Rares sont les artistes qui réussissent à passer les décennies. Cette traversée
générationnelle et musicale ne se fait jamais sans peines et sans sacrifices. Zesau, membre
du célèbre groupe Dicidens, a dû faire face à la dureté de la vie et aux obstacles auxquels il fut confronté. Vingt ans plus tard, il est toujours là, décidé à continuer ce qu’il a toujours
aimé faire.
L’ENFANCE
Lorsque Zesau rappe, même si la sensibilité reste propre à chacun, les auditeurs ne peuvent faire l’impasse sur le vécu qui émane de son âme artistique. Entre une voix aussi sombre que grave, un flow piquant de tueur et des rimes qui transpirent le vécu : « J’ai eu une enfance assez compliquée, j’ai vu la musique comme une sorte d’échappatoire ». Certains aimaient jouer au football, d’autres se complaisaient dans le système scolaire, pendant que le jeune Zesau, alors âgé de 11-12 ans, écrivait ses premières rimes : « Le rap c’était le truc où je brillais le plus. Je voulais montrer que je savais faire quelque chose. J’étais nul au foot, l’école n’était pas faite pour moi, j’étais dans mon coin, alors je me suis tourné vers la musique ».
Le parcours sinueux de Zesau finit un jour par croiser les chemins de Koryaz et de Nessbeal. L’artiste était loin d’imaginer la suite : « À cette époque, j’étais au foyer de l’enfance et je me suis retrouvé à Villiers-sur-Marne. C’est là-bas que j’ai recroisé Koryaz que j’avais déjà connu quelques années auparavant dans un autre foyer. Il n’y a pas de hasard dans la vie. Koryaz connaissait des personnes de la ville qui montaient un label et qui cherchaient des rappeurs. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Nessbeal ». Les trois artistes passionnés de rap et séduits par l’idée de performer cet art, finissent par former un trio qui s’appelait dans un premier temps : Sixième Sens. Zesau nous raconte qu’à ce moment-là il existait déjà des groupes sous des noms quasi-similaires, alors ils ont voulu changer pour se démarquer : « Les autres m’ont proposé « Dicidens ». Je ne connaissais pas, alors j’ai regardé la définition dans le dictionnaire. Au début, ça ne me parlait pas trop mais derrière ce mot, cela représentait le fait qu’on soit en marge d’un mouvement, et qu’on faisait notre musique à notre sauce. Alors comme ça nous collait bien, on est devenu Dicidens, et ce, jusqu’à aujourd’hui ».
DICIDENS, LE REGARD DE ZESAU
La carrière alors lancée, les trois membres de Dicidens enchaînent les freestyles et les morceaux. Pour Zesau, cette époque ne lui rappelle que de bons souvenirs : « Quand je rappais, j’avais le sourire. Je faisais des freestyles où j’étais mort de rire notamment car je savais que j’avais fait une monstrueuse performance. L’époque de Dicidens, ce ne sont que des souvenirs de compétitions positives et d’arrachages de micro qui me reviennent ».
En parlant de souvenirs positifs d’arrachages de micro, l’un des rares featurings de Lunatic, c’est avec vous, Dicidens, comment ce morceau s’est conçu ?
« Nos producteurs étaient affiliés avec les équipes de Time Bomb, 45 Scientific, et on s’est rapproché musicalement. Booba aimait bien ce que faisait Nessbeal, qui était aussi de Boulogne, et il a ensuite aimé ce qu’on faisait. Il écoutait nos morceaux comme il le disait dans son titre (Sans ratures, ndlr), nos maquettes et les trucs qu’on ne sortait pas. Pour le morceau avec Lunatic, à la base, je n’aimais pas l’instrumental. J’ai posé parce que tout le groupe posait dessus. Mais regarde aujourd’hui il a traversé le temps, 16 Mesures m’en parle et c’est un truc de ouf. »
La particularité de Dicidens, à l’instar de Lunatic, est de n’avoir sorti qu’un seulalbum. Intitulé HLM Rezidants, il a la particularité de ne pas avoir été conçu au départ comme un album mais comme un projet rempli de morceaux réalisés à l’instinct. Zesau nous révèle que le groupe n’a jamais été contre l’idée de faire un deuxième album mais c’était sans compter les complications : « Après l’album, il y a eu des histoires de paperasses et d’arnaques donc ça nous a cassé notre amour pour la musique. Nous nous sommes rendus compte que cela ne relevait plus de la musique mais du business. Après nous n’aurions jamais pu refaire un album comme celui-là car la réussite du premier nous aurait peut-être changé notre mental à vouloir être dans le calcul. C’est peut-être un mal pour un bien que notre parcours ait été plus compliqué que d’autres. »
« La plupart des rappeurs qui ont un nom aujourd’hui, c’est ceux qui ont une vraie base rap et qui le connaisse »
Néanmoins, le groupe a véritablement laissé une trace indélébile dans le cœur du rap français. Encore aujourd’hui, on retrouve des références à Dicidens dans les textes de nombreux rappeurs : Nekfeu, Niro, Panama Bende, Sopico… Que cela soit pour leur groupe ou pour d’autres, nous rejoignons totalement l’artiste sur l’idée de passage de flambeaux. Il est important pour les artistes de citer leurs pères afin d’inculquer à leurs publics une histoire, un savoir et l’humilité par cette reconnaissance.
« Il y a eu des clones de Booba, des clones de Mister You, des clones de Ninho, maintenant il y a des clones de Koba LaD. À chaque fois, les générations se sont inspirées des anciennes mais ça n’empêche pas de connaître l’histoire du rap afin d’en faire une base solide »
FAIRE CAVALIER SEUL
Zesau pour Keyser Söze, personnage principal du film Usual Suspect, finit alors par s’orienter vers une carrière solo et enchaîner les projets jusqu’en 2015 : « Mon premier projet solo devait être Frères d’armes (2011) car je voulais raconter l’histoire de ma ville. Mais comme c’était un projet important, je l’ai retardé, et j’ai fait ma mixtape Bad-Muzik (2008) pour préparer l’album. C’était aussi une bonne manière pour moi de lancer ma structure d’autoproduction (Bad-Game Musik, ndlr) ». Par la suite, l’artiste dévoile Dirty Zoo en 2012 et Deuxmillezoo en 2015. Et malgré un travail acharné, tout a un cycle et Zesau finit par faire une véritable pause dans sa carrière : « De 2008 à 2015, j’étais plutôt actif. J’ai fait vivre ma musique avec mes potes. C’est un rythme à tenir. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre de vider mes poches et de me prendre la tête pour qu’au final ça n’aille pas aussi loin que je le souhaitais. Je me battais pour faire vivre ma musique. J’ai fini par être lassé du milieu du rap, je voulais avoir une vie normale et m’occuper de mes enfants. Alors j’ai passé un an a essayé de faire autre chose et finalement je me suis dit qu’il fallait que je fasse mon dernier album pour partir en beauté ».
Comme toute addiction, ce n’est jamais compliqué d’y replonger. Zesau finit par reprendre l’écriture et la musique malgré son envie de tout arrêter. Si au départ l’album devait s’appeler « Fin du game », il finira sous le nom de DEL dans le nouveau label Ambition music de Niro : « Au départ j’ai contacté Niro pour qu’il travaille avec moi sur l’album et au même moment il montait son label, alors on l’a sorti chez lui et ça a donné DEL ».
L’EVOLUTION DU MILIEU
Que cela soit Niro, Rim’k, Freeze Corleone, Stavo, Zesau a collaboré avec énormément d’artistes. Déjà, au départ de sa carrière solo, il nous a confié qu’il était important pour lui d’entrer dans le « feat-ball », soit le game du featuring, afin de faire parler sa musique et de se réinventer après Dicidens. Mais aujourd’hui, la donne est différente et l’état d’esprit n’est plus le même : « On ne peut plus se permettre de rêver de featurings car ils sont dans les calculs. Même si dans le fond ils te respectent, ils vont te faire passer pour un mec rincé car tes chiffres ne sont pas dans leurs attentes. On a essayé, mais désormais on les laisse se starifier et on reste avec des mecs qui respectent la culture. Ils ont peut-être eu un certain vécu et ils pourraient le retranscrire et inculquer des vraies valeurs, mais au lieu de ça, ils deviennent des aristocrates. J’ai connu beaucoup de personnes qui ont eu de l’argent dans leurs vies et ça ne m’a jamais fait tourner de l’œil pour autant ».
La musique est en constante évolution, le rap continue de se développer et de se diversifier. Depuis 2015, le rap a connu une telle explosion qu’aujourd’hui il se mélange à différent style, et permet à tous les auditeurs d’y trouver leurs plaisirs. Même si le rap était sous la laisse du mainstream et des radios, l’arrivée des plateformes a permis à des artistes underground de s’installer à côté de hits de radios : « Parfois je parle avec des gens qui croient que la musique ce n’est que ce qu’ils entendent à la chicha ou à la radio. Ils ne savent pas qu’il y a tout ça qui existe. Cette mentalité hip-hop de kickeur a été remise en avant avec Freeze Corleone, Alpha Wann et Nekfeu un peu avant, ce qui la rend accessible pour des jeunes consommateurs. C’est une très bonne chose pour la musique ». Bien que chacun est libre d’aimer la musique qu’il souhaite, la véritable amélioration c’est que la recherche du hit s’estompe au profit de la créativité artistique.
COUP CLASSIQUE
En revenant avec DEL en 2020, Zesau comptait remettre son expérience et les métamorphoses de la musique qu’il affecte tant au service de sa plume. Loin d’être un artiste fermé aux évolutions de son art, Zesau prend ce qu’il y a de bon pour le mettre au service de sa créativité tout en restant dans l’air du temps. Dans cet esprit de comparaison, 16 Mesures rapproche le retour de Zesau avec celui de Simba dans le Roi Lion, un des animaux que l’artiste affecte particulièrement en le référençant plusieurs fois dans son projet Coup classique.
« Les animaux ça tient une vraie place dans ma vie. Je suis en train de faire un livre autobiographique avec un co-écrivain qui devrait s’appeler « Mowgli a eu 40 ans » (rires). J’ai même failli appeler un de mes albums « Le livre de la jungle », dans la rue, on m’appelle « Zoo » pour te dire l’affect particulier que j’ai pour les animaux. En tant qu’homme, on a un peu les mêmes instincts. Quand on a des parcours difficiles c’est beaucoup l’instinct qui te fait survivre, ce n’est pas forcément l’argent ou l’éducation, c’est l’instinct ».
Tu nous parles d’expérience et d’instinct, dans l’intro de Coup Classique, tu dis « Trouve la bonne formule car sans elle tu ne feras pas recette », tu fais partie de ces artistes qui ont traversé les générations, c’est quoi la recette alors ?
« Il n’y a que les lâches qui lâchent (rires). On est des gagnants dans le fond, on a rien lâché, on est déterminé. On se fixe quelque chose, on le garde en tête, et on va jusqu’au bout, et ça marche dans tout, pas que dans la musique. »
Si pour Zesau, Coup classique est un projet instinctif, il est aussi un mélange de tout ce qu’il a pu emmagasiner musicalement et un mélange entre les nouvelles tendances comme de la drill et des codes à l’ancienne. Bien que sombre, on ressent une énergie très positive en écoutant ce projet. Une énergie d’un homme qui s’amuse : « Mon âge fait que je n’ai plus rien à gagner. Je le fais vraiment car j’en ai besoin. C’est impossible d’arrêter. Je vais continuer jusqu’à 50 piges (rires). J’ai entendu qu’il y a des vieux qui font de la drill, on a encore de la marge ».
Dans cette démarche de s’amuser, sur ce nouveau projet, Zesau a convié Hache-P, Rvzmo, Limsa d’Aulnay mais également Benjamin Epps : « J’aurai pu faire tout ce que je veux pour ne pas le rencontrer, je l’aurai rencontré. Il n’y a pas de hasard, cette collaboration devait se faire. C’est un morceau qui se veut intemporel, tu ne peux pas vraiment savoir en quelle année il est sorti, en 1999 ou en 2020, c’est un morceau hors-temps. Généralement ce sont ces morceaux-là qui restent ».
Comment toi tu décrirais ton projet Coup classique et qu’est-ce que tu envisages ensuite ?
« Pour moi Coup classique c’est du rap instinctif, spontané. Je reviens à ma base tout en restant dans les couleurs actuelles. J’ai vraiment envie de revenir à l’écriture en y incorporant des messages. Tous mes prochains projets, ils voudront dire quelque chose. Beaucoup m’ont collé l’étiquette d’un mec en guerre, en révolution contre tout. Je ne suis pas contre tout, je suis contre les mauvaises choses. Si je délivre plus de vrais messages, c’est mieux j’arrête la musique. Dans mon livre, j’expliquerai pourquoi j’ai une vision terre à terre de ce monde, que certains pourraient qualifier de “noirceur” (rires) ».