Enfant de Boulogne-Billancourt, Tuerie a grandi dans l’ombre d’une ville aux 1001 rappeurs. D’abord des grands de son quartier, il finit par croiser certains d’entre eux mais ce n’est pas pour autant que le rap boulonnais était au cœur de sa vie : « Mon rapport avec la musique de ma ville, c’est une relation entre deux frères : un ainé et un cadet. Mes bases de rap français se sont faites à Boulogne, ça a été une influence pour moi. Seulement, je ne me cantonnais pas qu’au rap. J’aime autant le style de ma ville, sombre et dur, que j’aime mettre de la couleur dans ma musique, ce qui a pu gêner à une certaine période. C’était une influence parmi d’autres. ». En effet, l’enfant qui a toujours été « à l’aise dans les marges » comme a pu le définir Nicolas Rogès a eu la possibilité de grandir dans un climat musical riche et inspirant : « Ma base musicale fait que j’ai ce côté très éclectique et bipolaire dans mes morceaux. Avec ma mère, j’écoutais du Mickaël Jackson, du Prince, du Queen, du Stéphane Echer… ».

BOHEMIAN RHAPSODY – Queen

Est-ce que c’est compliqué de digérer musicalement toutes ses influences ?

L’important c’est de cristalliser ses influences en caressant le temps. Avoir eu beaucoup d’influences, cela permet de nourrir ses ambitions artistiques et de renforcer ses armes au studio pour après proposer le meilleur de soi. L’un des morceaux qui m’a plus marqué étant jeune, c’est Bohemian Rhapsody de Queen et c’est ce qui est venu influencer mon morceau Garçon Triste/Frederico (l’introduction de Papillon Monarque, ndlr). J’ai voulu mettre un esprit très Freddie Mercurien car je voulais raconter une histoire avec cet aspect très théâtral.

GARÇON TRISTE / FREDERICO

Son histoire aurait pu s’écrire uniquement avec le rap boulonnais mais il a fait le choix de cultiver sa différence en rappant avec le cœur et les émotions dans un vivier de rappeurs, un « vivier de tueurs ». Si Rocky Balboa avait comme atout d’avoir une sacrée patte gauche là où tous les boxeurs étaient droitiers, Tuerie Balboa qui deviendra plus simplement Tuerie, avait une approche musicale différente. Après un sillon de scènes locales avec un Live Band, un groupe éphémère avec Dinos, Beeby & Luidji (Capsule Corp, ndlr), il décide de s’effacer, préférant être un appui pour ses frères de micro. Pendant un temps, il fut accompagnateur social et éducatif de la jeunesse boulonnaise où il aide notamment certains jeunes dans le rap comme Benash, 40000Gang, Tayc ou encore Elh Kmer comme il a pu le raconter au micro de Neefa chez nos compères de CaminoTV.

Cover BLEU GOSPEL

« À un moment, il fallait que je fasse ce que je faisais de mieux : faire de la musique. À la fois pour me sauver la vie mais aussi installer une forme de stabilité à ma famille car j’allais devenir papa. Je devais aussi montrer à mon enfant qu’il peut croire en ses rêves et ne jamais abandonner. C’est comme ça qu’est né Bleu Gospel. »

Bleu Gospel, c’est le nom qu’il a donné à sa nouvelle entrée en matière dans le rap français. Un projet d’une extrême sincérité dans son écriture et d’une approche musicale nouvelle qui a su combler un certain public. « Je fais la musique du cœur. Bleu Gospel incarne les sacrifices. C’était était un pari ambitieux. Quand je le fais, je me dis que personne ne va s’intéresser à cette partie de mon histoire. Finalement en étant le plus sincère dans ma présentation cela a donné des clefs au public. Un mec qui te demande une cigarette dans la rue, s’il te dit pas bonjour, il y a peu de chance que tu lui donnes. C’est le même principe. »

TIROIR BLEU

Il est sorti chez Foufoune Palace, label de Luidji, c’était logique pour toi d’évoluer à ses côtés ?

Foufoune Palace, c’est en hommage à un morceau qui nous a sauvé d’une passe et à un moment où Luidji comptait arrêter. C’est pour ça que le label s’appelle comme ça. Tous ceux qui sont chez Foufoune Palace, on est Foufoune Palace avant Foufoune Palace. C’est des amitiés de très longue date. Le fait que je sois dans son label n’est qu’une formalité administrative, on est en famille.

Pour la sortie de ce nouveau projet, les ambitions de Tuerie étaient différentes. L’image du gendre parfait qui a souffert présente sur Bleu Gospel, devait être modifiée avec celle de l’homme aux multiples imperfections et erreurs de Papillon Monarque. Pour lui, le papillon monarque représente les nuances et l’évolution. La métamorphose personnelle. « L’énergie était différente de Bleu Gospel. Une fois que tu as raconté des choses, tu as envie d’en raconter d’autres, mais juste d’une autre manière et sur d’autres thématiques. J’avais besoin de montrer mes défauts et mes faiblesses en cassant cette image de gendre idéal. »

Cover PAPILLON MONARQUE

Cette volonté de casser l’image de Bleu Gospel vient aussi expliquer l’opposition par la couleur orange autour de ce projet. D’un côté, ce bleu qui vient faire écho à la nuit, aux pensées et tourments nocturnes ; de l’autre, ce orange crépusculaire avec cette anxiété qu’on peut avoir en se disant qu’il commence à se faire tard.

Sur la pochette de Bleu Gospel, je suis entouré. Sur celui-là, je suis presque seul, le papillon qu’on voit représente l’âme des gens qu’on a aimé et qu’on a perdu. On me voit sûr de moi avec un papillon qui vient apaiser cette posture. Fifou à la cover, c’est une valeur sûre. Fifou c’est un génie. Quand tu as une idée et que tu considères les photographes comme des artistes et non comme des bras articulés, obligatoirement que ça fonctionne. D’ailleurs les gens me tombent dessus parce qu’il y a le Parental Advisory (rires). C’est un faux débat. Pour moi, c’est hyper important et symbolique d’une époque du rap que j’aime. Têtu comme je suis, je risque de le remettre sur le prochain (rires).

Artistiquement, lorsqu’un auditeur se plonge dans un projet de Tuerie, il ne peut qu’être surpris par la musicalité proposée par l’artiste. Entre de multiples instruments, influences musicales et des changements de prods, Tuerie sait varier les plaisirs : « Je déteste m’imaginer que des gens puissent s’ennuyer. Les gens dépensent leur temps pour nous écouter, donc on se doit de les divertir et ouvrir une fenêtre pour les sortir de leur métro-boulot-dodo quotidien. Notre mission c’est de réanimer les cœurs. Je ne me vois pas mettre les gens dans l’ennui d’où ces changements d’ambiance et de rythme. ».

Ce qui explique également le fait de réaliser des projets courts ?

En général quand tu passes devant un resto qui fait des pizzas, des burgers et d’autres choses, tu sais que si tu y manges, tu vas avoir mal au ventre. Si les projets sont aussi concis, il faut que ça soit digeste. Comme dans mes projets, il y a beaucoup d’informations, je ne veux pas brusquer les gens. Après on pourra proposer plus. Comme tout artiste, je rêve de sortir un album. À un moment, je m’étais résigné à ne sortir que des petits projets suite à l’évolution de la musique, mais plus le temps passe et plus ça me taquine alors je vais me donner les moyens d’en faire au moins un. Dans tous les cas, je ferai la musique que j’ai envie de faire en fonction de mes émotions du moment avec pour objectif de faire toujours mieux. Je me refuse de faire un projet de qualité moindre ou égale au précédent. Toujours guidé par le cœur et les émotions, au point de ne pas écrire ses textes et de directement poser en cabine, la spontanéité sera toujours le moteur de Tuerie pour la suite. S’il travaille d’un côté sur la DA et l’écriture de projets d’autres artistes comme Ocevne, avec son compère de toujours Kedyi, de l’autre, il ambitionne certains rêves artistiques comme de réaliser un morceau voir plusieurs avec un orchestre philarmonique. En attendant, savourons le nectar que sont Bleu Gospel et Papillon Monarque.