Tombé du berceau, atterri sur le terrain du rap français, ZIkxo est devenu avec le temps l’un des artistes les plus prometteurs et les plus ambitieux de sa génération. Natif de Bondy, originaire de Cayenne en Guyane française, le rappeur affute ses textes et ses rimes depuis plusieurs années pour graver son nom parmi les plus grands du rap français. C’est à Bondy, que 16 Mesures est allé à sa rencontre, pour discuter entre passionnés du rap français.
Comment tu te sens quelques semaines après la sortie de ton projet Intemporel ?
Content, franchement content. J’ai vraiment eu de bons retours. Et puis, ça faisait longtemps que j’étais dessus, donc, de l’avoir libéré, ça m’a fait du bien.
Tu mets beaucoup de cœur dans des textes, dans Rap & Ratures, tu dis « Je me soigne au rap français dans un sous-sol à Drancy », quelle importance tu accordes à l’écriture et son rôle dans ta musique ?
C’est mon école. Avant même de d’aller en studio, j’ai commencé par écrire des textes sans avoir d’instrus. Pour moi, le phrasé est super important, c’est ma base, c’est comme ça que je me suis lancé dans le rap. Maintenant, je découvre un peu plus de facettes de la musique, mais ma base des bases, c’est le lyrical.
Tu te rappelles d’un texte qui t’a marqué ?
Il y’en a plein. Je vais plus te dire des morceaux parce qu’en vrai il y en a beaucoup trop. Ceux qui me viennent rapidement je te dirai Zoxea, King de Boulogne, N.10 de Booba (il commence à rapper le refrain, ndlr) : « Si t’es pas numéro 10 à Paname, t’es la banane du siècle », même les Sages Po’, en fait un peu tout le rap français des années 2000, c’est ça ma came (rires). Mais encore aujourd’hui j’arrive à être touché par des textes. Des mecs comme Orelsan quand j’écoute je prends quelques tartes par leurs écritures. J’aime bien aussi m’ambiancer sur certains morceaux, mais c’est vrai qu’écouter des mecs qui écrivent aussi bien, ça me fait du bien.
Tu es d’origine guyanaise, est-ce que toi c’est des musiques qui peuvent t’inspirer ?
En Guyane, la musique ce n’est pas l’art qui lui est le plus propre, mais on parle plus généralement la musique d’Outre-mer, comme le Kompa, le Zouk, le Dancehall… Ces styles de musiques m’ont beaucoup parlé car mes parents écoutaient ça quand j’étais petit. Encore aujourd’hui, ça joue un rôle dans ma musique, bien que ça ne soit pas majeur, mais ça fait partie de moi, ça a son petit rôle (rires). En plus là, je reviens de Guyane, je me suis remis à jour ma playlist, j’aime beaucoup en écouter.
« Faut revenir au début d’l’histoire, y avait personne. Quand y avait personne, ça s’arrangeait mais les années sont mortelles » dans CIEL. Il y’a eu une vraie période compliquée avant les freestyles Temps, dans quel état d’esprit tu te sentais et comment cet état d’esprit a évolué aujourd’hui ?
Avant la série de freestyles, il y avait beaucoup de problèmes. Ce n’était vraiment pas facile à cette époque-là. C’est ça qui m’a donné un peu la rage, un moteur à ma musique pour pouvoir se dire « En vrai, j’ai envie de faire que ça ». Donc, j’ai pris mon année pour me concentrer chaque semaine pour envoyer de la musique et de voir où ça mène. Mais c’était vraiment une mentalité à base de rage, montrer que je n’allais pas me laisser faire car j’avais eu justement des galères liées à la musique juste avant. Et aujourd’hui, j’ai encore cette rage de vouloir réussir. Avant de faire cette série de freestyles, tu ne sais pas où ça va te mener, maintenant, trois projets plus tard j’arrive plus facilement à me situer donc j’ai encore envie d’aller chercher plus loin et plus haut, du coup c’est ce qui fait que j’ai encore cette facette de rage. Parfois ça aide, mais ce n’est pas tout le temps bien. Au début c’est cool, car tu veux gratter des freestyles de feu donc ça te mentalise, mais aujourd’hui, quand t’es au studio parfois t’en a plus forcément besoin, du moins, plus comme avant.
Question complexe, mais je te la pose, quel est ton freestyle Temps préféré parmi ceux que tu as sorti ?
(rires) C’est dur je change à chaque fois. J’ai envie de te dire le sixième en vrai. Même si dans mon choix, je sais que ce freestyle a le côté d’être « celui qui a le plus marché », mais dans le fond, ce qui me fait le choisir, c’est surtout sa conception. L’état d’esprit dans lequel j’étais en mars 2018, c’était quelque chose. Il s’est passé beaucoup de choses à ce moment-là. La façon dont il a été écrit, il a ce petit truc dans mon cœur qui fait que je choisirai celui-là.
Après les premiers freestyles, il y a eu deux projets, maintenant que tu as plus de recul, quel bilan tu fais de Temps et Jeune et ambitieux ?
La première mixtape Temps a plutôt bien marché, mais c’était encore un peu de l’inconscient, encore un mix de tous les morceau où j’essayais de faire la transition entre le freestyle et le morceau. Ce n’était pas facile. Et après le premier album, Jeune & ambitieux, j’ai essayé d’y amener ce que j’avais appris durant ces deux années de studio à faire plein de morceaux. Je me suis un peu plus permis de faire des choses que je ne faisais pas d’habitude et j’en suis très fier. Et puis, maintenant, cette deuxième mixtape Intemporel, c’est un petit retour aux sources. J’avais envie de rapper, pas comme dans les freestyles, sans pour autant vouloir faire la même chose que sur mes précédents projets. Sur la globalité, je me suis fait plaisir pour mes trois projets. Je suis très fier d’eux.
Avec ce nouveau projet, est-ce que tu as eu une nouvelle façon de travailler ou d’appréhender ta musique ?
Pour celui-là, j’avais vraiment envie d’écrire. J’avais envie de rapper et d’écrire, mais je me suis moins mis de barrières ou de freins, en mode je ne me suis pas dit « il faut que je fasse ci ou il faut absolument que je fasse ça ». Je ne me suis pas pris la tête comme ça, je voulais juste que mes morceaux correspondent complètement à l’état d’esprit dans lequel j’étais et que je vise juste tout en étant parfaits pour moi, c’est pour ça aussi que ça a pris un peu de temps.
Dans BAC, tu dis que « personne n’a vu le temps passer », tu as la sensation de parfois courir après le temps qui passe trop vite ?
Laisse tomber je suis toujours dans ça. Moi et le temps, on n’est pas amis. J’ai tout le temps cette sensation de temps qui passe trop vite. Cette notion est dans mes textes depuis le début, il est constamment là, j’en parle, j’en parle, j’en parle et j’en parlerai toujours. C’est mon puit d’inspiration. Ça ne s’arrête jamais. Chaque journée, ça recommence. Et puis tu vis tellement de choses et tu as tellement de choses à dire. On en parlait en off, le 30 novembre je joue à la Maroquinerie, ma première date, et je me disais « oh c’est dans longtemps » et puis, on y est (rires).
Comment on se sent à quelques jours de son premier vrai concert ? On se sent sous pression (rires). Comme c’est le premier concert, il va déterminer plein de choses, c’est aussi une carte de visite car tu te lances officiellement dans le grand bain des concerts. Mais à ce qu’on m’a dit, c’est de la pression qui va se transformer en de l’amour car les gens viennent te donner de l’amour donc à moi de leur rendre.
Dans cette mixtape, tu démarres avec Bondynois, on peut y entendre les chants d’ultras parisiens, quel est ton rapport au foot, avec Paris et pourquoi avoir choisi de les intégrer au morceau ?
Au départ, ça ne devait pas être l’introduction du projet, mais je voulais faire un morceau comme ça. Là pour le coup c’était plus précis dans notre démarche, je voyais un morceau avec les chants. C’était pendant une période où il y avait des matchs de la Ligue des Champions. Après, pour être 100% honnête je ne suis pas un super grand fan de foot, mais tout ce qui concerne Paname ou l’équipe de France, je suis grave à fond.
« Des minutes de boulot pour pouvoir s’démarquer du milieu du troupeau » dans Intemporel, une punchline qui peut faire écho à celle de JeanJass dans Roberto Baggio : « J’mets trois ans à faire un album, après deux semaines, tu l’écoutes plus. Si ça, franchement, c’est pas un coup d’pute ». Tu as la sensation que le résultat du charbon est cruel vu qu’il y a beaucoup de rappeurs aujourd’hui et des sorties toutes les semaines ?
Franchement ouais. On ne va pas se mentir et tout le monde le sait, la musique ça se consomme hyper vite maintenant. Par exemple, tu sors une semaine et la semaine d’après il y a un autre rappeur, puis encore un autre la semaine qui suit. Je comprends totalement sa punchline et je le rejoins. Aujourd’hui, la musique se consomme très vite pour le temps de travail passé dessus, mais bon c’est le jeu aussi. Puis même autour des critiques, elles sont données hyper rapidement alors que les projets ne sont pas digérés. Au début, je faisais attention à tout ce qui se disait, tout ce qu’il se passait, mais aujourd’hui je ne regarde plus du tout. Les avis sont tous différents et variés, ça ne veut même plus rien dire car si tu écoutes tout, tu ne seras plus où donner de la tête. Il vaut mieux mettre des œillères et avancer tout droit.
Dans ce même morceau tu dis « J’peux pas laisser croire qu’on n’est pas fait pour ça, que ma zone, elle est trop loin du succès », tu fais un rap moins lisse que certains concurrents tu as la sensation que du coup c’est plus dur vu que tu ne cherches pas à faire des hits ?
Oui pour être honnête, c’est plus dur pour un artiste comme moi, mais après chacun son combat, c’est comme cela que je le vois. Je n’ai vraiment pas à me plaindre, certes je ne suis pas « mainstream » donc forcément cela peut rendre la route plus longue, mais chacun son combat. Tout le monde a travaillé pour en être là où il en est, et je continue à travailler et je pense qu’un jour ça le fera aussi, je suis dans cette optique. Et dans la punchline, il y avait aussi ce côté aussi de dire que dans ma ville, il n’y a pas eu beaucoup de rappeurs qui y ont pu faire résonner son nom. À part Lartiste, on n’avait personne à Bondy, c’était aussi dans ce sens-là que je disais cela.
Dernière punchline avant de parler d’autre chose, notre préférée, dans BAC « sur l’ombre qui me suit y’a la couronne », référence évidente à ta cover du projet précédent mais également à la notion de « roi sans couronne », tu as peur de devenir avec le temps, un roi sans couronne ou au contraire c’est un objectif comme ceux qui t’ont inspiré ?
Non j’ai peur (rires). Je ne te cache pas que j’en ai peur. C’est comme le foot, tu rentres sur le terrain pour gagner, tu vois, c’est un peu la même mentalité. J’ai pas envie de me dire « je sais que j’ai fait du bon son et voilà, merci ». J’ai envie d’avoir ma couronne, il y a encore du chemin à parcourir, mais j’y crois et je sais que c’est le travail. Ce sont des artistes qui m’ont inspiré et c’est pour ça qu’on avait fait cette pochette pour Jeune et ambitieux, que j’adore, elle est tellement technique et épurée, mais nan, il me faut ma couronne (rires).
Parlons de quelques collaborations du projet, comment on arrive à faire un morceau avec Zefor et Jazzy Bazz sur le même titre ?
Tous mes invités, ce sont des personnes avec qui je m’entends bien, ce n’est pas juste dans une idée de collaboration, je discute régulièrement avec chacun d’eux. Avec Jazzy, on avait fait plusieurs morceaux déjà, mais on n’était jamais satisfaits à 100%. Lui et moi on se cerne un peu et donc on savait que ce qu’on faisait ce n’était pas ce qu’on souhaitait. Et puis, un jour j’ai reçu cette prod et je voyais que Zefor dessus. Je suis retourné en studio avec Jazzy, et je me suis dit qu’il fallait une troisième personne dessus. Et il me dit « Mec je kiff 13 Block, je suis chaud » et Zefor était partant aussi et ça s’est fait comme ça. Même si sur le papier on ne s’y attend pas, ils restent des humains, des kickeurs, et du coup on a fait un gros morceau qu’on est allé clippé à New-York.
Jazzy c’est sûrement l’artiste qui m’a le plus impressionné en studio. Je suis admiratif de tous les artistes avec qui je collabore, je les observe quand on travaille ensemble, mais Jazzy Bazz, entre ses placements et sa façon d’écrire, c’était le summum.
Si celle collaboration peut ne pas paraître évidente au premier abord, une autre l’est, c’est Lesram car le public attendait cette connexion vu que vous êtes dans le même registre, raconte nous un peu comme ça s’est fait ?
Lui et moi, on est dans le même esprit. On a les mêmes goûts, les mêmes références musicales et on est dans le même style. C’est un mec qui rappe depuis autant de temps que moi, je crois, depuis une dizaine d’années. Tous ces mecs-là, je les voyais sur internet avant même d’être dans le rap. Je peux être fier, c’était une évidence. On était en studio, on s’est amusé comme des enfants. Comme il est de la même école que moi, tu peux tout te permettre.
Dernière question, après un troisième projet, une Maroquinerie, quelle est la suite et quels sont tes objectifs à l’avenir ?
Je dirai d’en faire encore plus, que mes prochains projets soient encore plus fort que ces trois-là. Mon challenge constant c’est de gravir les échelons, ramener de nouveaux savoir-faire et apprendre de nouvelles choses pour les incorporer dans ma musique. Donc la suite pour moi j’espère, c’est beaucoup de projets et qu’ils soient plus choquants les uns que les autres.