle rime, pourquoi ne pas en jouer ? (rires). Ce langage, ça fait partie aussi de ces détails qui peuvent toucher mes proches. Limite j’avais peur de trop en faire comme sur le foot d’ailleurs et d’être considéré comme le rappeur de Lyon ou le rappeur foot (rires).
Cette identité lyonnaise est présente jusqu’au titre de l’album : « Rêve d’un rouilleur ». Qu’est-ce qu’un rouilleur ? Sandra nous définit la « rouille » comme « un mélange d’ennuis et de contemplations. Un rouilleur, c’est une personne qui passe le temps sans faire grand-chose, en écumant les mêmes lieux en gardant un regard sur l’environnement qui l’entoure ».
okis : Comme c’est un album qui tourne pas mal autour de la flemme, du chômage, de la rouille, je voulais avoir un titre un peu nonchalant qui ressort ce truc-là du quotidien d’un mec qui fait rien (rires). La notion de rêve vient aussi du côté irréel d’avoir fait cet album. C’est le fruit d’années de rouilles (rires).
Sur cet album, on retrouve deux invités : Limsa d’Aulnay et Cassus Belli, pourquoi avoir fait le choix de les invités et comment ces collaborations ont eu lieu ?
okis : Casus Belli, c’était une évidence. C’est une énorme référence pour moi, c’est le rappeur lyonnais numéro 1. Je l’ai rencontré avant qu’on fasse l’album, il était super bienveillant. On voulait croiser le fer et je trouvais ça beau de le ramener sur l’album avec Mani et il a plus qu’honoré l’invitation. Pour Limsa, ça s’est fait autrement, Mani m’a demandé qui j’aimerais voir sur mon album, et je lui ai sorti une liste de 15 rappeurs (rires). On a raccourci la liste à un rappeur, et au final, on pensait tous les deux à Limsa.
Mani Deïz : Avec Limsa, on a une culture qui nous rapproche, le football marseillais (rires). Quand on réfléchissait aux collaborations, Limsa a été un des premiers auquel j’ai pensé car je trouvais que son style allait parfaitement coller avec Okis. Limsa est plus aéré avec des punchlines, là où Okis est plus dense. Ils allaient facilement se retrouver. Quand j’ai fait découvrir Okis à Limsa, il a kiffé et grand prince comme il est, il était évidemment partant pour être sur l’album.
okis : Limsa, Isha et Souffrance, c’est les trois rappeurs actuels que j’écoute le plus. Sur ce projet-là, c’était plus logique d’y voir Limsa vu que je parlais énormément de mon quotidien. Il m’a dit des mots touchants sur ma musique qui me resteront en tête.
Étant donné qu’on parle de collaborations, est-ce que vous avez des artistes avec lesquels vous aimeriez collaborer ?
okis : Le sens du featuring a changé pour moi. J’ai eu une belle discussion avec Ben plg vis à vis de ça. On est des passionnés et dans le fond on aimerait collaborer avec tous nos rappeurs préférés. Mais maintenant, je suis plus dans un mood où je rencontre la personne et ça se fait naturellement ou alors en faisant un morceau je me rends compte que je peux le proposer à untel. Pour répondre à la question, je vais dire des beatmakers. Déjà, j’ai envie de continuer avec Mani évidemment, mais j’aimerais bien travailler avec Kyo Itachi, j’adore son esthétique, ou même Hologram Lo’, son trois titres avec H JeuneCrack ou Huntrill, j’ai adoré, et sinon encore plus loin, The Alchemist.
Mani Deiz : Pour ma part, j’aimerais beaucoup refaire quelque chose avec Hartigan parce que c’est un gars qui est extrêmement fort. C’est un peu le rappeur préféré du rappeur préféré. Sinon j’aimerais beaucoup faire quelque chose avec Prince Waly.
Quels sont les objectifs et les ambitions que vous avez avec la sortie de cet album ?
okis : J’espère simplement que le public va aimer le projet. Je juge ma musique en fonction de ce que j’en pense. La sortie ne changera pas ma perception de l’album, après pour le côté ambition, je me dis que je pose la pierre de mon environnement esthétique.
Mani Deiz : Ma seule ambition, c’est que Okis trouve son public et qu’un maximum de personnes l’écoute et qu’elles se reconnaissent dans ce qu’il dit et dans sa sincérité. C’est un kiffeur comme Aketo, pas de postures, uniquement de la sincérité.
Sandra Gomes : Il n’y a pas de calculs même s’il y’a des lumières sur lui. Si je mets ma casquette de journaliste, un album produit par Mani Deiz, ça peut-être une porte d’entrée très luxueuse dans le rap français. Beaucoup de rappeurs qui sont là depuis des années auraient rêvé de faire cet album. C’est la voie royale même ça reste une branche pour les connaisseurs. Si tu aimes le rap, tu ne peux pas rester insensible à Okis.