Quand le sens des mots et la quête d’émotions se conjuguent aux sensations de Brav, on obtient un café noir amer comme une poésie brutale. Quelques jours avant sa Cigale, nous nous sommes entretenus avec celui que le temps a bonifié, que le Havre a construit et dont les envies artistiques l’ont nourrit pour proposer une belle noirceur.
Au début, t’étais en duo avec Tiers dans un groupe qui s’intitulait Bouchées doubles, quelle vision tu as aujourd’hui de ce début de carrière dans le rap ?
Je pense que ça a été très formateur et ça a bien posé le socle de qui je suis aujourd’hui. Ça m’a aussi apporté beaucoup de rigueur dans mon travail et dans mon approche de la musique, juste maintenant les BPM sont plus lents (rires). Au Havre, la musique rap n’était pas très développée. Il a fallu trouver un peu notre sonorité. Hier je regardais le documentaire sur DJ Mehdi, je me retrouvais dans son histoire et dans cette recherche de sonorité.
Tu es aussi au coeur d’une fraternité d’artistes, c’était en toute logique que tu allais t’orienter dans l’art peu importe sa forme ?
Ce ne sont pas nos parents qui nous ont initiés même si mon père était très mélomane. Il écoutait beaucoup de chansons, de variété française avec des textes, comme Renaud, ma mère aussi. Mon plus grand des frères, Franck, lui était entre Pink Floyd et Alpha Blondy (rires). Mon autre frère qui s’appelle Proof est devenu un grand compositeur. Il a beaucoup bossé dans le rap et aujourd’hui, il travaille beaucoup pour le cinéma. Puis j’ai mon petit frère qui lui aussi est compositeur, et qui bosse avec mon frère. Ça a vraiment eu un impact sur moi, je voulais ressembler à mon grand frère. C’était un peu l’image du petit frère qui voulait reproduire ce que faisait le grand. Il fait foot, faut que j’en fasse, il fait de la musique, donc faut que je fasse de la musique (rires). C’était vraiment par mimétisme que j’ai commencé, et puis comme j’étais nul au foot donc j’ai continué dans la musique (rires).
Tu évoques le fait que ton père était très branché sur les textes des morceaux qu’il écoutait, tu as débuté dans le rap qui est un art qui apporte un vrai intérêt au maniement des mots, encore aujourd’hui tu précises ton écriture par le sens que tu veux en donner, d’où te vient ce plaisir et ce besoin de passer un message ?
Je pense que cela vient depuis tout jeune. Enfant, j’écrivais des textes qui me plaisait, puis j’ai chanté pour moi et ensuite j’ai chanté pour mon quartier, et le quartier s’est agrandit, aujourd’hui, je chante pour les gens qui sont un peu partout en France. J’ai senti l’importance des mots, quand les personnes qui m’écoutaient me répondaient par des mots encore plus forts. J’entendais de leurs parts que j’avais pu changer leurs vies. Je me suis rendu compte qu’un texte qu’on écrivait au départ pour nous faire du bien, nous soulager, pouvait à son tour changer la trajectoire de certaines personnes, ça m’a réconforté sur le fait que je n’écrivais pas pour rien.
Cela a pu te changer à ton tour dans ton évolution artistique, cet impact des mots et ce besoin de trouver la bonne forme pour les dire ?
C’est sûr. Je me remets en question tout le temps. La forme est vraiment importante pour moi, il faut jouer avec le temps. Le texte peut se vouloir intemporel mais son enveloppe musicale est importante et doit pouvoir encrer l’ensemble dans son contexte. La musique, c’est des sentiments, des vibrations. Peu importe la forme, il faut qu’elle me plaise.
Donc tu arrives à plus facilement t’épanouir dans une quête de la forme que dans une quête de fond, même si les deux sont intimement liés dans ton art ?
Aujourd’hui, je pense que je creuse la forme un peu plus qu’avant. Je fais toujours attention aux sujets, aux thèmes et aux propos que j’emploie, je ne veux pas entrer dans la facilité, mais j’ai besoin que cela soit plaisant et que je puisse rechercher l’instrument, la patte artistique et cette sensibilité qui vont en faire un bon et beau morceau. Parfois, je ne fais pas exprès d’aller chercher telle ou telle sensibilité. Je ne me dis jamais, tiens aujourd’hui je vais aller chercher telle ambiance, je me lasse vraiment guider par ce que je peux ressentir au moment où je crée. Je ne suis pas un cahier des charges.
Parlons de Café crève, le ressenti que j’ai eu, c’est que c’est un album où tu laisses parler ton amertume vis à vis de tes sentiments, de ce qui t’entoure et de ce que tu peux voir, comme l’amertume d’un café serré du matin, est-ce que je suis dans le juste ?
C’est un peu ça, en fait j’aime la poésie de la brutalité. La vie est difficile. Chaque personne a son lot de difficulté à affronter. Si tu te laisses trop aller, tu vas répondre par l’émotion négative. Tu vas être porté par ce que tu ressens, et ça va devenir du misérabilisme alors que cette brutalité, on peut en faire quelque chose de beau et la rendre utile et impactante. Faire quelque chose de beau avec du laid. C’est pour ça que j’ai choisis ce titre aussi. Il est brutal mais tu y découvres des chansons douces, mettant en beauté la misère de ceux qui peuvent se sentir blessés.
Cet album porte une très belle cover, quand on regarde tes choix visuels, c’est souvent la mise en avant des regards et de l’humain…
En réalité, je m’en fiche des voitures et des structures, l’humain il a tellement plus de sens pour moi. Tout le monde est différent, tout le monde est blessé, tout le monde se ressemble au final. On souffre souvent des mêmes raisons, nos sentiments sont les mêmes bien qu’on choisisse de les exprimer différemment. Je suis fasciné par l’humain. Il y a autant de vies que d’êtres humains, autant de vérités que d’êtres humains. C’est mon côté Coco (rires).
Parlons du featuring avec Youssef Swatt’s, Liverpool, dans quel contexte le morceau a été fait surtout qu’il a connu une certaine exposition avec Nouvelle école ?
Youssef est vraiment quelqu’un de très humain, c’est ce qui l’a notamment distingué dans la saison 3 de Nouvelle école. Il a quelque chose de très similaire à mon label d’origine : Din Records, notamment ce côté rap à texte. On s’est rencontré tout simplement autour d’un café, et je lui ai proposé qu’on se voit et qu’on fasse un titre ensemble. En plus c’était pendant le tournage de Nouvelle école, c’est pour dire que le gars est humain et qu’il avait vraiment envie de faire un morceau avec moi. Quand tu le vois gagner la saison, tu sens qu’il se passe quelque chose de plus fort que la musique. Cette chanson était beaucoup plus rap. Je voulais que Youssef soit à l’aise avec une composition qui soit sur une base qui le touche vraiment. Après je donnais aussi mon avis, si j’aimais ou pas, mais je l’ai laissé driver. À la base, je ne voulais pas interpréter la chanson sous cette forme-là, mais j’ai été obligé d’arriver avec une autre proposition car il m’a mis dans les cordes (rires). J’aurais aimé rapper et l’assumer mais je trouvais que ça n’apportait rien au propos. J’ai fait un pas de côté, j’ai retravaillé avec Matthieu cette mélodie, c’est resté dans la veine du morceau d’origine juste je suis venu apporter quelque chose d’autre.
Au moment où l’on se parle t’es en répétition pour ton concert à la Cigale, à quel point la scène est importante dans l’expression de ton art ?
En réalité, il y a un travail de studio et un travail de scène. Il y a des chansons que je fais en studio qui sont plus compliquées à réaliser sur scène donc on va les retoucher et les interpréter différemment, puis il y a des chansons qui n’ont pas cette émotion dans l’album et qu’on va pousser au maximum sur scène. Ce sont deux façons de travailler mon art. Je savoure chaque instant et je profite, si les gens chantent, on va faire durer le plaisir (rires). La scène, c’est vivant, le studio, tu peux tricher. Sur scène, tu ne triches pas sur les émotions que tu provoques. L’énergie du moment fait que tu dois te donner sur chaque chanson pour ne pas passer à côté. Tu peux redécouvrir une chanson sur scène. Par exemple, la chanson Bagarrer avec Tiers sur le projet Error 404 en 2016, elle est encore avec moi en concert car elle dégage quelque chose de tellement fédérateur et de bordel, c’est génial (rires). Il y a des chansons aussi c’est tellement un plaisir de les jouer sur scène que tu veux les jouer.
Parlons d’une autre de tes facettes artistiques, tu apportes une grande importance au visuel, tu as même eu un studio de création graphique pendant un temps, à quel point cela a de l’importance dans ta réflexion artistique ?
Quand je fais des chansons, j’ai un syndrome, c’est que je vois des couleurs. On appelle ça la synesthésie, c’est lorsqu’on voit des couleurs en entendant de la musique. J’ai déjà une atmosphère dans ma tête quand j’entends des sonorités. Pour tout le reste je m’applique à ce que ça soit propre et beau. Par exemple pour les clips, je me dis : « il faut que ça soit beau sans la musique, il faut qu’ils percutent sans avoir besoin des mots ». Mes clips ne suivent jamais mes chansons. Je veux que les gens se prennent le clip sans même avoir écouté la musique. Je ne travaille jamais les clips avec la musique, je travaille en parallèle, comme si je faisais des films, d’ailleurs je les écris tout comme.
Cet univers visuel artistique, est-ce que tu as envie de l’exploiter par la suite en jouant ou en réalisant des films par exemple ?
J’en ai déjà fait pour d’autres, mais j’avoue que j’ai du mal à me détacher de mes propres projets. J’ai envie à chaque fois d’aller au bout de chacun. Quand tu as plein de changements, tu peux te disperser. Si je vais partout, je ferai qu’à moitié, alors que j’ai besoin de faire les choses à 100%. Je suis hyper ouvert aux conseils et je me laisse la possibilité, un jour, de le faire.
Quelles sont tes ambitions et tes envies par la suite ?
Je pense que je vais multiplier les canaux d’expression. Là, on a utilisé la musique, mais sur le plan large je suis auteur donc il y a d’autres moyens d’expressions via d’autres formats. J’ai commencé à gratouiiller quelques pages d’un livre qui va me mener je ne sais où (rires). Sinon j’aimerais beaucoup lancer mon podcast lié au café. On se sert du café comme point de rassemblement pour discuter autour de différents sujets et faire passer certains messages via des discussions profondes sur des sujets auxquels mes invités et moi ont a pu être confronté pour que ceux qui écoutent puissent mieux appréhender certains moments, notamment j’aimerais beaucoup parler de santé mentale des artistes.