Longtemps perçus comme des artistes de l’ombre, certains beatmakers ont fini par connaître une certaine lumière, soit grâce à leur tag en début de morceaux, soit pour leur patte artistique très prononcée et leur affiliation à certains gros artistes de la scène francophone, et ce fut le cas d’Ikaz Boi. Retour sur l’un des magiciens de l’ombre du rap français sans concessions. 

Avant de produire quelques gros succès de Damso, d’Hamza ou encore d’Ateyaba, Ikaz Boi, de son vrai nom Zaki Ghafir, a commencé à faire ses premiers pas dans la production après la découverte de l’album 2001 de Dr. Dre sorti en 1999 considéré aujourd’hui comme l’un des albums les plus importants de l’histoire du rap et même plus largement de la musique. Né le 1er octobre 1990, le futur grand magicien du rap français a grandit dans la Vendée, et plus précisément à La Roche-sur-Yon à l’instar d’un autre magicien : Myth Syzer. 

Ikaz a fait ses premières armes en compagnie de Syzer et continue encore de travailler avec lui, ils iront même jusqu’à sortir en 2016 un projet commun intitulé Cérébral chez Bromance Records. Mais l’histoire du producteur franco-marocain commence au début des années 2010 avec des placements pour Deen Burbigo sur le projet Inception en 2012, 1 Peace de Freeze Corleone sur Vieilles merdes mais également avec Veerus sur APEX, avec qui, il entretiendra une relation artistique plus importante par la suite.  

Ikaz Boi par Nayan Graff Quartier©

Après une première collaboration sur Cristal, le morceau On est sur les nerfs va mettre en avant le travail de l’ombre d’Ikaz Boi et lui ouvrir beaucoup de portes. Ikaz et Syzer, étant tous les deux en Vendée, envoyaient des prods à Joke qui lui était sur Montpellier. Ce dernier venait de terminer son album Ateyaba, mais une prod va venir titiller sa créativité artistique. En effet, Ikaz venait de sortir sur Soundcloud, un remix avec la prod d’On est sur les nerfs. Seulement Joke s’est pris de passion pour cette fameuse prod et demanda à Ikaz de la lui laisser pour son album bien qu’il était déjà terminé. On est sur les nerfs fut ajouté à la tracklist et envoyé en single. Bien qu’aujourd’hui, on sent que la prod est datée de ces années-là, à l’époque, c’était très futuriste. Ce morceau lui changea la perception de sa carrière, en comprenant qu’il était possible d’en vivre et que la différence était un moteur de persévérance. 

On est sur les nerfs – Joke (Ateyaba)

Par la suite, Ikaz continue de collaborer avec Veerus et Joke, respectivement sur les projets Minuit et Delorean Music et part séjourner à Toronto au Canada sur un coup de tête car il appréciait l’énergie musicale de là-bas. Il finit par faire la rencontre de Derek Wise et Wondagurl, une de ses productrices préférées, avec qui il composera RERUN de Quavo avec Travis Scott en 2018. 

Avant de sortir son projet en commun avec Myth Syzer en 2016, il dévoile en 2015, deux projets instrumentaux : Ketamine Trap, ainsi que son volume 2, respectivement en janvier et juillet. L’année suivante, Ikaz va être derrière l’un des plus gros succès de Jazzy Bazz : Trompes de Fallope sur P-Town. Cette même année marquera les deux premières collaborations publiques entre Ikaz et Hamza, à la fois sur le projet commun avec Myth Syzer mais également sur Slowdown présent sur Zombie Life

Le 27 mars 2017, après deux ans d’absence, Joke dévoile le morceau Vision produit par Ikaz Boi, et qui s’apparente au premier single de ce nouvel album intitulé : Ultraviolet. Si on aurait aimé vous raconter à quel point cet album a pu être un tournant dans l’histoire du rap français, de Joke devenu Ateyaba et d’Ikaz Boi, l’histoire en a voulu autrement. Même s’il a peu de chance de voir le jour, ce second album était en majeur partie produit par Ikaz Boi. Certains morceaux ont été dévoilés les années suivantes et ont confirmé qu’il s’agissait sûrement d’un classique du rap français. 

A. Nwaar is the New Black – Damso

Pourtant, malgré cette désillusion, Ikaz Boi a su toucher un certain public par sa proposition artistique et cet aspect très futuriste qui convenait parfaitement à Ateyaba. Cette même année, il dévoile un EP commun avec Veerus intitulé Mercure mais réalise également l’intro du second album de Damso, Ipséité : A. Nwaar Is The New Black. Un morceau important dans la carrière d’Ikaz et dans la carrière du rappeur belge, qui va encore plus confirmer la patte originale et séduisante du producteur vendéen. Et comme si 2017 n’était pas déjà aussi beau artistiquement, les collaborations avec Hamza continue sur 1994 avec Pasadena et Monopoly, et Ikaz dévoile deux singles avec 13 Block : Somme et Vide.  

Vide – 13 Block

L’année 2018 va également être importante dans la construction du nom d’Ikaz Boi et de la reconnaissance du public auprès de son travail. 13 Block ouvre le bal avec le projet Triple S qu’il produit entièrement. Si au départ, ils devaient simplement faire des sessions studios ensemble, ça s’est transformé en un véritable projet dans lequel l’artiste vendéen a convié Binks Beatz et Ponko pour sublimer l’énergie du groupe sevranais. 

Bien qu’on le retrouve de nouveau en compagnie de Veerus sur Palpatine et Skur ainsi que Damso sur Baltringue, c’est la sortie de son premier véritable projet d’artiste qui va être marquant pour lui. Intitulé Brutal parce qu’il a laissé libre cours à sa créativité et qu’il l’a déposé brutalement dans la structure du projet, le projet regroupe un featuring entre 13 Block et Ateyaba, Hamza, Triplego ou encore KAMI avec qui, il collabore régulièrement. Le yonnais marque son emprunte dans le rap français en injectant une dynamique méticuleuse autour des projets de producteurs. D’autant plus qu’il s’est occupé de tout : la musique, l’image et la promotion ; le tout sur son propre label STELLAR 90.

Zidane – 13 Block

Son année 2018 se conclut en apothéose par un nouveau single d’Ateyaba : Rock with you, en hommage à Michael Jackson, le monstrueux Zidane de 13 Block et son plus gros succès à l’international : RERUN de Quavo et Travis Scott, en co-prod avec Wondagurl. Un aboutissement pour l’artiste yonnais, lui qui fut si impacté par l’album Days Before Rodeo de Travis Scott (sorti en 2014, ndlr) et par la discographie de R.Kelly. 

Sa présence se multiplie et semble toujours autant minutieuse les années suivantes : Hamza, Binks Beatz, 13 Block, Ateyaba, Niska, Leto, avant de conclure l’année par Brutal 2 et 3, dont la particularité de ce dernier, est qu’il ne fut disponible qu’en vinyle et qu’il est composé de quatre titres en instrumental. Cependant sur le deuxième opus, on retrouve trois des membres de 13 Block en solo, qui furent l’ossature et le point de départ de cet opus. Une partie découvre notamment Olazermi, cousin de Stavo, sur le morceau Code 46 en featuring avec le membre du groupe. On a pu écouter également Damso sur Soliterrien et une énième fois Hamza sur Bad Days pour ne citer qu’eux. Voir tous ces artistes se challenger pour une compilation de beatmaker le touche, cela démontre leur implication et le respect qu’ils ont vis à vis du travail de ces magiciens de l’ombre. 

Soliterrien (feat. Damso) – Ikaz Boi

Bien qu’il fut plus discret sur l’année 2020 avec 2090, un projet instrumental sur Soundcloud, une collaboration avec Green Montana sur MÉFIANT et ENFERMÉ d’1PLIKÉ140, c’est lors du premier jour de l’année 2021, qu’Ikaz va réaliser un nouveau coup de poker avec un EP intitulé Paradise. La notion d’architecte va vraiment prendre tout son sens avec ce projet. En conviant CJ Fly, Bonnie Banane, Laylow et Zed, il ne va pas sortir un simple EP comportant des singles de ces artistes, il va utiliser les artistes pour sublimer ses productions. On s’explique. Si jusqu’à présent, les prods étaient souvent utilisées comme des supports pour les artistes afin de s’exprimer, avec ce projet, Ikaz prouve que les artistes sont aussi là pour sublimer et accompagner les productions, en utilisant leurs voies comme des instruments. Un vrai petit bijou artistique qui se termine par Interlude, en espérant qu’une suite finira par voir le jour. 

Ikaz Boi par Nayan Graff Quartier©

2021 fut une année riche pour le producteur vendéen avec le morceau Réel d’Hamza et Zed, le tube Σ. MOROSE de Damso ou encore un travail important sur le projet de Squidji, OCYTOCINE, ainsi que sur l’album L’Étrange Histoire de Mr Anderson de Laylow. Par ailleurs, c’est cette même année qu’Ikaz dévoila un projet commun avec Olazermi intitulé OTCHO à l’instar de ceux qu’il avait pu faire pour Veerus et 13 Block. 

Si les apparitions se multiplient, chaque morceau produit par Ikaz est devenu un critère d’attente au sein de la rédaction dans les projets des artistes. Comme pour d’autres beatmakers, mais en particulier pour Ikaz Boi, quand il est crédité à la prod d’un morceau, cela semble s’associer automatiquement à un vrai gage de qualité et une proposition musicale forte. Les années suivantes ne nous font pas mentir : Gâchette de SDM, Zinzin avec Binks Beatz et Olazermi, Stratos avec Kekra, NIGO avec Karmen ou encore Blue Bahamas et Dernière ligne droite sur Autobahn de SCH. 

Dernière ligne droite (feat. Laylow) – SCH

Bien qu’il estime que certains artistes sont méticuleux et qu’il doit s’adapter aussi à leurs envies, l’exigence semble pour son cas être un vrai maître mot. Avec les sorties de Brutal 4 en fin 2023 avec les participations de Laylow, TH, La Fève et Tiakola, et un EP avec ce dernier en 2024 en compagnie de Tarik Azzouz, Lyele et Gandhi, Ikaz Boi démontre encore une fois qu’il est l’un des plus grands beatmakers français et que cet ombre dans la laquelle il se complait malgré son exposition, est un paradis de jeu et de rigueur qui se veut inspirant pour beaucoup et stimulant pour d’autres : « J’espère que ça motive des gens à faire de la production. Peu importe le sentiment, tant que ma musique en procure, je suis content. Être une source d’inspiration, alors que je sais ce que c’est d’en avoir une, c’est très valorisant. Tu peux donner envie à des gens de se lancer dans une carrière alors qu’ils n’y auraient pas forcément cru. Il me faudra peut-être un peu plus de recul pour juger tout ça, d’ici quelques années. Dans tous les cas, mon meilleur conseil, c’est de se faire plaisir. » (Konbini, 2019)