Dans la tragédie d’Oscar Wilde sur la référence biblique Salomé, il y a une citation qu’on pourrait adapter avec les textes de Zamdane sur la notion du bonheur : « Il est comme une colombe qui s’est égarée… Il est comme un narcisse agité au vent… Il ressemble à une fleur d’argent ». Plongeons ensemble dans l’univers du rappeur marocain aux sonorités sensibles et aux textes purs.
ZAMDANE, L’ENFANT PERDU
Grandit à Bab Doukkala, quartier populaire de Marrakech au Maroc, le petit Ayoub a découvert un monde contrasté économiquement entre ceux avec qui il a pu grandir, et les touristes qui demandaient les services de son père, guide polyglotte. Enfant de Marrakech, adulte de Marseille. En effet, à l’aube de ses 18 ans, il s’installe dans la cité phocéenne. Berceau de la Méditerranée, la ville fut aussi le fruit de ses premiers besoins d’exprimer son histoire à travers le rap.
Loin d’être un enfant qui a pu se construire dans un climat de vie agréable, Zamdane se réfugie dans la musique et comprend que cette dernière lui offre la lumière à travers cette solitude. En témoigne avec sa série de freestyles en 2018, qu’il a clôturé en 2023 : Affamé. Ce besoin de prouver qu’il a sa place et d’extérioriser ses démons passés, ont nourrit sa richesse artistique en offrant une proposition artistique légère sur des mots forts.
Si son nom faisait déjà quelques échos dans le rap français, c’est en 2022 que le public coche le nom de Zamdane comme étant une révélation. Avec son premier album Couleur de ma peine, Ayoub dévoile ses douleurs passées qui ont marqué sa vie et la profondeur de ses cicatrices, comme lorsqu’il y évoque le décès de sa sœur. Le cœur écorché, Zamdane sensibilise aussi son public auprès d’une association : S.O.S Méditerranée, qui vient au secours aux migrants et réfugiés qui périssent en mer, que ça soit lors d’appel aux dons mais également lors de l’organisation d’un concert à Marseille, qui a pu récolter 110 000€ au profit de l’association.
SOLSAD, LA NOIRCEUR EN GUISE DE LUMIÈRE
Deux ans plus tard et quelques morceaux sortis, c’est avec l’album Solsad qu’on retrouve Zamdane. Si l’album était initialement prévu pour juin 2023 mais repoussé et retravaillé suite à un accident de voiture, c’est en ce début d’année 2024, que le public a pu entendre les battements de la colombe de l’espoir et l’écho des larmes d’un soleil triste. Un soleil porteur d’espoir dont les larmes reflètent son âme.
Solsad n’a pas véritablement de significations directes, mais on peut l’entendre comme la contraction de « soleil triste » (« sol » pour soleil et en espagnol, et « sad » pour triste en anglais, ndlr) qui vient être appuyer par la sublime cover de Dexter Maurer. Cette double cover vient souligner le coup marketing de l’artiste d’avoir caché un second CD dans la version physique (puis dévoilé la semaine suivante en streaming, ndlr). Un double album où la cover évolue avec cette notion d’espoir.
Dans ce nouvel album, Zamdane nous emmène dans une balade mélodique entre tristesse et espoir le tout harmonisé par des transitions entre les morceaux par Jérémy Patry afin d’offrir une meilleure expérience aux auditeurs. Cette démarche artistique vient souligner celle d’avoir voulu aller plus loin que sur Couleur de ma peine. Cette balade de vingt titres, Zamdane nous l’offre en compagnie d’un casting XXL : Pomme, Josman, So La Lune, Kekra, Niska, Sofiane Pamart, Zaho et Tif.
RETOUR AUX SOURCES
Comme pour Couleur de ma peine, la musique de Zamdane se prête à la nostalgie et au storytelling et Solsad nous esquisse quelques moments de son histoire et de ses croyances qui l’ont construit. Tout d’abord, l’album démarre avec un audio de son père et un morceau, Mouchkila (problème en arabe, ndlr) entièrement en arabe, en rappel à ses origines. En plus de son papa, on retrouve tout au long de l’album des déclarations d’amour à sa mère comme dans Million : « Ma mère c’est ma reine, elle m’aime pour qui je suis », ou encore dans Infini : « Maman j’t’aime, mais quand t’es pas là j’fais qu’des bêtises ».
« Mes jeunes années dans le feu, les espoirs dans la cendre » – Million
Selon Zamdane, la musique est le reflet d’une personne, et tout au long de cet album on distingue ce reflet vis à vis de son passé compliqué au Maroc avant de rejoindre Marseille à l’aube de la majorité. Conscient de ne pas avoir eu la même enfance que certains sans pour autant être envieux, Zamdane ramasse les cendres de son passé qui s’est consumé avec le temps : le manque de liberté, le manque de nourriture, le manque de confort et puis les moments familiaux compliqués qu’il a dû affronter : « Mon cœur est en pierre, j’portais ma sœur dans un cercueil, mon frère sur une civière » (Monstres).
Enfin, autre reflet de sa personne, ce sont les évocations de ses croyances religieuses. En effet, Solsad regorge de références à Dieu notamment avec la notion de sa grandeur vis à vis de son comportement et de ses choix : « Est-ce qu’il m’enlève des mauvais points s’il voit que je mène une vie de merde ? » dans Infini. Également, on retrouve sa conviction au destin prédéfini et au fait que dans ses croyances, la réincarnation n’existe pas : « J’sais qu’j’dois donner mon maximum, j’ai qu’une vie et mon Dieu va pas m’réincarner » dans Stylo magique. Pour au final faire comprendre que sa foi est un point central dans sa vie dans Mélancolie criminelle : « J’lève les yeux au ciel, j’sais qu’y a que lui qui m’aidera ».
LA SOUFFRANCE AU QUOTIDIEN
Comme évoqué précédemment, la musique de Zamdane se nourrit de ce qu’il ressent et l’artiste s’inspire de ce qui l’entoure. Quand un premier album s’intitule Couleur de ma peine, on peut se douter que l’encre de son stylo magique est noire. Même si tout semble s’améliorer et qu’il fait de son mieux pour embellir sa vie comme il le dit dans Le Grand cirque avec Pomme, il broie tout de même du noir : « j’rends pas les anges heureux » dans A ma guise, « J’ai vu la mort habiter des visages, des grands bonhommes pleurer des rivières » dans Youm Wara Youm avec Kekra ou encore dans Alouette avec Josman : « On dit qu’cette vie est un cadeau donc où est ma part de richesse ? ».
« J’cherche une vérité mais c’est les mensonges qui m’répondent » – A MA GUISE
L’ÉCLIPSE MÉLANCOLIQUE
Cette noirceur l’emmène une nouvelle fois vers la mélancolie et à une danse avec la solitude tout au long de Solsad offrant ainsi au public les pétales de sa fleur qui tombent à mesure que ses larmes coulent. Ces dernières viennent former une grande flaque à ses pieds sur la cover. Au micro de nos confrères de Raplume, il évoque sa musique comme un exutoire, il est « une éponge qui s’essor devant le micro ».
Cette éponge vient s’imbiber de toute la tristesse du jeune Ayoub et créée ce besoin d’extérioriser ses souffrances afin de stabiliser son état mental : « C’est pas une chanson triste, c’est un moyen d’m’empêcher d’péter un câble » (Le Grand cirque). Seulement ce qui en ressort, est une eau noire. Le combat de ses insomnies, sa solitude, sa haine envers son passé et ses pensées, ses tourments psychologiques et ses questions sans réponses ; toute cette mélancolie devient criminelle pour lui et le laisse côtoyer les abysses.
« Combien me reste-il des larmes ? » – MOUCHKILA
Ces abysses qu’il décrit dans Lalalala, il les a longtemps contemplées comme une possibilité de s’évader définitivement de la vie et mettre fin à son quotidien : « j’sais même pas si je veux vivre » (Un peu de moi). Cet album Solsad aurait dû voir le jour en 2023, seulement un accident de voiture a empêché la sortie de ce dernier. Dans le morceau Million, il revient sur cet accident et cette tendance à trop contempler les abysses : « J’roule à 200 et j’veux pas freiner comme si j’voulais rejoindre les gens décédés » ou encore « J’conduis comme un suicidaire, parce que je suis dérouté, parce que j’te vois dans mes rêves, au réveil j’me suis d’mandé où t’es » en référence à sa petite sœur décédée pour qui, il donnerait sa vie, pour la revoir. Même s’il a eu la sensation d’être maudit et d’avoir survécu sur un quiproquo dans Audi GT, finalement c’est en acceptant cette noirceur, que Zamdane a commencé à distinguer les premières lueurs d’espoir.
LE BESOIN DE S’ÉVADER
Enfermer dans son quotidien, encore plus quand on broie du noir, lorsque les premières lumières apparaissent, il faut savoir les suivre. Zamdane se rend compte que pour échapper à sa vie et laisser son esprit se reposer, c’est en voyageant : « Un jour, j’ai fait un vœu, changer d’panorama » (Le Grand cirque). En plus de découvrir de nouvelles cultures, voyager ça stimule le cerveau et les émotions. Selon certaines études, voyager permet de stabiliser sa santé mentale et de lutter contre la dépression, et Zamdane sait que son bien-être peut se trouver ailleurs : « Des fois je ferme les yeux, j’m’imagine loin d’ici » (Loin d’ici) ou encore « J’espère qu’y a un endroit sur cette Terre où j’pourrais refaire ma vie » (Printemps). En attendant que ses semaines soient remplies de voyage, Ayoub se rattache à ce qui peut le rendre heureux et le faire vivre.
L’AMOUR : LE DOUBLE SENS
L’un des thèmes qui fait vivre l’artiste marseillais, c’est bien l’amour. Ce dernier est présent ponctuellement dans cet album. C’est entre souffrance et bonheur que le thème est évoqué, mais Zamdane parle t’il directement d’une femme ? Peut-être, mais on pourrait aussi imaginer un double sens à ce thème : l’amour de la relation amoureuse et l’amour pour la vie. Dès le premier morceau, il y déclare sa flamme sans jamais mentionner une seule personne. Il pourrait déclarer cela à une femme ou bien déclarer son amour pour la vie malgré la noirceur de ses pensées. Cette relation d’amour impossible vient appuyer cette hypothèse, on peut l’entendre dans A ma guise : « Est-c’qu’elle m’aime vraiment ou est-c’quelle cherche mes failles ? », dans Fleurs : « À mes yeux t’es la plus belle des fleurs, j’t’achète un bouquet mais t’en veux pas » ou encore dans Si on s’aimait : « Ma chérie, dis-moi comment j’dois faire. Pour qu’nos journées n’ressemblent plus à l’enfer ». Peut-être parle-t-il d’une femme, néanmoins ce possible double sens, embellit encore son écriture.
« Quand j’suis dans tes bras, le monde s’arrête de tourner. Viens on oublie la nuit, on vit notre plus belle journée » – Le Grand cirque
LES PÉTALES DE L’ESPOIR
Bien que Solsad soit un projet majoritairement mélancolique par sa musicalité et par les lyrics de Zamdane, on y décèle quelques lueurs d’espoir avec une acceptation de son reflet dans cette flaque de larmes du passé. En plus de la force divine dans ce besoin d’aller de l’avant et d’accepter certaines situations comme évoqué dans plusieurs morceaux, on sent chez l’artiste une vraie volonté de réaliser ses rêves bien qu’ils ressemblent à des mirages dans Youm wara youm, comme celui d’avoir une famille dans Mouchkila. Par ailleurs, entre quelques paroles tristes, on y décèle un vrai besoin d’aller mieux avec une vraie prise de conscience de qui il est et de son évolution : « j’suis plus l’même qu’hier » (Youm wara youm), « Mon espoir est mort y a des années mais j’sais qu’il renaîtra » (Mélancolie criminelle) ou encore dans Noum : « J’ai vue sur lе monde mais ma fenêtre est cassée, un peu bricoleur, je la répare ». C’est vers la fin de l’album que cette lueur d’espoir s’agrandit et nous laisse penser que Zamdane se destine à un avenir plus radieux comme il le dit dans Etoiles dans les yeux : « Dans mes abysses y a une lumière, dans mon enfer y a un Paradis » et dans Monstres « Avant d’voir la lumière, j’festoyais dans l’ombre ».
Pour conclure cette nouvelle analyse, bien qu’il reste bloqué dans son quotidien, Zamdane arrive en puisant l’essence de ses sentiments à faire voyager l’auditeur pendant plus d’une heure avec Solsad. Bien que l’album se veut mélancolique, il est porteur d’un espoir : celui de faire en sorte d’aller mieux. Chez Zamdane cela passe par l’extériorisation de ses problèmes : faire de la noirceur, quelque chose de lumineux, « J’parle de ma peine, on m’a dit qu’c’est beau comme un poème » (Lalalala).