Dans un secteur qui se veut historiquement majoritairement masculin, la femme doit souvent en faire dix fois plus pour se faire entendre, écouter et apprécier du public rap. Elle n’a peut-être que trois albums à son actif depuis 2016 et pourtant, elle est le premier nom qui vient aux lèvres quand on parle de rappeuse francophone, depuis le départ de Diam’s. Retour sur l’ascension de Shay et du plafond de verre qu’elle a enfin réussi à briser.
VANESSA
Toujours associée à son oncle Youssoupha ou à son frère Le Motif pour la présenter, Shay est une artiste belge originaire de Bruxelles, de Molenbeek pour être plus précis, aux racines congolaises, de sa mère, et polonaises, de son père. Shay tient son nom de scène de son grand-père, Tabu Ley Rochereau, qui l’appelait comme cela car dans son village, « Shay » signifiait « celle qui apporte la lumière ».
Le rap français la découvre véritablement avec le morceau Cruella en collaboration avec Booba présent sur la mixtape Autopsie vol.4. Si à ce moment-là, son style n’est pas encore au point, elle va pourtant être la figure féminine du 92i jusqu’à ce que la musique les séparent après un premier album, Jolie Garce, certifié or et porté par les morceaux Thibaut Courtois et PMW.
« KO2P m’a dit : “interdit de te mélanger” » (PMW).
Même si les routes se sont séparées, les conseils de Booba ont pu lui être bénéfiques. Encore en 2025, Shay n’est pas l’artiste féminine que les rappeurs ont dans leurs projets. Non pas qu’ils n’en veulent pas, mais parce qu’elle collabore extrêmement peu, par méfiance d’un intérêt différent de celui de faire de la bonne musique. Hormis les invités de ses albums, Booba au tout début de sa carrière, ainsi que le morceau Ivre avec Benash et Damso lors de leur époque commune au 92i, la seule tête d’affiche qui a pu collaborer avec l’artiste, c’est Jul. À noter qu’elle a également collaboré en 2022 avec Fresh, vainqueur de la saison 1 et protégé de Shay lors du télécrochet de Nouvelle école, où l’insolence de son couplet a été plus que saluée.

SOUFFRIR DE LA PRESSION
Revenons un peu en arrière, en 2018. Cela fait 2 ans que Shay est absente, certains mêmes pensaient qu’elle ne reviendrait pas, qu’elle avait fait, comme beaucoup d’artistes, un aller retour dans la musique. Pourtant, Jolie sort et le morceau est retentissant sur les réseaux : un clip en huit clos intime et décomplexée, un pique à Booba où elle dit qu’il se désabonne malgré son respect pour lui, les S/o aux plus gros twittos de la plateforme Rebeudeter, Aminematue et QBINZE. La toile s’était enflammée pour un retour en fanfare.
Porté également par les morceaux Liquide avec Niska et le sensible Notif, le second album Antidote est un pari réussi haut la main, faisant d’elle, la nouvelle reine du rap français. Seulement, les critiques liées à une exigence plus importante par son statut de femme se font entendre : remarques sur son émancipation dans ses tenues et ses mouvements vites sexualisés, ses collaborations avec la mode, ses prises de paroles en interview jugées impertinentes ou encore certains morceaux vite critiqués comme Cocorico.
Cette pression ne va pas servir l’artiste, surtout à une ère où il faut vite sortir de la musique pour éviter qu’on t’oublie. Seulement, plus le temps passe, plus l’exigence s’installe, surtout pour Shay, pour ce qu’elle représente. En avril 2022, l’artiste fait un retour avec DA et un pop up store qui semblait annoncer un nouvel album : une direction artistique très digitale et un clip dans la même énergie que Jolie, pourtant les critiques et la pression, ont eut raison d’elle, et l’album ne vit pas le jour.
Il a fallut attendre janvier 2024 pour entendre le troisième album de Shay : Pourvu qu’il pleuve. Un troisième opus extrêmement bien réussi, dans lequel, on retrouve Niska, SCH et Gazo. Une exigence de taille, et une volonté de changement s’opérait. Shay devait sortir un bon album, c’est fait, mais devait aussi casser ce plafond de verre.
DEVENIR UNE BÊTE DE SCÈNE
Si elle se présente en interview comme une femme assez réservée, timide et casanière dans la vie de tous les jours, artistiquement, elle est l’image de l’émancipation féminine dans le rap français, de la femme forte et décomplexée. Entre une nonchalance prononcée, une sensualité sans retenue dans sa musicalité et dans ses clips, Shay est devenue avec le temps un vrai porte étendard pour toutes les femmes qui peuvent se sentir complexées pour se libérer, et un modèle pour celles qui ont pris la décision d’assumer leur féminité.

Pendant longtemps, la mère du gang des Jolies Garces, comme elle aime l’appeler, était éloignée des scènes, se contentant à faire quelques showcases par-ci par-là. Pourtant, avec la sortie de son album Pourvu qu’il pleuve, Shay fut bien décidée à casser ce plafond de verre, en voulant proposer un show unique et assumé, auprès de son public qui n’attendait que de voir sa reine sur scène. Le poing sur la table de la nouvelle showwoman fut tapé lors de la première cérémonie des Flammes, où elle offrit la meilleure prestation scénique. Accompagnée de ses danseuses, l’artiste belge avait surpris tout le monde par la chorégraphie et l’inédit dévoilé, créant ainsi une certaine attente autour de son album à venir et de ses futures représentations scéniques.
Après un Olympia, une tournée des festivals et deux Zéniths de Paris complets dans des temps records, laissant ainsi les réseaux sociaux s’enflammer sur ses performances scéniques et l’émotion qu’elle a pu délivrer, Shay a cassé le plafond de verre qui la contentait à un statut rappeuse, parfois hit woman, à une véritable bête de scène prête à conquérir la francophonie et les plus grandes salles.