Souvenez-vous. Il y a un an, devant la caméra de 16 Mesures, le chroniqueur Specta faisait le choix de terminer le récit de success stories martiniquaises par celle du jeune Kima. En une quinzaine de mois, Akim de son prénom, est passé d’un simple et inconnu jeune du quartier de la Dillon a « peut-être la future star de la Martinique » comme avait pu le décrire Specta. Le 16 est allé à sa rencontre, le temps d’une soirée et d’un showcase à Lyon en juin dernier. Derrière le talent brut et l’essor de l’artiste, la famille apparaît comme être le point clé pour comprendre le nouveau phénomène antillais.
Kima n’est pas devenu l’artiste qu’il est aujourd’hui par hasard, puisqu’il est lui-même issu d’une famille de passionnés. Sa mère est chanteuse de Reggae Dancehall et se prénomme Scéna, anciennement Sista Scénario. Quant à son père, musicien, il joue le rôle de producteur. Depuis enfant, Kima prend alors l’habitude de traîner dans le studio lors des séances d’enregistrement. Tombé dans la marmite qu’est le studio, il s’imprègne des énergies et finit, par mimétisme, à la place de sa mère en cabine. C’est à sept ans seulement qu’il prend position devant le micro, et que son père le laisse s’exprimer, « sans aucune pression » nous raconte-t-il, « j’étais déjà ‘matrixé’, un petit garçon très bizarre […] le premier son que j’ai fait s’appelait ‘danger de mort’, j’avais 7 ans, je ne sais pas comment mes parents m’ont autorisé à faire ça ».
C’est quasiment dix ans plus tard qu’il commence véritablement à écrire ses premiers textes. Entre-temps, l’adolescent a grandi dans le théâtre populaire martiniquais, faisant naturellement connaissance de la rue et de ses déboires. La musique est toujours très présente dans l’environnement familial notamment, beaucoup de sonorités différentes nourrissent le jeune homme, entre reggae, trap, dancehall et shatta (style propre aux martiniquais, descendant du dancehall, ndlr).Fin des années 2010’s, le rap hexagonal touche sérieusement les jeunes générations alors ado’. La musique devient tout aussi présente dans le quartier lorsque ce dernier genre, et les freestyles, rythment le quotidien des gars « sur le bloc ». Rapidement, la compétition s’ajoute à la communion dans le regard que porte Akim sur ces sessions freestyles. « J’ai commencé à écrire des textes chez moi exprès, pour aller leur chanter et que ce soit moi le plus fort quand j’arrive ». Gratter texte sur texte le mène un jour à poser sur feuille les lignes de Sa dyab. Son entourage en tombe alors fan : « Les gars voulaient que je chante ça pour eux tous les jours, un frérot à moi m’a emmené l’enregistrer, j’ai vu que tout le monde était à fond sur le son, donc on l’a sorti et on l’a clippé. Ils ne se sont pas trompés ». En un morceau, le futur de Kima à peine majeur est dessiné, mettant sa passion pour la musique au centre de son œuvre.
Rapidement, Kima se démarque par ses capacités lyricales et vocales. Il partage aussi vite des couplets avec plusieurs rappeurs de Madinina : des anciens comme Mercenaire et des collègues de la nouvelle génération comme Jozii. Ce dernier l’invite logiquement sur le titre unificateur « Bienvenue aux Antilles ». Le premier rappeur de l’hexagone à collaborer avec lui n’est autre que le barlou Seth Gueko, accompagné de son fils Stos, sur le morceau ‘Tralala’. Kima a dans son écriture une attache au réel et à l’expérience de la rue, il raconte « ce que les petits gars y vivent » selon ses propres mots. Cela fait sa force selon Specta : « La génération de Kima se reconnaît en Kima, je pense que c’est la raison pour laquelle il a explosé aussi vite et aussi fort ».
La « famille » est aussi le maître mot pour définir l’équipe qui accompagne et participe au développement de l’artiste. À ses côtés se trouvent deux personnes clés : le premier est Anthony, alias Tiguere. D’une génération au-dessus, ce dernier a vu grandir Kima en étant son voisin au bled, il est aujourd’hui son manager. Lui aussi prend le micro quand bon lui semble et quand le besoin d’évacuer l’éprend, restant cependant qu’un « loisir » selon ses dires. Le second est Dj Ken. Si ce nom ne vous est pas familier, vous connaissez sans aucun doute ses productions puisqu’il est dans le rap jeu depuis de nombreuses années, d’ores et déjà diamantaire : en plus de nombreux titres produits ou dirigés artistiquement pour Kalash, Ken est notamment derrière Daniel Sam et Salside de Booba, Commando et Tuba Life de Niska ou encore William de Damso.
« On aurait jamais pensé que ce petit voyou nous aurait permis d’avoir une autre vie »
Tiguere, manager de Kima et co-producteur chez Overseas
Pour accompagner Kima, Tiguere et Dj Ken ont fondé leur propre label, Overseas (« Outre-mer » en anglais, ndlr), devenant ainsi coproducteurs. Le label est signé depuis l’an passé en « distribution améliorée » chez la filiale française d’Alternative Distribution Alliance (ADA) au sein de la major Warner : ADA n’est alors pas qu’un moyen de financement mais participe également au développement, stratégique notamment, de l’artiste. Avec cette signature, l’équipe passe un cap, avance en famille tout en se professionnalisant. Si Ken connaissait le milieu et ses rouages, Tiguere et Kima les découvrent mais apprennent vite. La progression est motivée par leur foi commune, leur détermination, leur travail, mais surtout la passion insiste le manager.
En mai dernier, Kima a délivré un premier projet, réalisé « sans pression, sans prise de tête ». Celui-ci a ravi le public, le trouvant très satisfaisant et complet pour un premier pied dans le grand bain. En effet, La Cour Des Grands échappe à la linéarité, et rend compte de la volonté de Kima de toucher aussi bien le public antillais que celui de l’hexagone. De beaux noms ont accepté l’invitation à poser sur ce projet : Opinel 21, Koba la D et Gazo. Des connexions permises par la rue et des connaissances communes, et non grâce aux maisons de disques ni d’histoire d’argent nous affirme Kima. Si le rapide succès était attendu par Dj Ken devant l’attente qui planait sur Kima, il n’imaginait pas que ça aille aussi rapidement pour les featurings : « ils ont kiffé direct et n’ont pas chipoté. C’est là que ça m’a étonné parce que je connais le ‘game’ en France, et les mecs sont bizarres des fois ». Solo, l’extrait du projet préféré de Kima est aussi celui du 16.
Un nom parmi les featurings a volontairement été omis. Ce n’est autre que Kalash, lui qui est l’artiste numéro un aux Antilles depuis une décennie, qui a connu, et qui connaît encore aujourd’hui les marches du podium et les brillantes certifications. Ayant vécu lui aussi une partie de sa vie à la Dillon, Kalash connaît bien les producteurs du jeune artiste et a longtemps travaillé avec Dj Ken comme énoncé précédemment. Le duo Kalash/Kima, ancienne et nouvelle école, porte ses fruits à merveille à travers trois collaborations déjà sorties, dans l’ordre chronologique : 17, Papillon et Médicaments. Modèle de réussite, Kima l’écoutait déjà petit et l’écoute toujours. Aujourd’hui, Kalash se positionne pour lui en tant que « grand-frère », lui donnant des conseils sur le plan musical bien sûr, scénique, stratégique et même vestimentaire. Un allié de taille pour Kima et l’équipe d’Overseas, « Criminel League » comme ils se nomment.
Les ambitions de cette équipe sont grandes. Le chemin est encore long, mais tous les signaux en ce début de carrière sont au vert pour Kima. Continuer à progresser en France est évidemment à l’ordre du jour, mais Overseas a dans le viseur le public anglophone, bien plus vaste. Kima cite alors comme exemple Gazo, qui motive beaucoup de monde à s’exporter. Pour le moment, l’objectif est de ne rien lâcher, « tenir en haleine » le public. Pour ce faire, Kima nous annonce un nouvel EP pour courant 2022, qui devrait prendre le nom « Project Baby 2 », en référence au rappeur haïtien Kodak Black. En attendant, la dernière nouveauté du jeune Kima se nomme Sa gang, en featuring avec Lutin.