Le 25 février dernier, Youssoupha a dévoilé son nouveau titre « SOLAAR PLEURE », ainsi que son clip vidéo révélant la pochette de son nouvel album, NEPTUNE TERMINUS, prévu pour le 19 mars prochain. Cette vidéo, qui rend hommage au Rap français et son histoire, est le fruit d’une idée originale du duo composé de Youssoupha & Fifou. Ce dernier – Fabrice Fournier, que l’on ne présente plus aux lecteurs du 16 – est aussi logiquement l’auteur de la cover dont la figure centrale n’est autre que Malik, le fils du rappeur. Pour mettre en image leurs idées florissantes, Fifou a fait appel au jeune et prometteur réalisateur Paul-Henry Thiard. Ce projet artistique, grandement salué par le public et les critiques, ne serait pas le même sans cette véritable fusion des générations. Ici l’expérience se mêle à la fraicheur, et les références retracent l’histoire et les époques de cette musique passionnée et passionnante. Le 16 a eu l’honneur d’échanger avec les talentueux Mister Fifou et ‘PH’ pour revenir sur l’histoire de ce projet. Voici leurs regards croisés.

« Mon fils en cover, en collab’, puissant comme pub Coca Cola »

SOLAAR PLEURE, Youssoupha

16 : Fifou comment vas-tu ? Comment tu te sens une semaine après la sortie du clip ?

Fifou : Les retours ont été assez fous. Surtout que pour une fois avec Youssoupha, on a vraiment travaillé dans les règles, on a travaillé longtemps en amont sur ce projet. Alors que parfois ça se fait souvent à la dernière minute. Là on a pris le temps de bien faire la chose. Et l’impact a été assez fou!

16 : Autant du côté du grand public que celui des photographes à qui t’as pu rendre hommage ?

F : C’est ça ! Le clip a touché un peu toutes les générations, c’était ça le but. Nous, dans l’idée on a voulu rendre hommage, au rap évidemment, mais surtout aux gens de l’ombre, ceux qui travaillent aussi dans l’image en revisitant leur cover avec Youssoupha et son fils.

Youssoupha et Fifou forment un sincère duo. C’est leur complicité artistique qui les amené, ensemble, à concevoir ce projet. Ce duo est né entre 2007 et 2008 selon le photographe. A l’époque où il l’a connu, Youssoupha « côtoyait énormément Ménage à trois, qui est un collectif d’artistes de rap, dans lequel ils y avaient les 2Bal, les 3 coups, Mr R. Donc des gros artistes de la scène rap underground des années 90’s/2000’s. ». A partir de là, ils ne se sont plus lâchés et ont commencé à travailler tous les deux sur le projet Sur Le Chemin du Retour (2009). Trois ans après, Fifou offre à Youssoupha l’une des pochettes les plus mythiques du Rap Français, celle de l’album Noir D****.

: [La cover de Noir Désir] a été une sacrée explosion dans ce milieu, surtout à cette époque-là. En dehors du fait qu’on ait réussi à sortir une image qui touche tout le monde, c’était surtout une mini-révolution dans la pochette de rap français. Aux Etats Unis, ils étaient ouverts à ce type de process, de ne pas forcément mettre l’artiste sur la cover. À l’époque ça a fait un sacré boucan, depuis on a compris que notre binôme marchait super bien. Moi je connais vraiment par cœur ses goûts, j’apprécie énormément ce qu’il fait aussi, et c’est mutuel donc c’est que du bonheur !

16 : C’était donc tout naturel pour Youssoupha de t’appeler pour ce nouvel album ?

F : De fou ! Et surtout, ce qui est cool avec Youss’, c’est un peu comme avec Dinos, c’est quelqu’un avec qui je communique énormément. Il a souvent ses idées. La pochette, comme on l’a voit aujourd’hui, ça sort de son cerveau. […] C’est lui qui est venu vers moi en me disant : « Voilà, je veux mettre en avant mon fils. Je veux qu’il se tienne comme ça, et je veux aussi avoir ce parti pris qu’on me voit sans me voir vraiment ». Il est complètement décadré donc coupé de l’image. Et on reste toujours dans ce principe de nouvelle génération, on passe le flambeau !

Fifou a reçu cette idée, et l’a sublimée à travers son appareil argentique. Son idée est claire, avoir un image assez sombre – de par les habits de cuir noir et le fond – mais lumineuse à la fois : « Dans le choix du fond vert un peu grisonnant, et le contraste avec la peau un peu cuivrée, limite orangée, je voulais amener quelque chose d’assez solaire dans le rendu. […] C’est mon petit kiff de photographe, mais je trouve que la peau un peu colorisée me rappelle les pochettes des années 90’s… enfaite il y a un petit côté Madelaine de Proust. ». Que ce soit par son message ou sa réalisation, la pochette de NEPTUNE TERMINUS a définitivement ce côté intemporel qui ne laisse indifférent : « Tu peux la regarder dans dix ans, je ne sais pas si ce sera démodé ».

Pour dévoiler cette pochette, les deux magiciens ont voulu reproduire plusieurs covers marquantes, rendre hommage à ces albums importants dans l’histoire du rap, et les mettre en scène dans ce qui était à l’origine une sorte de « trailer ». Youssoupha et Fifou se sont inspirés de Jay-Z notamment, qui a reproduis ses covers dans une vidéo pour promouvoir son nouveau disque THE BLUEPRINT 3 (2009). Cette initiative de Jay-Z avait complètement bousculé les passionnés de l’autre côté de l’Atlantique, dont Fifou fait partie. Nous vous laissons imaginer quel bonheur c’est, pour ces deux passionnés, de rendre hommage ainsi et de communiquer sur ça.

La sélection des covers a vraisemblablement été mûrement discutée. L’un des objectifs fixés sur le cahier des charges est « de trouver un bon équilibre, avec des pochettes en duo et des pochettes solo » avec Malik uniquement. Pour des raisons financières ou de logistiques, certaines pochettes n’ont malheureusement pas été retenue. Parmi elles se retrouvaient notamment les covers de Première Consultation de Doc Gynéco (1994), Opéra Puccino du grand Oxmo (1998) mais aussi La fierté des nôtres de Rohff (2004), ainsi que Vivre et mourir à Dakar, signé Alpha 5.20 (2006). Un second objectif fixé est « de représenter le Rap Français dans toutes ses formes ». La sélection finale semble parfaitement valider les objectifs donnés, et représenter les différents époques de cette musique qui nous est chère :

: On peut très bien avoir du rap revendicatif comme Ideal J (Le combat continue, 1998). On peut très bien avoir un rap aussi revendicatif mais parfois décalé comme Orelsan (Le chant des sirènes, 2011). Alpha Wann (UMLA, 2018) représente la nouvelle génération de ce qu’on appelle le rap conscient, un rap qui passe pas forcement en radio. NTM (Suprême NTM, 1998) parce que c’est des icones, aujourd’hui c’est un peu nos Rolling Stones à nous. Et en même temps, ça nous permet de rééduquer visuellement la nouvelle génération qui ne connaissait pas forcément les plus anciens  […] Niska (Commando, 2017) est quelqu’un qui représente pour moi la Trap à 100%, c’est la nouvelle génération, c’est le côté plus kaïra aussi… et je pense que c’est la cover la plus kaïra qu’on ait pu intégrer dans notre sélection.

A celles-ci s’ajoutent les pochettes d’Arsenik (Quelques gouttes suffisent, 1998), de Noir Désir bien sûr, ainsi qu’une autre réalisation iconique de Fifou pour PNL, Dans La Légende (2016).

16 : Y a-t-il dans cette sélection une ou plusieurs covers que tu voulais absolument faire figurer dans la vidéo ?

F : Les deux qui me venaient en tête honnêtement, si on parle des trucs à l’ancienne, pour moi c’était NTM et Ideal J ! Ideal J pour sa simplicité et sa puissance. Cover faite par Armen Djerrahian, grand photographe du rap Français à une époque ! Et NTM parce que les mecs ont des bouilles de fou ! Joey avec sa coupe afro, menton levé… j’ai toujours rêvé de faire une photo comme ça. Dans ma jeunesse c’était des covers emblématiques, on aurait dit des pochettes d’américains. Sinon dans la nouvelle génération […] Orelsan, quand Wahib [Wahib Chehata] avait sorti ça à l’époque, je la regardais en boucle. Également avec ce côté peau un peu cuivrée avec plein de détails… J’avais pété ma tête à l’époque !

Avec Youssoupha, Fifou a réalisé ce « petit rêve de gamin », reproduire les covers qu’il aurait souhaité créé. Avec bien sûr, la participation du fils du rappeur, qui a particulièrement « bluffé » son ami photographe :

Fifou, à propos de Malik, fils de Youssoupha.

Après avoir mûrement réfléchi et développé leurs idées, le duo d’artistes a dû faire appel à un réalisateur pour passer de l’image figée à la vidéo. Fifou, lui-même, a proposé à Paul-Henry Thiard de passer à son studio, Le Salon, pour discuter de ce projet. Fifou et ‘PH’ se sont rencontrés quelques mois auparavant sur le tournage du clip de « Miami Heat » de Mister V, et le feeling entre les deux semblent être très bien passé. Selon les dires de Fifou, ‘PH’ est « un futur grand dans la réalisation photo, il commence déjà à l’être ! ».

16 : Qu’est-ce que tu ressens quand un photographe avec une telle renommée t’appelle toi, et pas un autre ?

Paul-Henry Thiard : C’est hyper gratifiant de dire qu’il s’est souvenu de mon travail. Il rencontre tout le temps des réals, il doit être tout le temps sur des projets, et me dire que le peu de temps qu’on s’était vu… on s’était bien entendu ! Je suis fan de son travail, et je crois que lui du coup aime bien le mien. Enfin ce qui m’a surtout flatté, c’est qu’il ait pensé à moi, pour faire ce projet. Je me suis dit : « Waouh, il connait un peu mon style, et il sait que je pourrai bien faire sur ce type de format ».

Ce choix n’a pas été fait au hasard. Fifou sait que Paul-Henry est « professionnel et ultra technique ». Cette technicité n’est pas innée, mais bien le résultat de nombreuses heures d’apprentissage.

: Pour moi, il représente vraiment la nouvelle génération qui est en train d’arriver : ce sont des gars qui touchent à tout, des gros geeks aussi je pense. C’est un mec j’imagine, qui a dû passer des nuits blanches entières à bouffer des tutos et à tester des machins.

PH : Je suis un grand bousillé de trucs comme ça ! Je pense que je suis un geek parce que je n’ai pas fait d’écoles, et que je n’ai pas déboursé un euro dans une formation, sur internet ou autre. J’aime beaucoup digger dans tout ce que je fais, que ce soit digger des sons de rap, digger des tricks ou des tutos de montage. A chaque fois que je trouve un plan stylé ou autre, je le note et je me dis : « vas-y, je vais essayer de les faire ! ». C’est fait maison, c’est mon passe-temps quoi !

« Je me demande si je devrais pas faire mes clips sans écouter le son, ou en réfléchissant à un concept que j’aime bien, puis après seulement le caler sur la musique »

Paul-Henry Thiard, Réalisateur

La vidéo est un « faux plan-séquence », les techniques utilisées donnent l’impression que le personnage central, Malik, ainsi que son père, se baladent d’une scène à l’autre, dans le même lieu et en une seule prise. En réalité, le tournage s’est déroulé sur trois jours, et ne s’est pas passé comme vous l’auriez imaginé ! A notre grande surprise, Fifou & Paul-Henry Thiard nous ont confié que la vidéo, pensée comme un trailer à l’origine, a été tournée sans la musique. Et c’est qu’une fois rajoutée, à la vidéo montée, que le trailer est devenu clip. Le résultat est étonnant, le clip et le titre de Youssoupha fusionnent, sans avoir l’impression que celui-ci soit « rapiécé, collé par-dessus ».

PH : A la base il m’avait envoyé deux autres sons, pour les mettre dessus, mais finalement […] c’est celui-là qui collait le mieux. Il est dynamique sans être agressif, la vidéo est assez smooth, fluide, on prend notre temps de passer sur chacune des covers. Du coup, c’était bien d’avoir un son avec un bon rythme, mais sans que ça tape trop.

: Quand je me suis pris la V1 [Première version] avec le son, quand j’ai vu le passage dans lequel on entend un bruit de pistolet silencieux, et qu’on me voit moi en train d’appuyer sur l’appareil photo, je me suis dit le morceau était fait pour ça ! Ça vient de Youssoupha et je pense aussi que ça vient de la grande technicité de PH.

La force des covers reproduites et de cette réalisation vidéo est en partie due à leur volonté de garder à l’image un côté « un peu artisanal ». « On voulait faire croire que toutes les covers étaient un peu simples, et leur donner un côté fait maison » nous rapporte Paul Henry. « On trouvait marrant de démystifier un peu les covers ». Le spectateur est directement immiscé dans le studio du photographe, lui-même est dans le champs, parfois le sujet, et les techniciens et régisseurs sont inclus dans le cadre. Quand la régisseuse tient la bassine d’eau pour que Malik prenne le rôle d’Alpha Wann, Youssoupha monte sur un escabeau et fait tomber les confettis sur « MalikSan », avant de l’attendre sur le canapé des frères Lino et Calbo pour lui mettre la casquette. Tout cela ajoute « un peu plus d’humanité au projet » comme le souligne Fabrice Fournier.

Le format carré était de rigueur pour retransmettre au mieux les pochettes. « Certaines d’entre elles sont faites par [et pour] leur cadre » ajoute ‘PH’. Un défi pour le réalisateur qui doit veiller à ce que tout rentre dans la composition, sans que rien ne dépasse, et qui juge le format carré « complètement contre-intuitif » sur le tournage – habitué à tout filmer en large. Ici, à l’inverse d’un format vidéo très large, « tu ne peux pas avoir le sujet au centre de l’image et des bords moins travaillés ».

16 : Qu’est ce ça t’apporte, toi Paul-Henry, de travailler avec ces personnes-là, qui ont tant d’expérience et d’expertise ?

PH : Fifou, c’est l’incarnation de la maturité artistique ! Il a tellement de recul sur l’évolution, les tendances, dans les styles et la direction artistique. Il est ultra contemporain et actuel, on sent qu’il a tout vu et tout connu de la plus grande partie de ce qui a été fait, en France et aux US. Du coup il a toutes les références et toutes ses inspirations sont dans un champs hyper large. Moi, je suis encore ultra jeune dans l’approche, je connais ce qu’il y a de plus récent, mais lui, on sent que c’est vraiment le boss ! Le boss de la direction artistique, dans le rap, en photo, en visuel, tout ça.

Travailler avec des figures déjà présentes pendant l’ancienne école a donc été plus qu’enrichissant pour lui, autant sur le plan de la réalisation que pour sa culture musicale. ‘PH’ a découvert toute une facette du rap qu’il ne connaissait que peu :

Paul-Henry, une culture qui grandit.

16 : Si tu devais retenir une chose de ce projet, avec quoi tu conclurais ?

PH : Qu’un concept fort peut suffire pour faire une vidéo de dingue […] Une fois que le message est là, tout l’aspect technique et visuel suit parce que ça va parler au spectateur ! Fifou raconte des histoires dans chacun de ses visuels, et c’est le principal apprentissage que je retiens en travaillant avec lui.