Après trois albums : Imany, Taciturne et Stamina, Memento ; Dinos dévoile en ce début 2022 une trilogie d’EP. Si le public attendait un nouvel album, le rappeur qui a grandit à La Courneuve a décidé de le faire patienter quelques saisons de plus avant que « Winter is coming ». 

SORTIR UN EP

Quels intérêts ont les rappeurs à sortir des EP à l’ère du streaming où le format du projet ne soucis guère le public ? Il y a deux raisons. La première c’est pour tester quelque chose et se faire plaisir avec un petit format moins structuré et proposer une nouvelle vibe au public, par exemple Hamza qui fait 140BPM, un EP 3 titres 100% drill. La seconde raison est de faire patienter. Dans le cas de Dinos, c’est totalement ce choix. Après avoir annoncé du « Dinos pour l’hiver », le rappeur se devait de proposer quelque chose, seulement au lieu d’envoyer un seul petit EP avant l’album, il a finalement décidé de reporter ce dernier au prochain hiver et d’envoyer 3 EP de très bonnes factures. 

LA TRILOGIE D’HORLOGERIE 

3×3 titres équivalent au final à maxi EP 9 titres avec un choix de noms loin d’être anodin. En effet, AQUANAUTE, NAUTILUS et SEADWELLER correspondent tous à des noms de collections de montres de luxe. 

Aquanaut est une collection de Philippe Patek, lancée en 1997. Elle fait écho au mot « Aquanaute » qui est une personne qui grâce à un appareillage peut effectuer des plongées sous-marine. Toujours dans cet esprit de fonds marins, on retrouve Nautilus, également une collection de Philippe Patek de 1976, mais faisant référence au nom du sous-marin de fiction de Jules Vernes dans  son roman Vingt Mille Lieues sous les mers de 1869.  Enfin, on retrouve une collection de Rolex lancée en 1967 : Sea-Dweller. En traduction « habitant de la mer », elles avaient été conçues pour résister aux différentes plongées des élites et aux expériences de vie réalisées dans les fonds marins par ces derniers. 

Dinos a toujours eu un lien avec le temps dans ses textes. L’artiste s’amuse avec les montres et les convoitent, notamment la Rolex qu’il a eu 3 ans en avance par rapport à son objectif initial de 30 ans (Booska Stamina,). Même s’il « rêve de recoudre le temps perdu avec les aiguilles d’une Rolex » dans Dieu est une femme, dans On meurt bientôt, il rappelle néanmoins que « toutes les montres donnent la même heure », mais garde ce plaisir coupable des montres de luxe. Tout au long de ses textes, Dinos évoque cette passion pour les montres de luxe tout en évacuant sa pression vis à vis du temps qui passe. Dans cette trilogie d’horlogerie, on ne dénote pas à la règle : le temps passe et lui, sombre dans ses songes à chaque nouvel opus. 

BLOQUÉ DANS LES ABÎMES DU TEMPS 

Les trois volumes nous présentent véritablement quelques bribes de la salle du temps dans laquelle se retrouve Dinos pendant la confection de son album L’Hiver à Paris. On pourrait les scinder ainsi : Aquanaute, la colère contre les autres et contre lui-même ; Nautilus, l’instabilité de sa vie et ses doutes ; et SeaDweller, la remise en question. 

Tout au long de ces EP, qui vient faire écho aux choix des titres, on retrouve la notion de la temporalité : passé, présent et futur. Dinos va en effet faire une rétrospective de sa carrière et en effectuer des constats, il va également faire des constats de sa vie actuelle et va évoquer ses doutes concernant son avenir. 

« J’broie du noir comme la police, pourtant, j’suis un N.W.A » – Équilibre 

L’un des premiers thèmes de son triple EP, c’est son parcours. L’un des morceaux qui cultive ce sujet, c’est Deïdo qui fait référence à un quartier de Douala au Cameroun (pays dont Dinos est originaire, ndlr). Dans ce morceau, le rappeur revient sur des dates importantes de sa vie, des marqueurs temporels de changements : 2008 quand il commence à rapper, les attentats du Bataclan en 2015 où il s’est dit qu’il ne pouvait pas « quitter cette Terre sans rendre fière la daronne » ou encore son annulation d’Olympia en 2020 à cause de la crise sanitaire, alors que c’était le rêve d’enfant de le remplir. L’autre morceau qui est très rétrospectif, c’est la masterclass qu’est Enfant du Destin. Il revient dans le morceau sur ses choix artistiques et la réaction de son public face à ces derniers. Dinos dévoile cette volonté de réaliser l’album de sa vie, seulement il se rend compte que même s’il sortait son meilleur album, son public n’arriverait pas à être unanime. Entre ceux qui trouvent qu’il rappait mieux dans Imany, notamment car il écrivait ses textes au lieu de les poser directement en cabine, et les fans de l’album Taciturne qui lui en veulent d’avoir sorti l’album Stamina,. Ces phases marquent vraiment sa volonté de réaliser un art qui plaît, car même si Stamina, n’a pas su faire l’unanimité, les chiffres avaient pourtant répondu énormément présents, mais ça ne semble pas l’importer plus que ça, il a envie de sortir un classique à l’instar de ceux qui l’ont inspiré.  

Dinos par 73shot

Une panoplie d’artistes l’ont inspiré et dans ce triple EP, Dinos ne manque pas de drop des noms. On retrouve parmi eux Wallen, Fela Kuti Tupac, Kool Shen, 2Chainz, la plume d’Akhenaton ou encore la reprise du refrain de « Many Men » de 50cent dans Moins d’ego avec Josman. Dinos nous parle aussi de Joke, maintenant Ateyaba, qui était inspirant et qu’il faisait ses premières parties. Mais l’incroyable référence revient à la présence d’Ali sur le morceau Équilibre. Un rêve pour l’artiste qui a grandit avec Lunatic.On retrouve également des extraits audios de Mac Tyer et Salif dans Hamsterdam, d’ailleurs ce dernier est un extrait où Salif parle des rappeurs et explique que « Le rap est un grand marchand de sable ». 

En parlant du milieu, El Pichichi aka Dinos, ne manque pas tirer sur le comportement des rappeurs dans Hamsterdam. Entre leurs côtés bling bling, leurs mensonges constants sur des pseudo vies qu’ils n’ont pas, le fait qu’il soit facilement influençable par des femmes ou par des chiffres, mais également leur égo : « C’est *** qui m’a invité en feat mais j’veux pas l’faire donc faut qu’j’trouve une disquette sans l’vexer car ces renois sont complexés ». Par ailleurs, Dinos lâche une phase nostalgique mais évolutive des rappeurs et de la consommation par rapport à avant : « Troisième couplet comme en 2009 » dans Deïdo. Cette référence puriste explique que les refrains sont devenus plus importants et que les morceaux se sont raccourcis car ils génèrent plus d’argent ainsi. Elle vient faire écho à sa phase dans On meurt bientôt : « j’suis arrivé dans l’rap avant la mort du troisième couplet ».

« J’écoute que Wallen, coincé dans la peau d’un rappeur, j’ai l’impression d’être un sosie d’moi-même » – SP98

Après un parcours compliqué et une réelle explosion avec l’album Taciturne, Dinos se retrouve face à son succès et dégage un mal-être, une déception. La vie de star ne le fait plus rêver (Enfant du siècle) comme il en rêvait il y a dix ans. Il oppose ses rêves d’ados à ses ambitions finales, et se rend compte qu’il ne rêvait pas de sa vie de vedette, de connaître la fame, mais il voulait seulement rencontrer le succès artistique, que sa musique soit reconnue à sa juste valeur. Cette fame l’étouffe, elle le rend paranoïaque, il a la sensation qu’on l’entend de partout et qu’on le reconnaît partout. Même parfois, ce succès semble lui monter à la tête, au point de rêver de son extrême opposé : « La solitude me rendra simple, l’anonymat me rendra humble » (Hamsterdam). 

« J’suis devenu comme ceux qu’j’critiquais » – Hamsterdam

Tout au long des EP, et en particulier dans SeaDweller, Dinos se remet en question et dégage ainsi une souffrance intérieure : « Photo d’groupe, on rigole tous mais parmi nous, y a quelqu’un qui souffre » (Deïdo). L’artiste se renferme sur lui-même en ne se demandant même plus dans le morceau Harlem avec Guy2bezbar s’il est une bonne personne. Cette réflexion fait écho à ses morceaux Quelqu’un de bien et Quelqu’un de mieux présents sur d’anciens projets. Si Quelqu’un de mieux venait conclure ses pensées en disant qu’il évoluait en mieux en sachant qu’il ne sera pas forcément quelqu’un de bien, désormais il constate que cette réflexion est arrivée trop tard dans Deïdo et qu’il aurait dû changer avant. Il compare ainsi ce combat à être une meilleure personne à celui de soigner une tumeur avec un Efferalgan. Rien ne semble l’aider, même le Prozac, avec ses « souvenirs, problèmes, insomnies », il conclut qu’il n’aime pas la personne qu’il devient et que s’il n’était pas Dinos, il ne s’écouterait pas (SP98).

« Ça m’demande si ça va, j’réponds qu’j’suis en vie » – Amaru 

Toute cette obscurité qui se dégage de lui, révèle en réalité toute son instabilité. Si dans son premier EP, il se demande ce qu’il a, c’est aux côtés d’Ali que la sagesse et les réflexions spirituelles vont opérer. Si on rêve tous d’Harmonie sans Chaos, parfois l’un ne peut vivre sans l’autre, alors il faut trouver l’Équilibre. Dinos se retrouve avec Ali, l’homme qui représente le mieux la sagesse dans le rap français, pour trouver un équilibre dans son instabilité émotionnelle. La voix d’Ali vient apporter un apaisement musical aux textes reflétant les maux du Pichichi. Cette voix est sublimée par des paroles qui semblent pures : « Plus tu aimes, plus tu vis, plus tu vibres ». On notera l’incroyable puissance du texte lorsqu’Ali prononce : « Keita Ibrahim, j’ai revu Brams dans un rêve extatique ». Brams était l’un de ses confrères, membre de Makela Morte, qui a malheureusement décidé de se donner la mort en 2011. La puissance des mots face à la nuisance des maux. 

Dinos par 73shot

« Viens dans ma tête : beaucoup d’questions sans réponses » – Enfant du siècle 

Face à tous ses maux, Dinos trouve un échappatoire dans la solitude mais il se rend compte au final qu’il tourne en rond dans sa vie : « j’sais même plus pourquoi j’rappe, j’ai l’impression qu’j’ai déjà tout dit » (SP98) ou encore « Derrière les strass et les paillettes, mon courage est déguisé. J’parle toujours des mêmes choses comme le journal télévisé » (Équilibre). Ce constat de solitude et de se retrouver face à lui-même ne lui semble pas familier. Au contraire, il se rend compte qu’il pense d’abord aux autres au point qu’il s’en oublie lui-même comme il dit dans Enfant du siècle ou SP98 : « J’suis instable, j’suis l’reflet d’mon époque, j’suis la solution aux problèmes de mes proches ». 

« L’amour devenu haine, la haine devenue peine » – Équilibre 

L’un des schémas de sa solitude et de son mal-être, c’est ses relations avec les femmes et en particulier, une. Le monde autour de lui ne semble qu’être déséquilibré, il ne semble pas y échapper en amour. Plusieurs souffrances émanent de l’artiste : la souffrance de faire pleurer l’autre, la souffrance de voir ses proches évoluer dans leurs relations avec des mariages et des enfants alors que lui regarde des storys et surtout la souffrance causée par le manque : « Ce soir, j’regarde ton numéro comme si c’était les chiffres du loto » (Amaru). Le choix du titre Amaru fait référence au morceau Do for love dans lequel Tupac raconte qu’il était enfermé dans une histoire d’amour idéal mais qu’en réalité il était dans une prison de problèmes. Tout au long de cette trilogie, Dinos dépeint ce même amour où l’eau fraîche a fini par se transformer en eau calcaire, bien qu’il y pense encore : « Parfois, j’en rêve encore car je t’aime encore. Il faudrait un centre de désintoxe pour le love » (Prozac). L’artiste est profondément déçu et touché, au point de ne plus vouloir de l’amour et qu’il préfère sa liberté comme celle qu’il a en indépendant dans la musique avec uniquement un contrat de distribution : « J’suis pas fait pour être en couple, j’suis fait pour être en distrib' » (Amaru). Malgré une vision devenue obscure, il garde une lueur d’espoir d’être un jour père, et de reproduire le schéma d’amour et de soutien qu’il a avec sa mère. Dinos parle beaucoup d’elle dans les projets. Il fait d’elle un pilier essentiel à sa vie même quand tout va mal : « J’ai juste besoin d’toi à côté de moi » dans Hamsterdam ou encore dans Enfant du siècle : « Personne me comprend mieux que ma chère maman ».

Dinos – Booska Stamina,

Dans son album Stamina,, Dinos parlait énormément de sa relation avec la religion et en particulier avec Dieu directement. Dans ce triple EP, un peu moins, néanmoins quelques phases se glissent. D’abord, il parle de sa foi comme une valeur avec une peur de Dieu, là où d’autres ont peur de perdre des followers (SP98). Ensuite, il en parle via les actions qu’il réalise, sa générosité financière pour les autres dans Équilibre : « Seigneur, sauve moi-même, j’ai mis tout l’monde à l’abri sauf moi-même ». 

Quand on met tout le monde à l’abris, on parle forcément d’argent ou du moins de l’aide réalisée avec ce dernier. Aquanaute, Nautilus et Seadweller recueillent quelques phases liées à l’argent en général. Il se rappelle notamment dans Deïdo qu’il manquait d’argent mais qu’au final plus il en a moins il en dépense dans Enfant du siècle mais que ça ne l’empêche pas de vouloir en faire : « Pour la énième fois d’ma vie, j’pense à faire d’l’argent » (Deïdo) car dans une société qui nous fait payer nos cercueils, on n’a pas le choix que de partir à la conquête financière. 

« Une année m’paraît trop courte, seize mesures m’paraissent trop longues » – Enfant du siècle

Une conquête qui prend du temps, sauf que Dinos n’en a plus. Le temps est le fil rouge de cette trilogie : il en perd, il en recherche, il l’angoisse. Si les montres, éponymes au projet, lui indiquent le temps qui passe, lui passe son temps à éviter d’en perdre : « J’ai perdu du temps, j’ai perdu du sang » (Hamsterdam). Le temps semble être un ennemi pour Dinos, il l’empêche de partir avec celle qu’il aime dans Deïdo ou encore il l’angoisse car « l’heure tourne » dans Équilibre. Il pense notamment à l’après, une fois que le sablier s’est écoulé. Il prend des risques comme s’il pouvait mourir deux fois dans Amaru, mais au final il se demande ce qu’il laissera dans le temps des autres, le jour où son sablier sera écoulé suite à son constat : « Quand tu meurs, on t’enterre et quelque temps après, on t’oublie » (SP98).
Pour conclure, avec cette trilogie d’horlogerie, Dinos nous offre quelques esquisses de son passage dans la salle du temps où haine, instabilité et tristesse sont présents. Même si tout n’est pas parfait au sein de ces 9 titres, ils ont le mérite de faire patienter et de mieux cerner les états d’esprit par lesquels passe l’artiste et ceux qu’on retrouvera sûrement dans son prochain album : L’Hiver à Paris.