« Il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui veut sortir mais je verse du whisky dessus et inhale une bouffée de cigarette » pouvait-on lire dans le poème L’Oiseau Bleu de Charles Bukowski, qui a inspiré les deux initiales de B.B. Jacques. Ces vers représentent parfaitement l’art du rappeur franco-libanais, un art aussi libre qu’un oiseau mais rattaché à la noirceur de la vie sur Terre.
Des mots jetés sur un bigo et des sentiments exprimés à un micro, B.B. Jacques cultive la sincérité depuis le début de sa carrière. Beaucoup l’ont découvert avec son béret sur Netflix, face au monde, lors de la première saison de Nouvelle École, pourtant il a fini par s’émanciper de cette image et être simplement considéré comme B.B. Jacques et non un talent de télécrochet. L’affranchi. Peut-être le mot le plus évident pour le décrire. Entre déstructuration, schémas de rimes complexes et un style unique, l’artiste du 92 divise : d’un côté ceux qui l’adorent et de l’autre, ceux qui n’adhèrent pas du tout. Le premier arc de l’artiste s’était arrêté avec un Olympia sold-out et un album d’excellente facture qu’est NBOW. Nous sommes désormais dans un nouvel arc, qui a démarré avec les deux EPs de 3 titres dont les merveilleux Rayol et Béni, et continue avec un quatrième album intitulé BlackBird.
« NBOW, c’est une ombre qui cachait un aigle » – LA FOLIE
BlackBird offre au public de B.B. Jacques une évolution logique de l’artiste qui évite ainsi un plafond de verre causé par son propre personnage. Majoritairement produit par BBP, dont on ne présente plus les talents, l’artiste pousse un peu plus loin son curseur en y allégeant sa plume au profit d’une écoute plus abordable auprès des hésitants. Sa quête artistique l’a amené à proposer des refrains efficaces, dont on pouvait lui reprocher l’absence auparavant, comme sur Mirages ou Lost. Avec les deux EPs que sont HORIZON 25 et HONEYMOON, la transition fut délicate et raffinée.
PYGMALION
Pour se plonger complètement dans l’analyse de BlackBird, il faut prendre en compte l’information que cet album aurait pu s’appeler Pygmalion, ce qui explique la répétition du mot au travers du projet. Le mythe de Pygmalion et de Galatée d’Ovide daterait du IIe siècle. Selon la mythologie grecque, le sculpteur Pygmalion, déçu par le comportement des femmes de Chypre (les Propétides, ndlr), se voua au célibat. Un jour, il décida de sculpter dans de l’ivoire, son idéal féminin. Après plusieurs jours de travail, il la nomma Galatée et tomba amoureux d’elle. Touchée par cette relation impossible, la déesse de l’amour, Aphrodite, exauça le souhait du sculpteur en donnant vie à la sculpture au moment où ce dernier l’embrassa.
« Faut pas avoir peur d’aimer, c’est l’vrai courage » – CHOCKER
C’est en toute logique que dans cet album on se retrouve au coeur de ce mythe de Pygmalion, avec un B.B. Jacques sincère quant à ses émotions envers l’autre, pourtant quand on lit à travers les lignes, on ressent un contraste entre son art et sa réalité, entre ce qu’il idéalisait et ce qu’il vit. B.B. Jacques dévoile sa complexité à dire sincèrement les choses dans CHOCKER : « Dans mes yeuz’ que s’cachent les mots qu’j’n’ai jamais su t’dire » au point qu’il finit par se retrouver ridicule quand il a fini par dévoiler ses sentiments : « Avoir peur des mots c’est l’comble d’un parolier » (CHOCKER) ou encore « Si la naïveté avait une limite, ce s’rait un connard qui chante « Eh vive l’amour” » (PATRON).
« Que Dieu m’protège, le Diable m’a envoyé un ange » – PYGMALION
Ses déceptions amoureuses sont un mélange de différents facteurs, d’abord une pudeur personnelle mais également une pudeur face à sa starification montante et aux soucis que peut entraîner d’être un personnage public. D’abord, on peut y retrouver un manque de confiance de l’autre face à un public grandissant : « Elle m’fait la gueulе pour des bitches qu’j’me suis mêmе pas faites » (SOLDAT D’ÉLITE), un besoin de protéger l’autre de sa lumière publique : « J’te protège, j’te mets pas sur la pochette » (MA CAME) et cette peur des mots évoqués car ses écrits se retournent contre lui : « Anecdotique, tu m’as sorti : « Si tu l’aimes tu la laisses partir ». J’me suis fait baiser par mon propre jeu », qui est une référence à ce qu’il avait pu rapper dans Odyssée.
« J’me suis pé-trom: fuck l’amour, vive la fame » – SOLDAT D’ÉLITE
Dans BlackBird, B.B. Jacques affirme sa facilité à faire de belles tournures de phrases pour décrire ses émotions négatives : « Pygmalion, on faisait la paire comme bruit des valises et celui de la porte » (LOST), « On n’a même pas laissé la fleur faner, on l’a directement crevée par l’épine » (LOST) ou encore « j’t’ai donné les fleurs que j’me suis jamais jeté » (CHOCKER). Ces belles tournures s’accompagnent d’une certaine élégance dans ses confidences auprès de son public quant à ses constats émotionnels : « Moi j’suis incapable de rer-pleu, j’vais encore saigner sur la feuille » (ENTERREMENT DES OPPS) ou encore « J’ai vu l’bonheur, c’bâtard il faisait du stop, j’lui souris d’puis ma vitre » (JAMAIS COMME AVANT).
L’AMOUR EST MORT, VIVE LE RAP
Pygamlion n’est pas qu’une histoire d’amour avec une femme dans cet album, mais également un amour pour ses réussites et le personnage public qu’il s’est forgé. B.B. Jacques évoque une véritable fierté face à son développement, à l’instar du sculpteur qui voit son oeuvre évoluer et prendre la forme qu’il souhaite. L’artiste continue de vouloir être la bande originale de son public, « j’essaie d’sauver des gens avec la prose » (CHOCKER), de les fédérer autour de son art quand ils viennent hurler FUCK LA FAME à ses concerts « « Fuck la fame » c’est juste un truc réel qui cachait un hymne » (LA FOLIE), tout en prouvant qu’il est l’un des meilleurs du milieu : « Le rap est mort, vive le rap, l’impression d’être un requin qui chasse la loutre » (CHOCKER).
Sa place au sein du rap s’est faite dans la dualité, entre ceux qui ont très vite adhéré au personnage, à l’univers et à la prose et ceux qui critiquaient en disant qu’il n’était qu’un effet de mode : « J’ai eu l’mérite de déranger sans vouloir qu’ça gêne » (PATRON). L’oiseau bleu devenu noir, a accompli déjà beaucoup en si peu de temps, pourtant les rêves qu’il entreprenait il y a quelques années sont devenus ses banalités quotidiennes. Son mythe Pygmalion est devenu un travail et il se bat pour ne pas perdre cette flamme en polissant sa proposition artistique et en renouvelant ses objectifs : « Fuck la bougie qui brille le plus, j’suis celle qui brûlera sur le long » (SOLDAT D’ÉLITE).
Même si « l’art est devenu RIB » (JAMAIS COMME AVANT) et que ça ne lui fait plus rien de prendre 2K, B.B. Jacques, qui aurait pu devenir un simple carriériste, garde sa volonté d’évoluer artistiquement et d’offrir le meilleur de lui-même à ceux qui l’écoutent, à contrario de beaucoup de rappeurs actuels qu’il ne manque pas de piquer dans cet album : « T’es pas un artiste t’es juste un carriériste qui s’pose sous l’arbre en attendant la pomme » (JAMAIS COMME AVANT), « Trois albums, trois lucarnes, pendant qu’vos frappent s’dévient » (LA FOLIE), « Ils ont pas la main sur leur biz’ et ils parlent de cash » (SOLDAT D’ÉLITE) ou encore « C’est pas ton talent, c’est ta bêtise qui va t’rendre viral » (EXTRAMILES).
Qui dit sincérité et instinctivité d’écriture, dit références. D’Orange Mécanique, aux footballeurs en passant par Paul Eluard ou Emile Zola, sans oublier Charles Aznavour, Poétiquement correct de Dany Dan ou Orelsan dans AUDACE : « Mais moi, c’est quand que je craque ? Comme dirait l’autre « j’craquerai pas” », B.B. Jacques continue de s’amuser et de semer des références à son public pour qu’il comprenne ses inspirations, comme un professeur à ses élèves. Cet amusement lyrical se complète avec cette recherche musicale, Pygmalion en est la preuve. Une vraie envie de proposer une musicalité profonde, complète et fraiche, en s’inspirant d’autres genres musicaux qu’il peut consommer.
Après avoir chanté comme une Cigale depuis le mont Olympe, c’est voir le soleil au Zenith que B.B. Jacques attend de réaliser, bien que son audace sera de chanter au Zenith qu’il pense à son Bercy. Bien qu’il a fait parti de ces artistes clivants, il sait que des rêves sont faits pour être exaucés, en attendant, l’oiseau noir prend son envol et ses battements d’ailes, sont merveilleux à regarder et à écouter.