Si le rap connaît désormais ces multiples visages musicaux alternatifs, l’essence même de cette musique reste de frapper lyricalement et/ou dans son interprétation, et parfois pour dénoncer. Dans son album surprise D M N R, Lefa invite Kalash Criminel sur Gang pour un morceau aussi puissant que dénonciateur.
CONNAÎTRE LEFA ET KALASH CRIMINEL
Abdel Karim Fall ou plus simplement Lefa, est un rappeur issu du collectif parisien de la Sexion d’Assaut. Après avoir disparu musicalement trois ans après l’énorme succès de L’Apogée, il revient en solo plus déterminé que jamais. Après plusieurs projets, il dévoile en avril 2021, D M N R, en surprise, dans lequel on le retrouve encore plus engagé que dans ses précédents projets.
Le cagoulé le plus connu de France mais également le grand représentant des albinos, est un habitué des textes durs et dénonciateurs. De la police en passant par les magouilles politiques, sans oublier les injustices en Afrique, Kalash Criminel a su par son interprétation et ses mots : choquer, brutaliser mais surtout enseigner l’ignorance au public urbain francophone.
Si dans l’ensemble de son nouvel album D M N R, Lefa dénonce plusieurs faits intolérables, c’est véritablement dans le morceau Gang avec Kalash Criminel que les deux rappeurs déballent, au point de dire que le morceau risque d’être censuré.
L’IMAGERIE DU MOT « GANG »
Avec le mot « Gang », deux alternatives s’offrent à nous. La première est la définition même, celle d’une association de malfaiteurs. Association qu’on retrouve dans le morceau avec l’ensemble des acteurs dénoncés par les rappeurs. La seconde alternative est plus simpliste. Il s’agit de l’onomatopée, régulièrement utilisée par Kalash Criminel, pour donner un son violent et percutant, tout comme le texte du morceau éponyme.
DÉNONCER LES INJUSTICES POLICIÈRES
Si une majorité exerce le métier comme il faut et comme ils sont censés faire, parfois l’abus du pouvoir associé à l’âme raciste de certains, viennent totalement rendre répugnant le métier de policier. Cette haine réciproque avec les quartiers perdure à cause de ces nombreux faits inhumains qui donnent lieu à énormément de phases méritées sur les hommes en bleu.
« Gang, gang comme les keufs qui frappent en premier. Les nouveaux en font plus pour être promus »
Dans le morceau, le refrain est entièrement dédié aux « gardiens de la paix » et aux abus de pouvoirs réalisés par certains qui vont jusqu’à entraîner la mort. Comme on associe les quartiers à des endroits à problèmes, certains nouveaux policiers vont user de leurs pouvoirs dans un but extrême du dicton « maintenir la paix » en utilisant la violence dans ces quartiers pour plaire aux supérieurs.
« Pour quelques lycéens, (l’Etat) envoie ses gorilles. C’est des gosses, pourquoi tu demandes des renforts au talkie ? »
Si ces dernières années, avec les réseaux sociaux, on voit de plus en plus d’images d’abus de force de la part des policiers, et l’un de ceux que Lefa rappelle est celui de Mantes-la-Jolie en 2018. En effet, lors d’une interpellation, les policiers ont forcé une centaine de lycéens à s’agenouiller parfois en rang et parfois contre le mur, mains sur la tête, comme pour des exécutions. L’ensemble de cet acte catastrophique a été filmé par les policiers qui se félicitaient eux mêmes du rendu : « Voilà une classe qui se tient sage »…
« T’es tombé sur ta matraque, t’es complètement toqué. Complètement barge, c’est pas pour ça qu’on t’a donné un badge. Engagé sans aucun diplôme en poche, désolé, mais c’est pas tous des lampes torches »
Le début du couplet de Lefa est consacré aux bavures policières suite à l’abus de pouvoir de certains. Si les références se multiplient dans les textes du rap français, ce n’est en rien contre le métier en lui-même comme l’a rappelé Booba dans TPMP, mais contre le racisme, l’abus de pouvoir et le manque de considérations de la valeur du métier qui règnent au sein des rangs des hommes en bleu. Comme le rappelle Kalash Criminel à la fin de son couplet : « On paye des impôts qui payent des policiers, les policiers nous tuent, on paye nos meurtriers », si parmi ceux qui choisissent de faire l’ordre et de sanctionner correctement, certains continuent de jouer les cowboys et d’être défendus par certains médias et chroniqueurs, ça ne fera que d’empirer..
L’OMNIPRÉSENCE FRANÇAISE EN AFRIQUE ET LES MAGOUILLES POLITIQUES
Si cette partie fera l’objet d’une chronique un jour sur 16 Mesures, l’omniprésence occidentale en Afrique et les problèmes que rencontrent le continent sont des sujets énormément référencés par le rappeur congolais Kalash Criminel. Si les médias n’en parlent jamais, Kalash Criminel tente d’éduquer et faire prendre conscience de tout ce qu’il se passe en Afrique.
« Dans mon bled, c’est pas nous qui fabriquons notre pognon »
Le premier fait du morceau en rapport avec l’omniprésence occidentale en Afrique est énoncé par Lefa dans le refrain. Originaire du Sénégal, l’artiste membre de la Sexion d’Assaut parle de la monnaie qu’est le franc CFA.
« Mais si l’Afrique s’appauvrît, ça c’est la faute de l’Occident »
Au-delà d’avoir une connotation coloniale due aux antécédents entre les pays, le franc CFA (qui avait pour nom de départ : franc des colonies françaises d’Afrique, et qui depuis a évolué en fonction des pays, ndlr) n’est pas fabriqué au Sénégal, ni dans aucun autres pays utilisant cette devise, mais en France ! Ce qui laisse une main mise française sur l’économie africaine, avec une monnaie de plomb puisqu’elle ne vaut quasiment rien et qui au final ne permet pas le développement du continent.
Le début de couplet de Kalash Criminel annonçait déjà la couleur : « Si des Noirs vendent des Noirs en Afrique, c’est pas la faute de l’Occident ». Habitué à directement nous faire plonger dans les sujets sans mouiller les nuques, il vient faire ici écho à Freeze Corleone dans Baton Rouge, pour dénoncer l’esclavage qui perdure : « 20-18 en Libye, ça bibi des nègres à 150K ». La suite du couplet du congolais ne pouvait n’être que dans l’esprit du morceau.
Entre un président qui ne fait ce qu’il promet par Lefa, et une certitude de Kalash Criminel qu’Emmanuel Macron ne sera pas réélu, on ne peut pas dire que cela soit le grand amour politique. Les deux rappeurs et en particulier Kalash Criminel viennent appuyer sur les magouilles qui sont faites. « Tu meurs vite comme un opposant » ; si en France nous n’en sommes pas à ce point-là, quand un parti politique décide d’anéantir un autre c’est très facile avec l’aide des médias qui viennent dévoiler des faits qui discréditent les candidats.
« Que Dieu nous bénisse, que Dieu nous garde, que Dieu préserve nos mères et nos filles. Les politiciens votent des lois pour avantager les pédophiles »
Par ailleurs, Kalash Criminel vient une nouvelle fois (après le morceau Pistons vs Pacers, ndlr) rappeler le nombre de fois où des violeurs et des pédophiles s’en sont sortis avec des affaires classées sans suites ou de faibles peines. Un acte aussi infecte qu’intolérable, qu’il souhaite par dessus tout éloigner le plus possible des femmes et des filles qui sont les principales victimes.
L’INTOLÉRANCE RELIGIEUSE
L’un des faits qui revient régulièrement aussi dans les dénonciations des rappeurs, c’est l’intolérance religieuse. Si la France est un pays qui historiquement est catholique, depuis plusieurs siècles, elle a la chance de cultiver une richesse et une diversité religieuse qui malheureusement la divise.
« La religion, c’est la paix, comment peut-elle nous diviser ? »
Si Kalash Criminel rappelle que la mort est inévitable et que personne n’est immunisé, avec cette phase ci-dessus, il explique aussi que la religion ne devrait pas être un ennemi mais une force pour chacun. Seulement entre des partis politiques qui en font leur combat et des chroniqueurs télé non censurés qui cultivent la haine, le multiculturalisme français devient un sujet de division alors qu’il devrait être une force pour la France.
« Ils insultent les prophètes et c’est nous qui sommes malpolis ? »
Dans le refrain, Lefa fait notamment référence à Charlie Hebdo qui compile un nombre incalculable de couvertures et de propos indéfendables. Seulement, une grande partie de la population et notamment celle qui est influencé par la télévision et les chroniqueurs, défendent le magazine Charlie Hebdo derrière le voile de la liberté d’expression. Seulement la liberté d’expression garde ses limites que Charlie Hebdo franchit sans arrêts sans jamais être punis en échange. Les limites sont notamment les suivantes : pas de diffamation, pas d’insultes, pas d’incitation à la haine, pas de propos antisémites, racistes ou homophobes…
Si le morceau a pour but de choquer à son écoute, quand on y relève le fond, on y voit un reflet de vérités qui ne cesse d’être rappelé et rabâché par les rappeurs sur cette injustice. On terminera notre chronique par la citation d’Henry Guy : « Justice qui nous nuit vaut mieux qu’injustice qui nous réjouit », la justice devrait se faire en toute impartialité d’après les lois écrites, et non par l’intérêt personnel de chacun ou de groupes.