Aussi fort de caractère que l’odeur d’un café serré, un ristretto, dans lequel on aurait refusé d’y ajouter un sucre pour y adoucir son amertume, B.B. Jacques a forgé son art pour être aussi précis et concis que cette comparaison. Examinons quelques plumes de l’oiseau noir après un envol bien plus que réussi. 

« Quant à la tendance, j’refuse d’la suivre. Ça prendra l’temps qu’ça prendra pour qu’ils captent » (ÉCLAIR BRUT)

B.B. Jacques c’est un artiste au style particulier. Loin de ce qui se vend le plus dans le milieu du rap, on retrouve chez lui une prose singulière où la rime s’efface au profit d’une interprétation puissante, ainsi il offre une proposition musicale basée sur les émotions plutôt que sur ses rimes. Le tout sublimé par une volonté d’avoir des prods avec du corps, des détails et des instruments afin de rendre plus poétique sa proposition artistique.

NDSM & INTERIEUR SCANDINAVE

Tino qui noie ses pensées dans un verre de Sky, B.B. Jacques qui se déploie sur les instrumentales, l’un vit, l’autre écrit, l’un vide la bouteille, l’autre en récolte l’essence. Même si le Jacques n’est pas Zola, il en garde pour le moins son descriptif. Un choix artistique temporel pour des projets qui resteront intemporels pour son public. Il capture des moments de vie dans ses détails, ses pensées les plus sombres, ses ambitions les plus folles et ses émotions les plus puissantes au profit de sa plume. Il garde néanmoins ce côté très crépusculaire qui s’allie à son esthétique musicale. Crépusculaire, car il laisse planer une lueur d’espoir.

« J’ai tellement mis de moi-même qu’ils ont crû qu’j’étais ivre » (BLUE BIRD)

On parlait d’une volonté de réaliser une interprétation puissante afin de retransmettre ses émotions, c’est ce qu’il fait en cabine. Même s’il n’écrit pas forcément tout d’une traite, il vit ses textes en studio au point d’enregistrer, en une prise, chacun de ses couplets pour éviter d’être linéaire et perdre en sincérité dans son interprétation.

QUELQUES PROSES…

Même si c’est toujours très discutable de comparer des rappeurs à des poètes, ils en écrivent pas moins quelques phrases qui auraient pu se retrouver dans des poésies, et puis rappelons-le, « RAP » est l’acronyme de « Rhythm and Poetry ». Plongeons donc ensemble dans quelques punchlines poétiques de B.B. Jacques.

« J’ai toujours volé différemment des autres oiseaux. Écris avec en tête la vue sur l’ciel qui croise la mer sous prétexte d’horizon. » (Booska Fuck Off)

Si l’on prend la phrase brute, on note dans la première partie, une volonté de se détacher de la norme, dans sa façon d’exploiter son art. Ensuite, on se retrouve avec cette image de l’artiste face à la mer curieux de ce que l’horizon cache et contemplant la nature, mais également cette image de l’artiste qui a envie d’aller le plus loin dans son art, et que même si l’horizon marque une démarcation, elle reste néanmoins infinie. B.B. Jacques exprime ainsi sa volonté de toujours chercher à aller plus loin dans sa démarche artistique. La phrase sonne aussi comme un écho à la cover de son album NBOW pour New Blues, Old Win, sur laquelle il se retrouve en costume dans l’eau se dirigeant vers l’horizon.

Cette mer croisant le ciel formant ainsi l’horizon, est une référence biblique. Présent dans le Livre de la Genèse, cette notion d’horizon fait écho au firmament, espace céleste séparant les eaux supérieures, le Ciel, et les eaux inférieures, la Mer, où Dieu les sépare, formant ainsi l’horizon.

BOOSKA FUCK OFF

« La solitude c’est quand tu peux bouffer ce que tu veux mais que personne peut t’aider si t’avales de travers. » (Boom Boom)

Simple et efficace. On y voit deux visions : celle de l’homme et de la liberté, et celle de l’importance du travail en équipe. Le concept de solitude et de liberté vont parfois de paires. Être seul, c’est être libre de « faire ce qu’on veut », même si dans notre société, nous régissons sous des lois qui délimitent les libertés individuelles au détriment d’une liberté collective. Seulement en voulant être seul et n’être dépendant que de soi, s’il l’on s’étouffe en mangeant, personne ne nous aidera. Cette image s’applique à son côté artistique, s’il réalise un morceau mauvais et qu’il ne s’en rend pas compte, si son équipe n’est pas là pour lui dire et l’aider à lui faire comprendre, il n’avancera pas et proposera une erreur artistique.

BOOM BOOM

« Exister c’est vivre l’aventure de la liberté. Quand on naît, on s’incarcère. » (En écoutant du Brahms)

« L’homme est condamné à être libre. », voilà ce que disait Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe français, dans « L’Être et le Néant » en 1943. Cette opposition entre la liberté et l’incarcération chez B.B. Jacques peut renvoyer à plusieurs explications. Tout d’abord, l’explication sartrienne, où l’homme ne se créé par lui-même donc il n’a pas d’autres choix que de vivre l’aventure de la vie et d’y trouver ses libertés. Ensuite, la notion d’incarcération vient rappeler que la liberté individuelle est bridée dans notre société au profit d’une liberté collective. Enfin la notion d’aventure de liberté, vient rappeler qu’on régit néanmoins sous nos propres actes et qu’au final c’est à nous de fixer l’incarcération de notre liberté et de se contenter à ce que l’on se permet de faire.

« L’écriture, c’est l’âme qui éclate en silence. » (Enfin seul)

Dans une démarche artistique, on met une partie de soi au service d’une œuvre, souvent pour exprimer ce qu’on peut ressentir intérieurement. Dans le cas d’une d’œuvre littéraire, que cela soit pour un écrivain, pour un poète ou pour un rappeur comme B.B Jacques, la plume est au service du « je ». Une forme de libération de ce qu’on peut avoir au fond de soi : souvent des émotions fortes comme la peine, la rage ou l’amour. Si l’écriture, c’est l’âme qui éclate en silence, l’encre est le résidus de cet âme qui manuscritement laisse un peu de son essence au profit d’un art.

« Parfois demain, paraît plus loin qu’hier. » (Dystopia)

Orelsan disait qu’ « Hier et demain sont la même journée, la boucle est bouclée » dans J’essaye, j’essaye, B.B Jacques lui n’arrive même à imaginer un avenir tellement il vit dans le passé. Cette phrase dans Dystopia vient faire écho à celle d’Orelsan, car même en vivant à travers son passé, le temps ne s’arrête pas, alors demain finit par être comme hier, tandis que le véritable « demain », celui qu’on souhaite avoir lorsqu’on finit par ne plus vivre à dans le passé, semble loin.

« J’reconnais l’bonheur au bruit qu’il fait quand il s’échappe. » (Fuck off)

Le bonheur est inconsciemment au cœur des quêtes humaines. Seulement parfois, on réalise des sacrifices pour en ressentir l’odeur de son essence comme l’expliquait Chopin : « L’homme n’est jamais toujours heureux et très souvent, il ne lui est accordé qu’une brève période de bonheur dans ce monde, alors pourquoi échapper à ce rêve qui ne peut durer longtemps ? ». B.B Jacques vient une nouvelle fois faire preuve d’une négative sagesse. On se rend souvent compte trop tard qu’on vient de vivre un moment de bonheur, et après coup, on se dit qu’on aurait dû profiter et mieux savourer, ou alors on y repense nostalgiquement. La notion de « s’échapper » vient également faire écho à l’idée de « courir après » comme le lapin dans Alice, une volonté de le toucher une nouvelle fois du doigt. 

« La vision d’un homme ne s’élève pas avec les ailes d’un autre. » (Piano bleu)

Beaucoup de personnes ont des ambitions professionnelles notamment dans le cas de création d’entreprise ou de développement de projets, artistiques ou non. Seulement peu d’entre eux se lancent dans l’aventure pour des raisons qui peuvent varier : économiques, temps, envie absolue, peur… Ici B.B. Jacques tient à rappeler que si tu tiens fortement à ton idée, à ta vision, tu dois la tenter pour voler de tes propres ailes et ne pas attendre qu’un autre le fasse à ta place ou te tende la main. Qui ne tente rien, n’a rien et vivra avec des regrets.

DONJON / 2H22

« J’écoutais l’océan, tout c’que j’entendais, c’était toi. » (Alex Adler)

Toujours avec son amour pour l’océan, B.B. Jacques alterne entre le calme qu’on peut y ressentir lors d’un faible coefficient et la tempête lors de grandes marées. Dans Alex Adler, l’artiste s’amuse à faire référence à la maxime : « avoir des vagues à l’âme ». On définit cette expression comme étant le mal-être des romantiques, une forme de mélancolie amoureuse dans le cas de B.B. Jacques. L’absence fait mal et sa mélancolie s’échoue au fond de lui comme les vagues de l’océan sur la plage de Zandvoort au Pays-Bas.

« J’voulais m’noyer dans ses yeux, on s’est perdus dans l’regard des autres. » (Zandvoort Palace avec Sofiane Pamart)

Encore chez Jean-Paul Sartre dans l’Être et le Néant, on retrouve cette notion d’existence à travers le regard des autres : « Nous ne sommes, nous, qu’aux yeux des autres et c’est à partir du regard des autres que nous nous assumons comme nous-mêmes. ». Seulement, à trop vivre à travers le regard des autres on finit par ne plus être nous-mêmes car on cherche continuellement à plaire aux gens. L’amour se transmet par un simple regard, mais avec le temps, si le couple vit pour le regard des autres afin de convenir à un idéal, il oublie l’importance du naturel et perd ainsi le charme passionnel et naturel qu’on peut se transmettre au départ. La nature de la relation s’efface et entraîne souvent sa perte.

« On est lâches, on voulait être quelqu’un, on n’avait pas l’courage d’être personne. » (Zandvoort Palace avec Sofiane Pamart)

Devenir une célébrité peut être attirant, souvent par un besoin de reconnaissance. Prouver aux autres qu’on réussit professionnellement, prouver qu’on est quelqu’un, vient souvent aussi par un besoin de reconnaissance et un regain de fierté. Seulement, beaucoup de personnes ne sont pas attirés, ni par l’un, ni par l’autre, et se contente des plaisirs de la vie et des choses simples. B.B. Jacques parle d’être quelqu’un et non d’être personne, il dévoile une volonté de réussir dans une voie qui est complexe et une obsession à l’idée de prouver aux autres et à soi-même qu’il peut le faire. Pour autant, il exprime indirectement aussi qu’il manque de sagesse à vouloir obtenir une reconnaissance des autres, à défaut de savoir accepter de vivre simplement en se suffisant à soi-même.

Pour terminer, nous rappelons que tout ce que vous venez de lire n’est que le fruit de notre interprétation, il est fort possible que l’artiste n’ait jamais voulu exprimer tout ceci à travers ses vers. Tout n’est pas forcément sujet à de l’interprétation, ça reste de la musique et une proposition artistique, et puis comme il le dit si bien dans Boom Boom : « fuck la poésie en fait j’suis comme tout le monde j’ai juste envie de lâcher des « baise ta mère » ».